En 2002, Microsoft se fit protagoniste d’un changement de paradigme qui passera à l’histoire sous la rubrique « pétard mouillé ». Les tablettes PC ne surent jamais susciter l’engouement et leur pénétration fut à l’avenant. Or, voilà que l’industrie remet ça en 2010. Quel sera le sort de cette deuxième grande tentative? Rebelote ou percée significative?
Au travers le brouhaha d’un « hypothétiquement probable » lancement d’une tablette Mac (iTablet? iSlate? iMegaPod?) le 26 ou le 27 janvier prochain à San Francisco, des fabricants d’ordinateurs lèvent en ce moment même le voile sur leurs « Slate » ou « Slate PCs » (ils ne disent plus « Tablet PC ») au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas. Ici, des fabricantes moins connues, p. ex. Archos, Notion Ink et autres. Là, des incontournables comme Dell (avec Android comme système d’exploitation?), Lenovo avec son IdeaPad U1) ou Asus (avec son Eee Pad).
Mais partout, on fait grand cas de Microsoft qui, par ?), la voix de son maître Steve Ballmer, aurait pu présenter urbi et orbi son Microsoft Courier, un hybride mi-tablette mi lecteur de livrels à l’état « vaporeux », mais qui se contente de survoler quelques prototypes de « Slate PCs » ronronnant douillettement sous Windows 7, des machines légères favorisant « la lecture, la navigation sur Internet et le divertissement sur la route ».
S’il y a une logique quelque part, c’est que l’industrie croit que vous et moi et nos patrons avons besoin d’un produit de ce type et que le moment est tout indiqué pour nous le fournir. En effet, le phénomène du « mobile » est en croissance exponentielle, il y a des réseaux sans fil partout, des payants comme des gratuits, les écrans tactiles coûtent beaucoup moins cher qu’à l’époque des premières tablettes PC et les processeurs ont été fidèles à la loi de Frank Moore; leur puissance est à des lustres de ce qu’elle était il y a dix ans, cela pour le même prix. Tant et si bien, que du côté de DisplaySearch, une firme de recherche établie à Austin (Texas), on parle d’un marché mondial de 3,5 G$ en 2010.
Pourtant, ce n’est pas toute l’industrie qui trépigne. Ainsi, la géante Hewlett-Packard semble dire : « J’ai déjà donné ! ». Dans ses nouveautés du CES HP n’a aucun Tablet à l’exception du prototype présenté par Steve Ballmer lors de son allocution d’hier soir. Certains fabricants craignent de lancer un produit qui sera considéré comme dépassé aussitôt qu’Apple présentera son « éventuelle » tablette Mac. Mieux vaut attendre et passer pour élément d’arrière garde que de foncer comme Lenovo et en donner la preuve.
Reste que tout le monde parle de « Slates » (ou tablettes), un modèle d’ordinateur apparu il y aura bientôt neuf ans. Déjà! C’était au printemps de 2002. J’étais même de la fête quand Microsoft sortit de son chapeau les premiers « Tablet PC » ou, selon l’Office québécois de la langue française, les « tablettes PC ». Dans ma tête, c’était un tournant majeur. Grâce à cette trouvaille significative, les gens commenceraient à vivre des sessions informatiques vraiment naturelles. Finies les interfaces aberrantes tels les claviers ! On ne glisserait plus sa souris sur le menu Démarrer, on le titillerait du stylet ou du doigt. On écrirait sa correspondance à la main, comme on le faisait avant le progrès techno, du temps des plumes fontaines.
[NDLR À cette époque, les tablettes étaient soit des fonctionnaires en disgrâce – p. ex. Dumais a été tabletté, soit des bouteilles de bière chambrée – p. ex. grosse Mol tablette, soit des planches à rangement – p. ex. mets ton barda sur la tablette; les « tablettes » pour écrire étaient alors nommées « blocs-notes » ou « ardoise ».]
On m’avait même prêté un prototype Acer, le Travelmate 100 (Pentium III de 1,2 GHz avec 256 Mo de RAM), grâce auquel j’étais tombé amoureux de cette technologie. Imaginez un bloc-notes (ordi mobile) qui permettait que l’on fasse pivoter l’écran de 180 degrés, qu’on le replie par-dessus le clavier et qu’on utilise le petit ordi comme tablette graphique. Je capotais! Cet Acer était en fait une tablette hybride. La majeure partie des modèles n’offrait cependant pas ce luxe. Ils n’étaient que des « ardoises ».
