Cédant aux pressions des entreprises de téléphonie traditionnelle, et prétextant la création d’un climat « plus compétitif » pour les consommateurs, le gouvernement Harper demande à l’organisme de s’abstenir de réglementer les services téléphonies à protocole IP.
Le ministre de l’Industrie du gouvernement du Canada Maxime Bernier a annoncé la modification par décret d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), plus précisément en rapport à la réglementation économique des services de téléphonie à protocole IP qui sont offerts par les entreprises traditionnelles de télécommunications.
Le décret, déposé le 9 novembre dernier par le Conseil privé du gouvernement du Canada, « modifie la décision Télécom CRTC 2005_28 […] de telle façon que, pour ce qui est des services VoIP locaux de détail indépendants de l’accès [qui constituent une classe particulière de services] fournis par les entreprises de services locaux titulaires à l’intérieur de leurs territoires de desserte, le [CRTC] s’abstienne d’exercer les pouvoirs et fonctions que lui confèrent […] la loi dans la mesure où il le fait pour les services de télécommunication locaux de détail fournis aux utilisateurs finaux par les entreprises de services locaux concurrents […]. »
« Nous demandons au CRTC de commencer à déréglementer les services de téléphonie Internet indépendants de l’accès, a déclaré le ministre Bernier dans une allocution prononcée à Toronto. Il s’agit des services qui sont accessibles par l’entremise d’une connexion Internet à large bande. Dans ce domaine, les barrières à l’entrée sont minimales. Il n’y a aucune raison de réglementer ce marché.
« Dans un secteur dynamique, il n’y a pas lieu d’imposer des règles pour certaines compagnies, alors que d’autres peuvent offrir les services qu’elles veulent aux prix qu’elles veulent. Il est temps d’adopter des règles du jeu équitables, dont les consommateurs et les petites entreprises bénéficieront. Nous croyons fermement qu’éliminer la réglementation économique inutile accroîtra la concurrence dans ce nouveau marché à croissance rapide, réduisant ainsi les coûts de la réglementation et les démarches réglementaires et en développant des marchés plus concurrentiels », a-t-il ajouté.
Les arguments du décret
Dans le décret adopté par le Conseil privé, le gouvernement semble s’être rangé du côté des entreprises de télécommunications traditionnelles, en affirmant que « les services VoIP locaux de détail dépendants et indépendants de l’accès sont très différents les uns des autres. »
Notamment, le décret remarque que les services locaux de téléphonie IP de détail qui sont dépendants de l’accès peuvent être offerts par le changement de la technologie du réseau d’accès local, et souligne que les fournisseurs de services indépendants d’accès n’ont pas à fournir le réseau sous-adjacent ni à obtenir la permission du fournisseur du réseau pour offrir leurs services aux clients sur ce réseau.
Le décret affirme que les services de voix sous IP dépendants de l’accès « sont en général impossibles à distinguer des services téléphoniques locaux traditionnels », tandis que les services indépendants de l’accès « sont très différents, étant donné qu’ils nécessitent un accès Internet haute vitesse, des combinés spéciaux, des adaptateurs ou l’utilisation d’un ordinateur, et qu’ils sont susceptibles d’être plus vulnérables à la détérioration ou à l’interruption de service ».
Le document stipule aussi que « les services VoIP locaux de détail indépendants de l’accès devraient être traités aux fins de réglementation comme une classe distincte de services téléphoniques locaux ».
Il invoque aussi l’article 7 de la Loi du CRTC qui traite de l’efficacité et de la compétitivité des télécommunications, du libre jeu du marché, de l’efficacité de la réglementation ainsi que de la stimulation de la R&D et de l’innovation pour la fourniture de services. Cet article affirme le caractère de nouveauté et de la rapide évolution de la téléphonie IP, ainsi que « l’intérêt public de sa mise en œuvre efficace par tous les fournisseurs de services de télécommunication. »
Le décret indique « qu’il y a beaucoup moins d’obstacles à l’entrée sur le marché des services VoIP locaux de détail indépendants de l’accès, étant donné qu’il n’est pas nécessaire de fournir des installations de réseau pour fournir ces services » et « que les services VoIP locaux de détail fournis par les entreprises de services locaux titulaires à l’intérieur de leurs territoires de desserte sont assujettis à la réglementation économique. »
Toutefois, le document contraignant précise que le CRTC pourra réglementer à nouveau les services indépendants de l’accès par les entreprises titulaires à l’intérieur de leurs territoires s’il conclut que la situation a changé « de telle sorte que le fait de continuer à s’abstenir de réglementer aurait vraisemblablement pour effet de compromettre indûment la création ou le maintien d’un marché concurrentiel pour la fourniture de ces services. »
Refonte en vue
Au printemps 2005, le CRTC avait rendu la décision Télécom CRTC 2005-28 intitulée « Cadre de réglementation régissant les services de communication vocale sur protocole Internet », qui interdisait notamment aux entreprises titulaires d’offrir leurs services en bas du prix coûtant.
En avril 2006, l’organisme annonçait une déréglementation de la téléphonie locale qui restreignait le champ d’action des entreprises traditionnnelles jusqu’à ce que les nouveaux joueurs détiennent 25 % du marché.
En mai 2006, le ministre de l’Industrie Maxime Bernier exigeait le retour de la décision au CRTC pour réexamen, mais en septembre dernier, l’organisme avait rendu sa décision initiale.
Peu avant le renvoi de la décision du CRTC, le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications publiait un rapport qui déclarait « qu’une réforme fondamentale est de mise dans les lois, règlements, politiques et institutions qui régissent les télécommunications. »
D’ailleurs, le ministre Bernier a dit oeuvrer à la préparation d’un programme d’action « ambitieux » pour le secteur des télécommunications. « En gros, ce programme vise à créer un nouveau cadre réglementaire plus moderne, plus souple et plus efficace. Je veux aussi accroître l’utilisation des forces du marché par ce secteur », aurait-il déclaré lors de son allocution.