Une étude exploratoire souligne qu’une pénurie de main-d’oeuvre guette les exploitants de systèmes patrimoniaux. L’organisme suggère la prévoyance par l’établissement d’une formation particulière, de concert avec les institutions d’enseignement, pour inciter des groupes d’individus à y faire carrière.
Un peu à l’image des voitures anciennes, les systèmes qualifiés de patrimoniaux ne sont plus implantés pour l’exploitation de nouvelles applications, mais leur état de fonctionnement et leur l’efficacité font en sorte qu’ils rendent encore de fiers services. Les gouvernements, les banques et les compagnies d’assurances et les fournisseurs de services publics utilisent encore plusieurs systèmes de la sorte.
Or, c’est la disponibilité des ressources humaines aptes à en faire l’entretien et la programmation qui pourrait s’avérer problématique dans quelques années. C’est ce dont traite l’organisme TechnoCompétences, voué à l’étude des besoins en main-d’oeuvre de l’industrie québécoise des TIC, dans le document « Étude exploratoire sur les systèmes patrimoniaux des entreprises et leurs exigences de compétences ».
Pour cette étude vouée à la constatation de l’état des lieux, TechnoCompétences a rencontré des représentants et des gestionnaires d’organisations publiques et privées tout comme des firmes de services-conseils. Une dizaine de directeurs généraux d’entités gouvernementales ont également été sondés par l’organisme.
Un peu comme les garagistes experts dans la restauration des moteurs non électroniques deviennent rares, le départ à la retraite des personnes qui ont oeuvré à l’exploitation de systèmes centraux implantés entre les années 1970 et 1995 – avec une majorité de systèmes instaurés dans les années 1980 – entraînera une pénurie de personnes compétentes. Qui plus est, la prestation de l’enseignement dédié aux systèmes anciens est pratiquement disparue du curriculum des institutions québécoises, sans compter que d’autres spécialités – par exemple jeu vidéo – suscitent beaucoup plus d’intérêt de la part des étudiants qui définissent leur choix de carrière. En parallèle, les fournisseurs ont délaissé le développement de ces systèmes d’époque pour se concentrer sur d’autres technologies plus « modernes ».
TechnoCompétences évalue qu’entre 4 700 à 9 400 personnes travailleraient sur les systèmes patrimoniaux au Québec, sur près de 19 000 personnes qui oeuvreraient sur les systèmes informatiques. L’organisme évalue que chaque année, au cours des deux prochaines décennies, de 275 à 550 personnes qui savent exploiter des systèmes patrimoniaux auront complété leurs années de service et remettront leurs cartables et leurs sarraus à leurs employeurs. On souligne notamment que 80 % des personnes qui savent programmer en COBOL ont commencé leur carrière entre 1965 et 1985.
Soulignons que les chiffres de TechnoCompétences sont des hypothèses. À partir du « total d’emplois dans les grandes entreprises québécoises à siège social au Québec incluant les agences gouvernementales et les ministères québécois » (531 741 personnes en 2007), l’organisme évalue que 7,5 % de l’emploi est occupé par les ressources TIC (39 880 personnes). De ces personnes, TechnoCompétences fait l’hypothèse que 5 personnes par organisation, soit 47,3 % des postes en TIC, travaillent à l’entretien et l’exploitation des systèmes informatiques (18 863 personnes). De ce nombre, l’organisme formule les deux chiffres hypothétiques quant au nombre de personnes qui travaillent sur les systèmes patrimoniaux, donc 25 % ou 50 % de ce dernier sous-ensemble de main-d’oeuvre.
Soulignons que les données de base n’incluraient pas la main-d’oeuvre d’entreprises dont le siège social est situé hors du Québec, ni celle qui oeuvre pour les agences et ministères fédéraux et municipaux.
Une situation en évolution
Certes, plusieurs organisations oeuvrent au remplacement de leurs systèmes d’une autre époque, autant au niveau du matériel que des logiciels. Aussi, des fournisseurs, comme le distributeur du langage COBOL Micro Focus et IBM, offrent une latitude pour permettre l’utilisation de langages plus modernes et même d’établir des passerelles vers Internet.
Néanmoins, TechnoCompétences craint que des entités organisationnelles, dans cinq à dix ans, soient confrontées à un manque de main-d’oeuvre qui détient les connaissances et les aptitudes requises pour assurer que leurs systèmes patrimoniaux fonctionnent à merveille, jusqu’à ce qu’ils puissent être remplacés. En 2014, le bassin de main-d’oeuvre compétente pourrait avoir diminué du quart. Du même souffle, l’organisme estime qu’il est impossible de penser que tous les aïeux des systèmes informatiques auront été débranchés dans dix ans.
