Vers une importante croisée des chemins

L’industrie des services-conseils en TI est une industrie qui a toujours été active au Québec. Aussi loin que l’on remonte vers sa création, il y a toujours eu une relève vivace pour faire suite aux disparitions, aux nombreuses acquisitions et à la croissance organique. Aujourd’hui, cette industrie est toujours présente et prolifique, plus que jamais. Analyse critique.

Cinq grands champs d’action

Les entreprises de services-conseils en TI œuvrent dans cinq grands champs d’action. Ces derniers regroupent de nombreux clients et prospects, qui sont des entreprises et des organismes ayant recours aux services-conseils concernés. Toutes ces organisations peuvent être classifiées par le secteur d’activité auquel elles appartiennent, tels que le secteur manufacturier, le secteur de la santé, le secteur public, etc. Malgré cette classification assez généralisée, chacune des entreprises de services-conseils en TI opère, pour des raisons de taille de marché, dans plusieurs des cinq champs d’action. Ces cinq grands champs d’action sont les suivants :

1 • Conseil stratégique (incluant les TI)

Il s’agit souvent d’un spécialiste qui montera une équipe adaptée pour venir appuyer une organisation, sa haute direction, son conseil d’administration, ses comités stratégiques, précisément dans l’établissement des stratégies corporatives. Cela inclut les TI comme outils et comme élément structurel organisationnel. On y retrouvera les orientations corporatives, les directives du CA, la planification stratégique organisationnelle, les plans d’affaires, les plans directeurs, les stratégies d’exploitation, de mise en marché, de gestion de la concurrence, etc.

2 • Conseil en gestion des TI

Il s’agit souvent d’un spécialiste ou d’une équipe spécialisée, destinée à seconder un gestionnaire de l’organisation cliente dans la réalisation ou la modification de ses processus ou de sa fonction. Par exemple, la gestion de portefeuille d’applications, la gestion ou l’amélioration des processus, la gestion des risques, la gestion du changement, la gestion de la sécurité, l’implantation de référentiels et de bonnes pratiques, etc.

3 • Consultant en informatique (développement de systèmes)

Il s’agit en général de spécialistes ou d’équipes acquises temporairement pour réaliser certaines tâches, telles que le développement ou la maintenance de systèmes, l’implantation de serveurs et de réseaux, etc.

4 • Consultant en intégration de système

Ce sont des ressources ou des équipes acquises temporairement pour réaliser certains travaux, comme monter des systèmes à partir d’éléments préexistants. Il ne s’agit pas de développement à proprement parler, mais d’intégration. Par exemple, elles peuvent intégrer un nouveau module à un système ERP, intégrer les IFRS aux systèmes en place. La gestion de projets y est cruciale.

5 • Placement de ressources spécialisées et de personnel temporaire en TI

Il s’agit de la location de ressources temporaires pour effectuer une ou des tâches précises, par exemple, de la programmation en Java. Ce sont souvent des employés surnuméraires qui pallient aux opérations pour un surplus de travail ou qui détiennent une spécialité non disponible dans le personnel interne.

L’inexorable glissement

L’industrie des services-conseils en TI est maintenant mature et bien implantée localement. Une bonne partie des entreprises qui la compose est concurrentielle à l’échelle mondiale. Certaines y ont fait une marque importante.

Cependant, depuis quelques années, certaines firmes de cette industrie semblent être entrées dans leur crise de la quarantaine. En effet, plusieurs firmes composant l’industrie semblent sujettes à une certaine mouvance tectonique. Une sorte de lame de fond, provoquant ce qui semble être un inexorable glissement du type de la dérive des continents.

Cela induit d’un certain côté l’éloignement et d’un autre côté le rapprochement de certaines firmes dans leurs pratiques, leurs façons de faire, leurs philosophies et leurs visions stratégiques. Demain, le portrait de l’industrie sera encore différent, qui pour le bien, qui pour le pire.

L’industrie se ressaisira-t-elle, pour éviter que ce travers ne se généralise en pandémie? L’industrie est assez forte pour le faire, mais en aura-t-elle la volonté? Sera-t-elle assez soudée pour jouer la carte du collectif au lieu de l’individuel? Assurément, certaines firmes glisseront encore, comme d’autres l’ont déjà fait. Certaines ni prêteront pas flanc. Vision stratégique ou saine gestion? L’avenir le dira, dès que la reprise battra son plein!

