Des responsables des technologies au sein d’organisations, des dirigeants d’entreprises de l’industrie des TIC et des observateurs répondent à trois questions liées à la thématique de notre dossier.
François Bergeron Professeur titulaire, Gouvernance des TI TÉLUQ-UQAM | Dary Morin Président, Symbiose Technologies Québec | Jean-François Côté Directeur général, Associé Facilité Informatique |
Qu’est-ce qui caractérise l’utilisation des appareils mobiles au sein des institutions gouvernementales?
François Bergeron : Au niveau organisationnel, il y a une faible utilisation, car les avantages des tablettes électroniques ne sont pas reconnus. Les gens, qui ne les ont pas essayées, ne sont pas portés à dire ‘j’en ai besoin’. On voit beaucoup de téléphones évolués au niveau des directions, mais on n’en fournit pas dans le reste de l’organisation. Tout comme pour l’ordinateur, les gouvernements seront des adeptes tardifs des appareils mobiles.
Au niveau technologique, des établissements craignent que des données confidentielles quittent l’organisation et d’autres déplorent l’absence d’une sauvegarde automatique du contenu. Aussi, on interdit ces appareils mobiles dans les hôpitaux, car on craint des interférences avec les appareils médicaux, mais le risque serait infiniment petit.
Au niveau économique, la tablette serait un redoutable outil de productivité. Elle pourrait retarder le renouvellement des ordinateurs portables ou des postes de travail, car le personnel se rendrait compte qu’il n’en a plus vraiment besoin.
Dary Morin : Malgré l’engouement qu’on voit partout, l’usage des appareils mobiles est y encore limité. On y voit une utilisation depuis quelques années pour la collecte de données sur le terrain par des inspecteurs, des enquêteurs et des évaluateurs. Pour la gestion des groupes opérationnels, la motivation est l’optimisation des processus, mais seulement 15 % à 20 % des gens ont de l’équipement informatique. Il y a encore beaucoup de papier, en raison d’une résistance au changement. Un autre usage, plus nouveau, vise la prestation électronique de services (PES) et la réalisation de quelques transactions sur des appareils mobiles. Les ministères et organismes se demandent s’ils emboîtent le pas ou non. La situation se compare à celle du Web il y a quelques années, où tous voulaient des catalogues intelligents : il y avait beaucoup de technologies et de fureteurs, il fallait faire des choix et c’était coûteux. En mobilité, il y a une multitude d’équipements et de systèmes d’exploitation et les coûts de développement sont importants. Aussi, l’expertise n’est pas encore très développée dans ce domaine, mais cela changera bientôt.
Jean-François Côté : Les appareils mobiles constituent des technologies relativement récentes. Les gouvernements, contrairement aux entreprises privées, attendront que les systèmes aient une certaine durée de vie avant de se lancer dans des applications de ce type. Mais les appareils mobiles pourraient être adoptés plus rapidement qu’Internet, où il a fallu attendre la fin des années 90 avant qu’on l’exploite pleinement. Il pourrait y avoir une utilisation poussée des appareils mobiles qui contiendraient des informations personnelles sur les clients. Cela prendra du temps, car il y a une question légale à l’égard de la circulation du personnel avec ces informations. Par contre, la saisie de données qui seraient ensuite retravaillées au bureau pourrait venir plus rapidement. Le marché poussera le gouvernement à aller plus rapidement vers les applications mobiles.
Est-ce que le recours à l’informatique en nuage et au logiciel service comporte des conditions particulières?
François Bergeron : Il y a une question de confidentialité et de sécurité des données : les gouvernements ne peuvent les stocker dans le nuage aux États-Unis, où le Patriot Act permet au gouvernement américain de les consulter quand il le désire. Aussi, il est difficile de trouver des gens spécialisés en informatique en nuage, et c’est autant difficile d’en recruter dans l’entreprise publique.
Mais le logiciel service constitue une grande opportunité d’économie pour les gouvernements. Au lieu que chaque institution ait son propre système avec ses particularités, il n’y en aurait qu’un seul. Il y aurait des contraintes, mais surtout des avantages, notamment au niveau des mises à jour. Il faut faire accepter aux dirigeants, aux utilisateurs et aux informaticiens de l’entreprise publique l’idée d’uniformiser l’utilisation des services et des logiciels. Je juge que c’est extrêmement difficile à accomplir dans un milieu parapublic.