Des problématiques et des risques
Les deux principales problématiques identifiées à propos des systèmes patrimoniaux auraient trait à l’assurance de l’évolution des environnements techniques, si le soutien des fournisseurs n’est pas confirmé, et à l’assurance de la maintenance et de l’évolution des applications si le personnel compétent devient épars. Ces causes, selon la firme Gartner, justifieraient au moins le tiers des projets de modernisation d’applications jusqu’en 2010. Les autres problématiques seraient l’enjeu du renouvellement de la main-d’oeuvre en situation de désistement des écoles et des élèves, la modernisation des applications patrimoniales à un coût raisonnable, l’élimination de la lourdeur et de la rigidité qu’entraînent ces applications sur les processus de travail et le retour à une agilité organisationnelle.
D’ailleurs, l’étude exploratoire cite une étude du National Computing Centre de 2006 qui identifiait les principales préoccupations des entreprises, soit le manque d’agilité pour aligner les systèmes et les besoins d’affaires (58 % des répondants), l’intégration et la complexité (42 %), le manque de compétences et de connaissances (36 %), le coût du support et du maintien (28 %), les délais pour procéder à des changements (25 %) et le nombre d’incidents et d’anomalies (9 %).
D’autre part, les risques qui pourraient être encourus par les organisations qui procèdent à la modernisation de leurs systèmes sont la déstabilisation du travail au quotidien et l’avènement de pertes d’exploitation, les dépassements des coûts et les risques d’échec, la redéfinition des processus de travail habituels des employés et des gestionnaires et la gestion du changement et des résistances du personnel.
Après le constat de la situation actuelle des systèmes patrimoniaux et de la main-d’oeuvre qui travaille à leur exploitation, TechnoCompétences suggère aux organisations qui envisagent cette difficulté et aux maisons d’enseignement de procéder à une concertation pour trouver des pistes de solutions.
Notamment, on suggère aux maisons d’enseignement et à l’industrie de développer deux types de profils qui seront requis pour l’exploitation des systèmes patrimoniaux. Le premier est un « profil système » qui a trait aux personnes à l’aise dans un environnement de systèmes informatisés. L’autre est un « profil processus d’affaires » qui a trait aux personnes à l’aise avec le déroulement des opérations sur le terrain, l’évaluation des impacts des changements les processus et les méthodes de travail ainsi que les pratiques commerciales.
Après l’élaboration de trois scénarios dont les échéances des dernières applications patrimoniales sont estimées pour 2019, 2025 ou 2034, TechnoCompétences évalue qu’il y a peu de marge de manoeuvre et qu’il suffirait de délais additionnels dans le remplacement de systèmes patrimoniaux ou d’un accroissement des départs à la retraite pour qu’un manque de ressource survienne. L’organisme souligne l’existence de contraintes de mobilité entre les secteurs industriels, tout comme entre le secteur public et le secteur privé, des ressources qui oeuvrent de longue date sur le marché du travail. Il note toutefois que les besoins liés à la sécurité, à l’intégration et à l’agilité exerceront une pression sur les organisations pour faire évoluer prestement leurs systèmes patrimoniaux, mais suggère néanmoins la prudence.
Intérêt transitionnel
TechnoCompétences suggère l’établissement d’un projet pilote où des institutions d’enseignement et des organisations établiraient un programme d’apprentissage à l’intention de « clientèles particulières ». Ces clientèles incluraient des personnes intéressées à faire une deuxième carrière en TIC ou à revenir oeuvrer dans ce secteur, des immigrants et même des nouveaux diplômés intéressés par le développement de systèmes administratifs.
« Un tel programme d’apprentissage permettrait de développer un ensemble de compétences en systèmes patrimoniaux. Le programme devrait aussi comporter une composante “nouveaux systèmes” et leurs processus d’affaires (nouvelles applications, nouvelles façons de faire le développement d’applications et la gestion de projet). C’est ainsi que l’on pourrait intéresser les jeunes à un domaine qui autrement leur semblera une voie sans issue », suggère TechnoCompétences.
Il sera intéressant de voir comment les entités visées agiront face à cette suggestion, mais aussi à quel moment elles passeront à l’action. L’offre d’une transition lorsque les derniers systèmes patrimoniaux auront été débranchés constitue peut-être le facteur déterminant qui incitera la main-d’oeuvre à saisir cette opportunité.
Également, il sera intéressant de voir si un certain nombre de retraités offriront leurs services à titre de consultants ou de mentors pour assurer le maintien de ces systèmes patrimoniaux.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.