Pour commémorer la découverte de l’insuline il y a 90 ans, Canon présentait mardi dernier des machines abordables qui permettent de diagnostiquer à temps le diabète, ce qui pourrait entraîner chez nous des économies annuelles très importantes. Fait amusant, cette techno ne relève pas de l’endocrinologie, mais de… l’ophtalmologie. Rencontre avec le docteur Bernard Szirth.
De l’époque où les médecins québécois allaient encore chez les gens, on se souviendra peut-être d’un geste mécanique que posait
invariablement le « bon docteur » une fois la consultation terminée. Sur le pas de la porte, sans qu’on ne lui en fasse la demande, il dévisageait la personne la plus près, lui agrandissait le rebord de l’oeil du bout de son index (image ci-contre) et, comme s’il lisait dans le grand livre de la vie, déclarait quelque chose comme « attention au foie » ou, pire, « il est dû pour une bonne purgation, ce jeune homme! »
Hier, soixante ans plus tard, un « bon docteur » m’a scruté attentivement l’oeil et m’a dit que j’étais en excellente santé. Il s’agissait cette fois du Dr Bernard Szirth, un ophtalmologiste d’origine montréalaise qui l’a fait en se servant d’une machine très sophistiquée. Grâce à son PhD, ses travaux de recherche, ses brevets, ses conférences, ses articles scientifiques et son bénévolat communautaire (New Jersey, Haïti, Inde, etc.), cette homme de science est devenu, en plus de 30 ans de pratique, une sommité mondiale en recherche appliquée sur l’imagerie rétinienne, sur la détection préventive de maladies mettant la vision en danger et sur la télémédecine ophtalmologique en général. Sur sa carte professionnelle, on peut lire : « Directeur du Laboratoire de recherche sur la vision et sur la télémédecine ophtalmologique du New Jersey Medical School. »
Technologie rétinographique
Pour ce chercheur-inventeur, la rétine de l’oeil est particulière à chaque individu et pourrait se substituer aux empreintes digitales comme méthode d’identification. La morphologie, la couleur, les jeux de micro veinules, etc., relèvent de l’hérédité, de l’ADN, des habitudes alimentaires, des accidents de vie. La rétine hispanique sera presque brune, la nordique orangée, le glaucome aura l’allure d’un voile blanc, l’obésité élargira les veinules, truffera la rétine de druses (dépôts anormaux de lipides) et ainsi de suite.
Dans son apostolat, le bon docteur Szirth bénéficie de l’appui de la multinationale japonaise Canon et le résultat est assez spectaculaire. On parle de rétinographes numériques, c’est-à-dire une catégorie très récente de scanneurs capables de haute voltige scientifique dont les fabricants se nomment Topcon, Nidek, Zeiss ou Canon. Par exemple, le Canon CX-1peut capter des images en autofluorescence du fond de l’oeil sans qu’il ne
faille faire dilater la pupille (en jargon médical, on dit alors que l’acte est non mydriatique). Il en résulte des clichés de 15,1 mégapixels (image ci-contre) où l’on peut détecter sur la rétine les anomalies annonciatrices de maladies, certaines très graves. En plus de l’autofluorescence, il y a quatre autres modes photographiques possibles : couleur, lumière anérythre, cobalt et angiographie fluorescèinique. La beauté, c’est que toutes ces technos sont accessibles au bout du doigt, ne nécessitent aucun inconvénient du côté du patient, permettent d’effectuer plusieurs examens oculaires simultanés, produisent des résultats instantanés et rendent possible l’établissement de diagnostics en béton. En prime, leur prix d’achat est éminemment abordable. Par exemple, le CX-1, un appareil haut de gamme, coûte aux alentours de 50 000 $ et le CR-2, une variation plus limitée, se chiffre dans les 20 000 $. À l’assaut du diabète Ici, le tandem Szirth/Canon parle une langue qui ne pourra que plaire à nos autorités sociosanitaires. Une des maladies qu’il parvient à diagnostiquer parfaitement bien, ce qui inclut ses signes avant-coureurs, est le diabète, une maladie chronique qui apparaît lorsque le pancréas ne produit pas suffisamment d’insuline (type 1) ou que l’organisme n’utilise pas correctement l’insuline qu’il produit (type 2). Avec le temps, le diabète peut endommager le coeur, les vaisseaux sanguins, les yeux, les reins et les nerfs. C’est en raison de sa prolifération que l’Organisation mondiale de la santé l’a hissé au rang de pandémie; on vient d’y établir que d’ici 2030, il frappera 360 millions de personnes, dont plus de 100 millions en Asie et 40 millions dans les Amériques. Au Québec, soutient le Dr Szirth, le diabète coûterait aux contribuables quelque trois milliards de dollars par année. Il frapperait