Pas encore présents au Canada, les téléphones intelligents fondés sur la plate-forme en code source libre Android de Google font beaucoup parler d’eux et suscitent de l’intérêt. Google parviendra-t-il à redéfinir les règles de ce marché?
En cette fin d’année 2008, il y a des appareils de Nokia, de Sony Ericsson, des Treo, des Samsung, des LG, des HTC et autres utilisateurs de Windows Mobile, Symbian ou Palm OS. Mais les seuls téléphones intelligents dont on entend vraiment parler, ceux au sujet desquels on se fanatise sur les blogues et ailleurs, sont les Blackberry, les iPhone et les appareils à base d’Android, le système d’exploitation Open Source (noyau Linux) de Google qu’on retrouvera dès l’été 2009.
Blackberry : l’outil corporatif
La valeur sûre, c’est-à-dire la valeur la plus ancienne, dans cette catégorie, est la famille Blackberry, une écurie de petits appareils fabriqués par la société Research in Motion (RIM) établie à Waterloo (Ontario). Typiquement, ce sont des assistants personnels (PDA) auxquels on a ajouté des fonctions téléphoniques, des appareils que l’on vénère surtout pour leur habileté à recevoir et envoyer des courriels (clavier QWERTY optimisé pour les pouces) dès qu’ils détectent un réseau cellulaire. C’est ce qui leur a valu le surnom de Crackberry, une allusion au crack, ce dérivé de la cocaïne qui arrive à créer la dépendance très très rapidement.
Le Blackberry est à la communication ce qu’IBM était à l’informatique d’entreprise : on disait à l’époque que personne ne se faisait congédier en recommandant IBM à son patron. C’est la même chose avec RIM. D’une part, le système d’exploitation se nomme Blackberry OS, un SE qui collabore intimement avec Exchange Server (Microsoft), GroupWise (Novell), ainsi que Notes et Domino (Lotus/IBM), bref avec les grands logiciels de communication que l’on remarque en entreprise. D’autre part, on y retrouve des logiciels comme Blackberry Enterprise Server (BES) qui intègre parfaitement bien le petit appareil dans le grand tout informatique de l’organisation. C’est cette caractéristique qui en a fait un dispositif très respecté chez les porteurs de costars.
C’est ce qui explique que le Blackberry a été intégré dans la caricature du cadre corpo, comme l’était déjà son habit, sa cravate, ses options et sa mallette. Il ne viendra à l’esprit à personne d’imaginer cet appareil sur une table de travail d’artiste, de consultant autonome ou de pigiste, même s’il y en a. Par exemple, au Canada, les gouvernements en utilisent des quantités ahurissantes, un marché où ce n’est pas demain la veille que pourra pénétrer le iPhone.
iPhone : pour le gadgetomane rebelle
Chouchou de Steve Jobs, PDG d’Apple, le iPhone est très différent du Blackberry même s’il fait essentiellement le même travail. Son SE étant un dérivé du Mac OS X, il est à la fois solide, convivial, agréable et amusant. Mais il n’arrive toujours pas à communiquer avec tous les environnements corpo. Pour l’instant, il est limité à Exchange de Microsoft. Côté courriel, il accuse, là aussi, une certaine faiblesse. Dans la version actuelle, son clavier est virtuel et ne se couche pas à l’horizontale comme bon nombre d’autres applications iphonesques quand on tourne l’appareil sur le côté. Taper un message peut alors devenir un travail de bénédictin.
Mais d’un autre côté, il donne accès à une masse inouïe de petits logiciels (AppStore), la plupart amusants, des produits généralement vendus aux alentours de deux dollars. Son écran tactile de 3,5 pouces, sa possibilité d’afficher une page Web sur le côté et de la faire grossir en la tapant du doigt en font un « client » Web très prisé. Pourtant, comme les responsables informatiques ne peuvent bloquer ce genre d’accès au WWW aussi simplement qu’ils le peuvent avec le Blackberry grâce au logiciel BED, le iPhone demeure persona non grata en entreprise.