Deux philosophies

En fait, deux grandes philosophies, très différentes, des services-conseils, sont en train de se mettre en place : le conseil stratégique et le placement de ressources.

Ainsi, de plus en plus, il en est fini des firmes de penseurs qui plaçaient leurs organisations en avance sur les autres. Ils accroissaient la notoriété et la crédibilité de l’organisation, en rédigeant et publiant leurs savoirs.

Certes, il existe encore des conseillers de cette trempe. Mais nombre de leurs entreprises ne les utilisent plus à cela et ne les placent plus dans un contexte favorable à ce genre d’activité. Il s’agit généralement de conseillers seniors, dont le coût d’intervention est élevé et qui, au nom de la rentabilité à très court terme, sont placés par leurs organisations entre l’arbre et l’écorce. Cette position, souvent précaire, exige qu’ils travaillent sous pression, avec un niveau de risque élevé, à faire des mandats parfois en sous qualification.

Leur pérennité au sein de certaines firmes n’est jamais réellement acquise. Ils demeurent en péril à chaque passage sur le « banc » et n’ont plus le temps de prendre le recul suffisant ou le temps de la réflexion, encore moins celui de la transmission ou de la publication de leur savoir. Le seul indice de mesure qui fait loi est le pourcentage de leur temps facturé aux clients.

Les avantages pour la notoriété, la visibilité, le taux de confiance des clients et l’avant-gardisme pour la firme ne sont ni considérés ni comptabilisés. Certes, un bon nombre d’entre eux possèdent réellement un contenu, mais ils n’ont pas le loisir de le déployer. La vision de ces actions n’est pas une vision client, mais une vision de profit à court terme et focalisée sur la seule satisfaction de l’actionnaire. La satisfaction des clients ne passe pas uniquement par un CRM. Et si le bassin de clientèle s’effritait?

Cela ressemble de moins en moins à des services-conseil, conseils pour lesquels payaient les clients, mais de plus en plus à du placement de ressources, comme on fait de la location d’auto.

Cet engouement pour le placement de ressources s’explique par la rentabilité de son marché. Cette activité peut, à elle seule, produire des entrées de fonds continues et presque stables. Cet argent frais, trébuchant et sonnant, peut permettre à court terme de boucler les fins de mois et d’atteindre les objectifs mensuels. Mais c’est de la gestion réactive et certainement pas de la planification.

Cependant, une telle activité n’a aucun effet de levier sur la croissance de l’organisation, la visibilité et la notoriété de la firme. Celle-ci n’étant en fait que l’équivalent d’un sous-traitant industriel dont l’existence est suspendue à la solidité, à la fidélité, aux besoins et aux moyens financiers disponibles des firmes qui lui sous-traitent.

L’effet de levier

À l’opposé, réaliser des services-conseils stratégiques et des services-conseils en gestion sont des leviers importants de développement, de visibilité et de notoriété pour la firme. Ainsi, bien souvent, un seul mandat en conseil stratégique ou de gestion est une ouverture sur plusieurs mandats subalternes en consultation ou en intégration et, également, en placement de ressources.

Les « conseillers » qui dispensent desservices-conseils stratégiques ou en gestion interagissent avec des vice-présidents, des directeurs généraux, des directeurs et des chefs de service qui sont autant de décideurs pour d’autres mandats et pour la création de liens de confiance fournisseur-clients.

D’un autre point de vue, faire du conseil stratégique et de gestion et disposer ainsi d’un levier très puissant, mais ne pas disposer de ressources ou de partenariats solides pour exploiter ce type de développement et de croissance, est aussi un point faible.

Le glissement de la pratique et de la valeur des services-conseils vers des services de type « placement de ressources » n’est assurément pas garant de la pérennité des firmes qui y sont assujetties par obligation et le pratiquent au quotidien. Il faut s’attendre à terme à une réaction de la communauté des clients et de celle des conseillers dont certains profils et savoir-faire vont devenir de plus en plus rares sur le marché.

