DROIT ET TI – Qu’est-ce qui arrive lorsque le témoin livre un témoignage qui est contraire à ce qu’il a écrit à son propre sujet sur Facebook ?
Bien que le récit suivant et la jurisprudence qui en ressort touchent le droit du travail, leur élément le plus important concerne Facebook et la preuve qui peut en résulter dans un dossier de Cour.
Monsieur NF (Nom Fictif!) est chauffeur d’autobus pour la Société de transport de Montréal (réseau des autobus). À une audience récente devant la Commission des lésions professionnelles, NF, témoignant dans sa propre cause, explique qu’un matin d’été de 2008, dans le cadre de son travail, il devait faire une « vérification avant départ » de l’autobus qu’il s’apprêtait à conduire durant la journée. Il avait une procédure à suivre et 10 minutes pour effectuer cette vérification avant départ. Selon lui, il s’agissait d’un vieil autobus et les cylindres qui devaient s’emplir d’air, en particulier ceux faisant partie du mécanisme d’ouverture des portes, prenaient davantage de temps à se mettre en fonction que sur un modèle plus récent.
À un certain moment en continuant sa vérification, il dit avoir voulu aller plus rapidement alors que les portes se sont bloquées. Il a témoigné à l’effet qu’il a néanmoins voulu ouvrir les portes et s’est blessé.
NF, continuant son témoignage, dit qu’il a terminé sa vérification avant départ en utilisant ses deux bras, puis a effectué son premier quart de travail qui s’est terminé à 9 h 38.
Après cela, il se rend chez lui, applique du baume pour les douleurs musculaires et revient travailler afin de faire son deuxième quart de travail, qu’il termine. Il utilise davantage son bras droit que son bras gauche pour conduire, car son bras gauche est plus sensible. À la fin de la journée, il se met de la glace, puisque la douleur est plus intense. Durant la nuit, c’est pire, il a des élancements continus au niveau de l’épaule. Le lendemain matin, soit le 8 juillet 2008, il a de la difficulté, selon ses dires, à « tasser son rideau de douche ». Il retourne quand même au travail, mais ne peut continuer.
Lésion professionnelle
Les notions de lésion professionnelle et d’accident du travail sont définies à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles:
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail (je souligne), ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation;
Le tribunal devait donc déterminer si a) il y avait blessure et b) si la blessure était le résultat du travail de NF.
Le Législateur a aussi prévu une présomption de lésion professionnelle à l’article 28 de la loi:
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
Si le travailleur démontre, par une preuve prépondérante et notamment par son témoignage, que les faits donnent ouverture à l’application de l’article 28 mentionné précédemment, la lésion professionnelle est alors présumée. Pour ce faire, le travailleur doit démontrer qu’il a subi une blessure sur les lieux du travail, alors qu’il était à son travail.
Par ses explications contenues dans son témoignage, NF a voulu bénéficier de la présomption en question. Le problème, c’est que les informations disponibles à son sujet dans Facebook étaient bien différentes de celles contenues dans son témoignage.
Les informations de Facebook
Durant les mois de juillet et août 2008, NF participe à quatre biathlons et triathlons, soit les 12 juillet, 27 juillet, 10 août et 16 août, tel qu’il appert des documents déposés par l’avocat de l’employeur et provenant de la page Facebook de NF. Lors des triathlons, il parcourt en général 750 mètres de natation, 20 kilomètres de vélo et 5 kilomètres de course à pied.
Confronté à ce qu’il avait lui-même écrit sur sa page Facebook, NF essaie de s’expliquer. Les explications ne suffisent pas au tribunal, qui écrit « Quant au biathlon du 12 juillet 2008, il tente de dire qu’il faisait les épreuves comme « une marche du dimanche », qu’il accompagnait sa conjointe qui commençait, qu’il faisait un « jogging relax » et pédalait « d’une main, doucement ».
Le tribunal ajoute : « Quant au triathlon du 27 juillet 2008, le travailleur tente de dire qu’il se sentait ” relativement bien “, qu’il commençait un retour ” graduel ” à la mise en forme. Le tribunal ne considère pas que trois quarts de kilomètres de natation, 20 kilomètres de vélo et 5 kilomètres de course peuvent être considérés comme étant ” un retour graduel à la mise en forme “. Encore une fois, le travailleur tente de minimiser son implication dans le sport disant que le 750 mètres de natation était ” pour lui, une ballade du dimanche “. De plus, il avait affirmé plus tôt en audience être encore en arrêt de travail à ce moment, puisqu’il avait encore des “É peaks de douleur durant cette période “. Tout cela est non crédible. »
Conclusion du tribunal
En se basant sur les contradictions entre le témoignage du travailleur et les documents disponibles sur sa page Facebook, la Commission des lésions professionnelle déduit qu’il n’est pas crédible et décide qu’il n’a pas subi de lésion professionnelle.
La Loi sur le cadre juridique des technologies de l’information fait en sorte que les données sur support informatique valent tout autant que les documents sur papier. Si NF avait décrit ses exploits dans un magazine spécialisé, n’aurait-on pas considéré normal que les écrits de NF lui soient opposés en preuve?
Le tribunal peut assimiler les écrits d’une partie sur Internet, qu’ils aient été déposés sur Facebook ou ailleurs, à de tels articles de magazine.
Qu’est-ce qui était vrai? Le récit de NF à la Cour, alors que les exploits contenus sur Facebook étaient des exagérations pour épater la galerie? Ou encore les faits décrits sur Facebook, le témoignage à la Cour ayant pour but d’obtenir une indemnité pour une blessure qui n’était pas une lésion professionnelle?
La contradiction entre les deux aura complètement miné la crédibilité de NF.
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.