Encore ici, on l’a intégré dans la caricature de l’artiste, du rebelle, du gadgetomane. L’utilisateur du iPhone portera des jeans, un t-shirt, sera progressiste et aimera s’amuser, écouter de la musique et visionner des balados.
L’état du marché
En fait, le iPhone serait au monde des communications ce que Apple aurait aimé que le Mac soit à l’informatique. Car il s’en vend des iPhone. Par exemple, au troisième trimestre 2008, la firme de recherche Gartner accordait au bidule 3G d’Apple une part de 12,9 % du marché mondial, contre 15,9 pour l’appareil de RIM. C’est toutefois Nokia qui était le numéro un avec une part de marché de 42,4 %. Or, cela représentait une baisse de 3,1 %, comparativement au Blackberry qui, lui, venait de croître de 81,7 %, et au iPhone qui venait de bondir de… 327,5 %.
Bref, la techno à la sauce Windows Mobile, Symbian ou Palm OS est en chute. En revanche, celle de type Blackberry ou iPhone est en croissance rapide, l’un chez les cadres et autres « road warriors », l’autre chez les indépendants et autres amateurs de beaux gadgets.
Place à Android
Or voilà que sur ce tableau facile à comprendre, un troisième joueur important, Google Android, est sur le point de venir brouiller les cartes. Ici, c’est l’asiatique HTC qui faisait office de précurseur, en septembre dernier, avec son (décevant?) HTC G1, là, c’est Sony Ericsson qui annonçait sa décision d’en lancer un modèle mieux conçu dès l’été prochain. La semaine dernière, c’est l’Open Hanset Alliance, une association industrielle de 47 fabricants tous dédiés à l’Android, qui pavoisait avec l’ajout des derniers grands noms, dont ceux de ARM, ASUSTek, Garmin, Toshiba et Vodafone.
Aux États-Unis, alors que AT&T, le numéro un de la mobilité, s’occupe du iPhone en exclusivité, que plusieurs géantes dont le no 2 Verizon, offrent des Blackberry, c’est le no 4, T-Mobile, une filiale de Deutsche Telekom, qui est en piste pour cueillir Android. En fait, c’est avec la collaboration de cette multinationale que Google vient de mettre en marché un appareil assez dispendieux destiné aux développeurs munis du SDK d’Android.
Il ne fait nul doute que ce nouveau joueur fera couler beaucoup d’encre. Il suffit d’aller se faire jouer les quelques vidéos sur le site spécifique pour avoir l’eau à la bouche (et il y en a bien d’autres sur YouTube). On parle de liens entre les adresses affichées sur un site et Google Map, de photos prises par l’appareil qui, grâce à la magie du XML, ont, elles aussi, un lien avec Google Map, de fonctions copier-coller, de téléchargement de MP3, de gestion de photos, etc.
Le meilleur des mondes?
La question est maintenant de savoir à qui Android va nuire. Porteur des espoirs Open Source, agréable comme un iPhone, dit-on, et sécuritaire comme un Blackberry, dit-on aussi, il semble qu’il fera principalement du tort aux plateformes plus anciennes, celles qui perdent déjà du terrain. Peut-être arrivera-t-il à ralentir la poussée du iPhone, mais ce n’est pas certain.
D’ici le lancement des premiers modèles Sony Ericsson, Apple aura deux bonnes occasions de présenter des versions revampées de son téléphone fétiche, notamment le Macworld de janvier prochain. Quant à RIM, on sait qu’elle a déjà des bricoles en chantier et qu’elle ne s’assoira pas sur le récent lancement du Blackberry Storm. Sans compter que juin 2009, ce pourrait être le pire du pire en ce qui concerne l’actuelle récession, dit-on encore. Peut-être que grâce à Google, il y aura un ménage, une simplification de l’offre dans le monde du téléphone intelligent, c’est-à-dire la disparition de produits dépassés et peu intéressants.
On verra bien assez tôt!
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.
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