Cette tendance ne pourrait-elle pas être vue comme l’effet pervers d’un nivellement par le bas? Ou bien une recherche permanente du prix de revient le moins cher pour assurer une inconditionnelle meilleure profitabilité? Mais, si les prix sont à la baisse ou stabilisés depuis quelques années, cela n’est-il pas bénéfique pour le client? Certaines firmes de l’industrie n’ont pas d’autres choix que de baisser la qualité et le service afin de conserver une certaine rentabilité, dans un environnement ou elles ne sont plus capables d’accroître leur volume d’affaires ou de créer des économies d’échelle.

Il faut dire que le placement de ressources se gère bien avec des contrats génériques qui sont faciles à réaliser et à vendre et qui sont peu risqués, car le client a la responsabilité d’avoir choisi lui-même les CV. Ils sont peu onéreux à opérer avec l’immense bassin de pigistes disponibles et enfin ils sont des plus résilients à la rotation des ressources (turnover), car tout pigiste peut être remplacé par un autre. De tout temps, les firmes-conseils ont fait appel aux pigistes, mais c’était pour aller chercher des profils et des savoirs très rares, très spécialisés. Aujourd’hui, pour certains membres de l’industrie, c’est une stratégie corporative, permettant d’aller chercher le meilleur prix de revient.

Après la crise

La fin de la crise pour l’industrie des services-conseils en TI se remarquera par l’arrivée d’une vaste « foire d’empoigne » dans son marché. Il va y avoir du rififi dans la consultation. Et les plus gros ne seront pas nécessairement les plus dangereux. Bien sûr, il y aura les drames de ceux qui n’auront pas survécu ou qui seront moribonds, amaigris et faméliques par le manque chronique de contrats rentables et la précarité des contrats « alimentaires ».

Il y aura ceux qui auront survécu et qui ne sauront pas vraiment pourquoi, ni comment, ils ont connu ce succès en période difficile, mais qui, avec la reprise et sans savoir pourquoi, n’obtiendront plus de contrats. La sélectivité des clients aura aussi été imprégnée par la crise et aura évolué.

Les clients seront dès lors plus difficiles, requerront plus de confiance et exigeront plus de sécurité. Ils seront plus aux aguets de la finesse des réponses à leurs demandes, ils voudront des TI plus vertes, en réalité ou en apparence. Ils voudront des offres plus équitables et voudront se comporter comme de « bons citoyens ».

Il y aura également ceux qui auront connu une certaine croissance pendant la crise et présenteront un excellent potentiel d’avenir. Souvent de taille moyenne, certains de ces fleurons de l’industrie prendront leur envol pour la réussite et le succès, et d’autres se feront absorber, comme un petit poisson par un plus gros, en quête d’une croissance rapide. C’est de la croissance, mais pas toujours bénéfique à long terme, par acquisitions.

Il y aura des candidats importants et prometteurs sur le marché qui ne parviendront pas à profiter de la reprise, par manque de ressources stratégiques, devenues rares mais nécessaires en période de croissance accélérée. C’est une gestion réactive, peu stratégique et certainement pas visionnaire.

Ceux qui auront été plus tenaces dans l’adversité et seront allés chercher la patience de leurs investisseurs auront à l’inverse joué, par le fait même, la carte du client. Ces firmes seront en bien meilleure position pour surfer sur la vague houleuse et dangereuse de la reprise. Certes, il y a aussi ceux qui sont dans le clan sélect des gigantesques entreprises à rayonnement international, dont le pouvoir financier est un levier solide pour traverser la crise. Ils joueront localement leurs cartes au mieux et de façon stratégique, en sachant que, de toute façon, leurs gros intérêts et leurs territoires de développements corporatifs sont ailleurs.

En conclusion, l’industrie des services-conseils en TI est à l’une de ses multiples croisées de chemin qui vont la transformer en profondeur. Transformation organique qui, économie ou pas économie, crise ou pas crise, était déjà en progression. L’impact conjoncturel de la crise économique n’a fait qu’accélérer quelque peu le mouvement. Il a surtout offert à cette industrie un colossal terrain de confrontation, un important défi de survie et une occasion inespérée de tester, en situation réelle, de nouvelles approches commerciales, de nouveaux types de gestion interne et de tisser avec ses ressources humaines des liens différents, afin de bâtir l’avenir.

