Des organisations québécoises appliquent des critères d’approvisionnement où les fournisseurs doivent respecter une philosophie de développement durable. Les fournisseurs, tout comme d’autres organisations, démontrent leur intérêt et une volonté de coopération. Voici deux initiatives.
Le concept de l’informatique verte prône une utilisation efficace des technologies de l’information et des communications (TIC) en fonction de l’impact environnemental, de la viabilité économique et de la responsabilité sociale. Des organisations québécoises ont intégré des critères liés au développement durable dans leurs processus de sélection des fournisseurs de matériel technologique. À cet égard, la relation en est une de coopération et non de confrontation.
Le Mouvement Desjardins est l’un des plus importants employeurs au Québec. Le groupe financier coopératif, qui emploie 40 000 personnes, exploite plusieurs filiales, dont un réseau de caisses et de centres de services dont la majeure partie des établissements est située au Québec. Jocelyne Lalande, qui est conseillère en approvisionnement à la direction des achats chez Desjardins, est spécialisée en développement durable. Elle explique que la politique d’achat de l’organisation a été adaptée en 2006, lors de l’adoption d’une politique de développement durable, afin d’y ajouter des critères liés aux concepts de l’informatique verte.
« Les fournisseurs sont évalués en rapport à leurs produits lors d’un appel d’offres. Certains critères, comme le respect de la norme Energy Star, sont devenus des éléments de base au fil des ans. Mais les gestes posés par le fournisseur en matière de développement durable sont également évalués », indique Mme Lalande, en précisant que les acheteurs utilisent une liste de questions à poser aux soumissionnaires.
« On demande au fournisseur comment le développement durable est appliqué autant au niveau des produits que de l’entreprise. Nous voulons savoir où sont assemblés les équipements et s’ils sont [fabriqués] par des gens dont on respecte les conditions de travail selon les normes de l’OIT et qui sont bien rémunérés. [Le fournisseur] est-il socialement impliqué avec des entreprises qui font de la récupération? A-t-il adhéré à des certifications? »
Préparations
La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a été la première entité du gouvernement québécois à avoir appliqué des critères de développement durable lors de l’acquisition de matériel informatique.
Serge Bégin, qui est chef de division au Service d’approvisionnement, était récemment arrivé au ministère lorsque la SAAQ a entrepris le processus d’acquisition de moniteurs plats à écrans ACL. Il explique qu’il a proposé au ministère qu’on interroge les fournisseurs afin de savoir s’ils étaient associés au développement durable, afin de préparer en quelque sorte le marché à l’ajout de nouveaux critères.
« La Loi sur le développement durable avait été votée la même année. Nous voulions leur indiquer que nous allions, lors des prochains appels d’offres, être un peu plus précis au niveau des demandes d’acquisition de matériel informatique », explique-t-il en précisant que les moniteurs acquis répondaient aux éventuels critères avant qu’ils ne soient imposés.
Lorsque la SAAQ s’est préparée à acquérir des postes de travail et des blocs-notes, à l’été 2007, une recherche a été entamée afin d’identifier les critères associés au développement durable qui pourraient être exigés de la part des fournisseurs. Pour ne pas perdre le fruit des recherches sur le sujet, explique M. Bégin, les résultats de la recherche ont été regroupés dans un recueil nommé Trousse d’acquisition écoresponsable, qui est destiné aux acheteurs en charge des acquisitions technologiques. Cette trousse regroupe autant des normes associées aux processus de gestion responsables, comme la norme ISO 14001, que des normes associées aux produits, comme les étiquettes écologiques TCO ou EnergyStar.
Surtout, souligne M. Bégin, l’exercice a permis la découverte d’un outil d’évaluation environnementale des produits électroniques, nommé EPEAT (Electronic Product Environmental Assessment Tool) qui a été développé de façon volontaire aux États-Unis par de grands joueurs du domaine informatique et par l’organisme Green Electronic Council. Les fabricants et les distributeurs de matériel informatique, par le biais d’un site Web, indiquent où se situent leurs produits en vertu de 51 critères obligatoires et optionnels afin d’obtenir une cote « bronze », « argent » ou « or ». D’ailleurs, le gouvernement américain oblige les agences fédérales à recourir à ce site lors de l’achat de matériel informatique.
« Nous sommes des acheteurs qui ne sont pas nécessairement des spécialistes en développement durable. Les gouvernements commencent à se doter de responsables en développement durable, mais il nous fallait trouver un outil d’aide à la décision. Les critères que nous souhaitions attribuer au niveau de la responsabilité sociale, environnementale et économique étaient regroupés sous le chapeau de EPEAT », indique M. Bégin.
Proaction et collaboration
L’imposition de critères astreignants peut engendrer des réactions d’opposition ou de confrontation. Mais dans le cas des critères relatifs au développement durable, les fournisseurs de matériel informatique seraient plutôt proactifs et enclins à collaborer.
Mme Lalande, de Desjardins, indique que, lorsqu’une entente de fourniture est signée, l’entreprise financière et le fournisseur pourront collaborer afin que des technologies ou des équipements soient adaptés afin d’en améliorer le caractère écologique.