Le problème, c’est que ce type d’ordi coûtait rarement moins de 3 000 $US, ce qui était généralement plus cher que les blocs-notes « normaux » à puissance équivalente. De plus, les logiciels spécialement conçus étaient aussi rares que de la sueur de pape. À part OneNote de Microsoft, Sketchbook Pro d’Alias (désormais chez Autodesk), il y avait fort peu de titres au rendez-vous. Pour être vraiment productif, on se trouvait à passer plus de temps avec l’appareil configuré en mode bloc-notes qu’en mode tablette PC. Dans de tels cas, hélas!, on se retrouvait trop souvent avec une performance de bloc-notes dépassé.
Mais le pire, c’est que seuls certains marchés verticaux, p. ex. la santé, l’immobilier ou les assurances, adoptèrent cette techno. Très souvent, on y utilisait déjà un modèle d’appareils conçu pour le « pen-based computing ». Bref, la part de marché de la tablette PC (sous Windows XP Tablet PC Edition, puis sous Vista et Win 7, des SE qui en intégraient la spécificité) par rapport à l’ensemble des modèles de PC n’a été que marginale, variant, selon les sources débusquées sur Internet, entre 1,6 % et 7,0 %.
Cette fois, pour que tout baigne, pour qu’il y ait ce moment de grâce où une gamme de produits devienne un engouement fricogène, il va falloir que dans trois semaines, Apple lance effectivement une tablette Mac, que Microsoft ne retarde pas trop l’arrivé en boutique de son champion quel qu’il soit, que les Lenovo, Dell et autres Notion Ink ne faiblissent pas du côté marketing, que tout cela fasse grand bruit et attire beaucoup d’attention et, cela va de soi, qu’il y ait des … acheteurs en grand nombre.
Or, en ce début de 2010, bien des entreprises fournissent encore à leur personnel itinérant des ordis de poche (iPac ou autres) sous Windows Mobile, un système carrément dépassé en comparaison avec ceux de la concurrence (Blackberry, iPhone, Palm, Android). D’autres y vont d’UMPC ou ULPC ou ultraportatifs (SubNoteBook) ou miniportatifs (NetBook), des bricoles généralement sous Windows XP ou parfois sous Linux. Des représentants ont avec eux, en tout temps, des Blackberrys et des iPhones et, à la maison ou parfois dans leur auto, des blocs-notes qu’ils raccordent à une station de base une fois au bureau ou qu’ils synchronisent dans un PC de table. Des connecticiels ont été programmés, bidouillés, patentés pour que tout cet attirail puisse fonctionner au bénéfice de l’entreprise et, dans l’ensemble, paraîtrait que ça marche.
Quelle place la nouvelle tablette PC (« Slate » ou « Tablet ») va venir prendre dans ce capharnaüm d’affichages (entre moins de deux et vingt quelques pouces de diagonale), de modèles (PocketPC, téléphones intelligents, ultraportatifs, blocs-notes, PC de table), de marques (Dell, HP, Lenovo, Apple, etc.) et de systèmes d’exploitation (Windows, Mac OS X, Linux, WebOS, Android, Blackberry OS, etc. ), dans une conjoncture économique acariâtre? Faire entrer une tablette, tout aussi cool soit-elle, c’est faire sortir un appareil d’une autre techno. Ce qui signifie que l’on doit changer les façons d’accomplir ses tâches, investir en formation, en équipement et j’en passe.
Oui mais, prédit-on, l’influence de la tablette Mac sera telle que tout le monde ne parlera plus que de tablettes. Cette nouveauté Apple, si jamais elle se concrétise, pourrait agir comme le fit le iPod pour l’industrie de la musique. Sans compter, jure-t-on dans les chapelles de mordus, que la tablette de Steve Jobs offrirait en prime plein d’avantages gratos. Par exemple, elle disposerait d’un logiciel de lecture de livrels, une bricole qui pourrait envoyer le Kindle d’Amazon aux douches, récite-t-on à la manière d’une litanie. Bien beau, mais qui a besoin de cela en giron corpo? À moins que l’effet iPhone ne prévale et qu’en criant « ciseau », le iSlate ou iTablet ou MacSlate ne ramasse 70 % du marché, ce qui renverrait la concurrence à ses tables à dessin.
Et, tant qu’à spéculer, il pourrait en être ainsi pour le bidule attendu de Microsoft; on sait que la machine à saucisse de Redmond est redoutable et que tous les produits de l’Empire ne connaissent pas les malheurs du Zune. Bref, aussi bien Apple que Microsoft pourraient, en 2010, être des facteurs déterminants quant à la vivacité des tablettes PC.
On verra! Rien n’est gagné. Cela dit, si une fabricante, quelle qu’elle soit, veut bien consentir à m’en envoyer une, de tablette, je serais preneur…
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.