Ce grand chambardement de l’industrie des services-conseils en TI aurait pu être « une révolution tranquille », mais la crise économique en a fait les Jeux olympiques de la souplesse, de l’adaptabilité, de la clairvoyance, de la confiance, de la ténacité, de la performance, de la compétence et de la satisfaction des clients. Qui seront les leaders du marché, qui seront les gagnants? Qui ira de sa contre-performance? Qui sombrera et disparaîtra avec la reprise?

Loin de nous toute intention de dénigrer ou de nuire à cette industrie des services-conseil qui nous tiennent à cœur. Mais nous savons que le « brasse-camarade » s’en vient. Aussi, les arguments précédents ne se veulent nullement un procès d’intention, mais une indication d’où et pour quelles raisons les vents violents vont souffler.

Comment choisir?

C’est la partie la plus faible de la relation entre les clients et l’industrie des services-conseils en TI. Les clients ne disposent d’aucun outil fiable pour classifier et évaluer les profils des compagnies présentes sur le marché.

Le choix se fait en partie sur la lecture de CV, de plus en plus courts et de moins en moins informatifs; en partie sur la réputation intuitive de l’entreprise; en partie sur le travail difficile des vendeurs chargés du développement des affaires de la firme. Vendeurs, dont il faut respecter le travail, car parfois cette activité est une des plus ingrates qui soient. Et enfin, le choix se fait sur le prix.

Mais aucun outil ne permet d’avoir une idée factuelle sur la capacité de la firme à faire le travail, à le poursuivre dans le temps et à livrer le résultat. Tout est souvent une affaire d’individualité. Pourtant, en termes de relation de clients à fournisseurs, les choses devraient se passer sur un autre plan. Quand on achète une voiture ou que l’on fait construire sa maison, le choix se fait-il sur les CV des individus qui les construisent?

Avoir un outil de taxinomie, un palmarès annuel de choix et d’évaluation factuelle permettrait de redistribuer les responsabilités à ceux à qui elles incombent. De la firme spécialisée en conseil stratégique à la firme spécialisée en placement de ressources, entre les deux tous les intermédiaires sont possibles : les firmes de conseil en gestion, les firmes de développement de systèmes, les intégrateurs et tous les panachages éventuels. Difficile de s’y retrouver d’autant qu’aujourd’hui, nombre de conseillers passent d’une firme à l’autre avec une célérité peu commune.

En outre, presque toutes ces firmes répondent à l’ensemble des appels d’offres et se prévalent pour la réalisation de quasi tous les mandants potentiels. Il serait temps que les choses se clarifient. Mais cela ne viendra pas de l’industrie elle-même: elle n’est pas assez soudée et en trop forte concurrence. Enfin, ce ne sont pas les certifications professionnelles privées, de tous poils, qui feront la différence. Elles sont bien plus un élément marketing de différentiation concurrentielle qu’un élément de protection pour le client. Espérons que la fin de la crise stimulera la création de ces outils destinés aux clients.


Portrait de famille

Depuis, le visage de cette industrie a bien changé. De nombreuses autres firmes sont apparues, comme APG, Cognicase, Informission, SIBN, ainsi qu’une multitude d’entreprises de tailles diverses, avec André Poirier, Ronald Brisebois, Jacques Topping et Richard Carter.

Les firmes comptables se sont toutes dotées d’un département de services-conseils. Puis, il y eut une vague d’acquisitions au sein même de l’industrie, qui a fait se concentrer le nombre de joueurs majeurs et a permis la croissance de certains autres.

Le phénomène le plus marquant fut probablement les acquisitions successives de plusieurs joueurs importants par des manufacturiers informatiques. C’est LGS qui est acquis par IBM, DMR qui est absorbé par Amdahl, puis par Fujitsu, etc.

Une exception importante dans ce bal, CGI, qui n’est pas absorbée, mais qui, pour sa part, intégra IST, APG, Cognicase, SIBN et plusieurs autres. Aujourd’hui, au Québec, c’est plusieurs centaines d’entreprises de toutes tailles, de toutes envergures et de multiples spécialités qui se prévalent d’être des ressortissants de l’industrie des services-conseils en TI, aux côtés de quelques géants.

Gérard Blanc est associé principal d’une firme conseil en gestion et en systèmes d’information.

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