« On peut leur dire “cet élément est un peu plus faible – peut-on y travailler?” et ils se montrent ouverts [à effectuer des changements]. C’est sûr qu’on ne peut faire bouger un grand fournisseur du jour au lendemain, mais ils posent des petits gestes, tranquillement, qui mènent à une conscience sociale au niveau du développement durable. »
Elle précise également que des travaux sont effectués de concert avec le fournisseur des imprimantes, afin d’évaluer les impacts du recyclage des cartouches, mais aussi pour identifier des technologies qui permettraient de réduire la consommation du papier, comme la gestion documentaire ou le recours à la numérisation.
À la SAAQ, M. Bégin ne savait pas comment le marché réagirait à l’application de critères liés au développement durable lors des appels d’offres. Le sondage effectué en 2006, avant l’appel d’offres pour les moniteurs plats, visait à inciter les entreprises, surtout les fournisseurs québécois, à se préparer à une telle éventualité. Ainsi, avant l’appel d’offres pour l’acquisition des micro-ordinateurs, un avis d’appel d’intérêt a été émis sur le service électronique d’appel d’offres du gouvernement. Cette stratégie a eu plusieurs effets bénéfiques, affirme M. Bégin.
« Cet outil a permis d’aviser le marché que la SAAQ allait lancer un appel d’offres qui tiendrait compte du critère EPEAT ou d’un autre critère, en demandant “Si vous connaissez un autre critère, s’il vous plaît, faites-nous-le savoir.” Il n’y avait aucune obligation de réponse de la part des fournisseurs, mais six ont répondu favorablement en disant “oui nous sommes prêts, non il n’existe pas autre chose d’aussi complet sur le marché” ou “oui, nous sommes prêts à adhérer [à EPEAT] si on ne l’a pas encore fait” », explique-t-il.
« D’ailleurs, alors qu’une entreprise québécoise était déjà inscrite à EPEAT, une autre s’y est inscrite. Imaginez la visibilité que cela a donné au deuxième fabricant québécois de s’exposer sur ce site. Dans le fond, on a aidé le marché [des fournisseurs] québécois à se positionner au niveau nord-américain, mais aussi au niveau mondial, parce que c’est un site qui est utilisé par les [organisations] européennes et canadiennes. »
M. Bégin remarque également l’intérêt du marché, particulièrement celui des manufacturiers et des distributeurs québécois, envers la conformité aux critères de développement durable. « Il n’y a pas eu de contestation ou de points soulevés. Il y a eu des échanges informels avant et après l’appel d’offres, mais aucun n’a soulevé un inconfort en regard à la certification exigée », mentionne-t-il.
« Le secret a été de préparer le marché et de ne pas arriver avec une demande à brûle-pourpoint sans s’informer pour savoir si le marché est préparé à une certification quelconque », indique M. Bégin. Il ajoute que les critères EPEAT associés au développement durable, qui ne s’appliquent pour l’instant qu’aux moniteurs, aux ordinateurs de table et aux blocs-notes, seront appliqués à l’ensemble du matériel des TIC dans quelques années.
Partage
Alors que le développement durable au niveau des TIC suscite un intérêt croissant, l’esprit de collaboration se manifeste également au sein des utilisateurs des technologies.
M. Bégin raconte qu’il a été invité par le Forum des gestionnaires en ressources matérielles du gouvernement afin d’expliquer l’initiative de la SAAQ. Les commentaires émis durant la période de questions le portent à croire que cette façon de faire servira de modèle aux autres ministères et organismes et à la Direction générale des acquisitions. De plus, la coopération s’étendra sous peu à d’autres sphères du public et du privé.
« Le travail est trop vaste pour être entrepris seul dans son coin. Une table de concertation sera mise en place ce printemps par le gouvernement du Québec – qui inclura aussi les municipalités – afin de partager l’information. Si un ministère ou un organisme réussit à faire le travail pour l’acquisition d’un serveur dans le cadre du développement durable, et que ce n’est pas encore développé sur le site EPEAT, on pourra partager ces outils », indique-t-il.
La SAAQ a également participé à l’établissement d’un espace de concertation mixte qui regroupe une quinzaine d’organisations publiques et privées, dont Hydro-Québec, Bell, Bombardier, Gaz Métro, Desjardins, Alcoa, RONA et le Cirque du Soleil.
« Les échanges se feront par le biais d’un forum, d’un partage d’expérience, d’analyses de cycle de vie et d’analyses de coût global. Au lieu de faire cela chacun dans notre coin, on pourra partager cette ressource ensemble, pour aider les acheteurs qui ne sont pas des spécialistes en développement durable à acquérir des biens technologies de façon durable et responsable », indique M. Bégin.
Mme Lalande, de Desjardins, précise que l’entreprise compte sur la collaboration d’écoconseillers à l’interne qui aident à la recherche de critères nouveaux ou améliorés en développement durable. L’entreprise oeuvre aussi avec le Centre interuniversitaire de recherche en analyse du cycle de vie (CIRAIG) afin d’optimiser les cycles des produits des TIC. En amont, la sensibilisation et l’information des usagers responsables permettent aussi la prise de conscience des aspects de développement durable lors de l’identification des produits requis dans le cadre d’une requête d’achat.
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