actuellement 9 % de la population, ce qui justifierait 25 % de l’ensemble des interventions en chirurgie cardiaque, 40 % de l’ensemble des cas d’insuffisance rénale et 50 % de l’ensemble des amputations non traumatiques. Grosso modo, chaque personne atteinte coûte présentement un million de dollars à vie. Or, ces statistiques sont en train d’empirer, soutient le chercheur associé à Canon. Au Québec seulement, la progression actuelle serait de 40 000 nouveaux cas par année. On y grossit à un rythme sans précédent. Tellement que « La belle province » n’est plus le leitmotiv de la Révolution tranquille, mais le rappel d’une marque de commerce désignant une chaîne de resto rapide où la friture est la norme. Bref, on suit l’exemple de nos voisins du sud où l’on chemine collectivement vers des coûts de 4 millions de dollars américains à vie. Par exemple, un enfant étasunien sur trois depuis l’an 2000 a (ou aura) le diabète de type 2, la raison principale étant l’association malbouffe et sédentarité. Les pronostics de vies foutues pour cause de handicap majeur dès la jeune vingtaine sont de plus en plus probants. Doit-on rappeler que chaque Américain boit une moyenne annuelle de 160 gallons de soda (p. ex. Coca-Cola), ce qui représente 160 livres de sucre (type fructose très difficile à métaboliser contrairement au sucrose). Méthode abordable de diagnostic Heureusement, ce cauchemar peut être freiné à défaut d’être stoppé. Dans un texte écrit par le docteur Szirth et l’optométriste Diane Chan de la Clinique d’optométrie Bélanger, à Montréal, on peut lire que « 80 % des cas de diabète de type 2 peuvent être évités en modifiant les habitudes alimentaires, en faisant de l’exercice et en adoptant un style de vie plus sain. Une activité physique modérée de 2 heures et demie par semaine (ce qui peut représenter une perte de poids de 5 % à 10 %) entraîne une réduction de 58 % de la progression individuelle de l’état de prédiabète vers le diabète avéré. » Mais encore faut-il pouvoir accéder à des diagnostics, ce qui, en l’état actuel du réseau québécois de la santé, n’est pas évident. Pourtant, la logique du gros bon sens veut qu’en raison de l’aspect pandémique du diabète, l’on mette en branle des moyens comparables à ce qui s’est fait dans le passé pour d’autres maladies jugées graves dont la tuberculose et la poliomyélite. Des cliniques mobiles furent en effet organisées et acheminées partout au Québec, cela pendant des années. Et que dire des crises médiatisées comme celle du H1N1? Pour le même coût, peut-être moins, l’État québécois pourrait enclencher une vaste opération de débusquage du prédiabète grâce à des équipements comme ceux de Canon, des machines qui sont loin de coûter des fortunes. Mais encore faudrait-il qu’il y ait volonté décisionnelle. Ici on ne parle pas seulement de la classe politique ou de celle du mandarinat. On parle également des corps professionnels ou administratifs impliqués. Et ils sont nombreux! Pour qu’elle chemine sans trop d’obstacles, l’idée de Bernard Szirth devra être expliquée et réexpliquée, voire négociée. Autre écueil, le docteur Szirth est un expert basé à Newark, New Jersey, qui sait parfaitement bien interpréter les images rétiniennes et quand il déclare le soussigné en bonne santé, nouvelle inestimable, il est un des rares à pouvoir le faire au pays de Vigneault. On parle ici de formation. Et qui devrait-on former? Seulement des ophtalmologistes? Leur nombre apparaît insuffisant. Ne faudra-t-il pas mettre à contribution les opticiens à l’instar de Diane Chan? Ne devrait-on pas embrigader les médecins généralistes? Possiblement, répond le chercheur. Il suffira d’une formation et d’un suivi, ce qui est pratique courante dans ces champs professionnels. Ce n’est vraiment pas la mer à boire. Malgré tout cela, le chercheur est optimiste. Dans cinq ans, croit le bon docteur, sa techno sera en voie de banalisation partout au Québec, le pays de ses jeunes années. Il lui a fallu consacrer trois ans aux Indes, autant aux États-Unis ou même en Ontario pour qu’un début de déploiement se fasse. Évidemment, là où il y a des hommes, il y a « de l’hommerie » et des jeux de pouvoir. Sans oublier la paresse et la procrastination. Et, pendant ce temps, le diabète fait des ravages et la grosse calculette sonne et re-sonne à un rythme d’enfer. Peut-être est-ce ce constat qui fera se brusquer la prise de décision. On ne peut que le souhaiter! Bon courage monsieur Szirth et madame Chan, merci monsieur Canon!
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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.