Dary Morin : Les moeurs devront changer, et cela ne pourra se faire en claquant des doigts. Imaginez un gestionnaire TI qui développe ses actifs depuis 20 ans, et qu’on lui promette qu’en poussant tout cela vers le nuage ce sera plus facile et moins coûteux […] Les inquiétudes les plus importantes sont liées à la sécurité de l’information, mais aussi aux ententes de service ainsi qu’à la qualité et à la disponibilité du service lorsqu’on ne sait pas où il se situe. Il y a également la question des dépendances envers les fournisseurs, en cas de panne. Même si c’est légitime, il ne faut pas oublier les dizaines et centaines de millions de dollars en investissements passés qu’il faut justifier. Si du jour au lendemain on pousse vers le nuage certaines composantes, cela peut laisser un goût amer. L’informatique en nuage est là pour de bon, mais se mettra en place lentement.
Jean-François Côté : Encore une fois, en raison d’un volet légal, le gouvernement du Québec ne permet pas qu’on ait des informations personnelles sur les citoyens dans des bases de données qui seraient situées aux États-Unis, en Europe ou ailleurs. Cela dit, il pourrait y avoir un nuage privé au niveau du gouvernement, qui serait hébergé entièrement au Québec, ce qui constituerait une avenue intéressante. Ici encore, nous sommes au début d’une technologie qui pourrait prendre plus de temps à être adoptée que les appareils mobiles, en raison du contexte légal.
Quel est l’avenir des systèmes patrimoniaux au sein des organisations gouvernementales?
François Bergeron : Un jour ou l’autre, tout système devient patrimonial! En pratique, on manque de ressources qui ont les compétences requises envers les vieux systèmes. Les coûts de production de l’information de gestion sont très élevés, car leurs bases de données ne sont pas conçues pour cette tâche. Pour obtenir cette information, il faut beaucoup de temps ou d’argent, et souvent les gestionnaires abandonnent l’idée.
Les systèmes patrimoniaux tournent encore parce qu’on y a investi des sommes énormes au fil du temps et que le coût de leur remplacement est très élevé. Dans un contexte d’organisation publique sans concurrence, on est parfois moins pressé à faire les changements. On attend d’être coincé, et il y a alors une pression sur l’organisation pour qu’on effectue un changement. On commence à remplacer de gros systèmes par des progiciels qu’on implante dans plusieurs ministères ou organismes publics. Les systèmes de mission seront revus, mais ils resteront en interne, car ils sont propres à l’activité réalisée. Toutefois, les systèmes qui pourront être uniformisés et normalisés devraient être envoyés dans le nuage.
Dary Morin : Il n’y a aucune inquiétude à avoir envers l’existence des systèmes patrimoniaux – ils seront bien présents dans dix ou vingt ans. Toutefois, il y aura de l’évolution au niveau du développement et de l’hébergement. Depuis quelques années on parle d’une architecture orientée services, mais elle sera appelée à se raffiner. Les services seront de plus en plus hébergés dans le nuage. Les systèmes de mission des gouvernements utiliseront davantage des systèmes commerciaux, en totalité ou en partie. Les systèmes patrimoniaux 100% « faits maison » diminueront de façon importante, car les gouvernements n’ont plus les moyens, ni d’avantage à partir continuellement d’une page blanche pour le développement de leurs systèmes informatiques.
Jean-François Côté : Les systèmes patrimoniaux fonctionnent encore très bien. Ils sont efficaces, rapides, et les gens savent les utiliser. Mais avec les départs à la retraite, on commence à perdre les connaissances au niveau de ces systèmes. Aussi, des fabricants ne supportent plus ces systèmes. Il faut commencer à les mettre au goût du jour, avec les nouvelles technologies. Des systèmes permettent d’ajouter une couche au-dessus des systèmes patrimoniaux, ce qui permet d’ajouter une enveloppe sans toucher au système principal.
Mais sera-ce viable durant encore dix ou quinze ans? On est loin d’en être sûr. Voudra-t-on simplement tout redévelopper? C’est une question à laquelle les responsables des TI devront répondre. Puisque la refonte des systèmes patrimoniaux implique des projets de très grande envergure, les ministères et organismes en profiteront pour examiner s’ils répondent aux besoins actuels et s’il faut y ajouter des éléments.