Le poncif du «bureau sans papier» tel que préconisé naguère par IBM s’est avéré une vue de l’esprit impossible à concrétiser, les humains étant ce qu’ils sont. En sera-t-il autrement pour cette nouvelle vision qu’est le «bureau sans CD/DVD»?
Je ne suis pas en train de préparer ma retraite, mon départ pour une île déserte ou mon enfermement dans une prison fédérale. Si je suis en train de trier le bon grain de l’ivraie dans la masse ahurissante de logiciels dont je dispose ici chez moi, ce n’est que la version 2012 d’une opération que j’effectue tous les deux ou trois ans. En gros, presque la totalité des logiciels que je n’utilise plus et que je ne prévois pas mettre à contribution dans mon quotidien, sont désinstallés de mes ordinateurs et leurs boîtiers, le cas échéant, ajoutés à la pile destinée aux écoles. Je dis « presque la totalité », car j’en conserve certains, par exemple, toutes les versions du DOS, de Windows, d’OS/2, d’OS X ou de certaines variantes de Linux. Idem pour Microsoft Office, un produit que j’ai adopté dans les années 80 avant même qu’il ne porte ce nom.
Il faut dire que j’ai beaucoup de logiciels, les trois quarts étant des exemplaires que les fabricants m’ont permis de télécharger gracieusement ou m’ont livré en service de presse dans l’espoir que j’en parle. Imaginez si j’avais tout gardé depuis mes débuts, j’aurais probablement besoin d’un entrepôt de la taille d’un bureau de recteur. Heureusement, il y a eu évolution et bientôt, mon ménage bi ou trisannuel ne sera plus nécessaire. En gros, j’ai vécu sous trois règnes : celui des disquettes, celui des CD/DVD et celui du Nuage. Le premier, amorcé à la fin des années 70, a cessé vingt ans plus tard, le second a tenu le haut du pavé pendant quelque dix ans et le troisième vient de s’imposer partout.
Durant la première phase, les logiciels nous parvenaient gravés sur une sarabande de disquettes accompagnées de manuels aussi complets qu’illisibles. D’où le fait que les boîtes étaient costaudes et généralement lourdes. Les programmes les plus sérieux, p. ex ceux d’IBM, étaient dans des coffrets dont l’enveloppe et le boîtier étaient entoilés. Quelle époque! Windows NT, c’était, malgré sa boîte blanche en petit carton ordinaire, pas moins de vingt quelques disquettes avec trois ou quatre bouquins. Le livreur avait besoin de ses deux mains pour nous l’apporter. Cinq ou six produits de cette taille (p. ex. Office 4.2, CorelDraw ou Pagemaker) pouvaient occuper la totalité d’une tablette normale. Puis avec l’apparition fulgurante des CD et des DVD, ainsi qu’avec la mise en place du « réseau des réseaux », les manuels ont été placés sur des sites Web et les logiciels ont été gravés sur des disques optiques. Les produits se sont ainsi mis au régime minceur pour devenir des coffrets pouvant enfermer un ou plusieurs CD/DVD. Il est alors devenu possible de placer dix fois plus de logiciels, voire plus, sur une même tablette. Dans mon cas, j’ai pu libérer une bibliothèque murale pour me contenter du fond éclairé de mon garde-robe capharnaüm.
Or, voici que même cette pratique, pourtant écologique puisque nécessitant beaucoup moins de papier, de carton et de matière plastique, est en train de disparaître au profit du Nuage, ce qui, à mon avis est une très bonne nouvelle. Désormais, tout ce dont j’ai besoin dans mon hospice de vieux, sur mon île perdue ou dans ma geôle, c’est d’un accès Internet. Ainsi nanti, je peux non seulement mettre à jour les programmes que j’utilise ou aller chercher les pilotes pour les bricoles (même vieillottes) que j’accroche à mon PC, mais acheter de nouveaux logiciels sans ne plus jamais avoir à me casser la tête avec des histoires de gestion de licence, de clés de produit ou de numéros de série. Prenez mon dernier dada, le montage en ligne. J’adore. J’aurais pu utiliser Adobe Premiere, mais mon Mac Pro étant beaucoup plus costaud que le plus gros de mes PC, j’ai choisi d’utiliser un des logiciels phares d’Apple, Final Cut Pro X.
Dans un premier temps, la fabricante californienne permet de télécharger son logiciel et de l’utiliser sans aucune restriction pendant un mois. Ce faisant, on découvre le produit, on apprécie son interface (devenue aussi conviviale que celle d’iMovie), on fait de tour des bogues et des parades, on se dit ébloui ou non par ses capacités et, le tout ayant été dûment pesé, il se peut que l’on procède à l’achat. À ce moment, rien n’est plus simple. Il suffit d’aller dans la méga boutique en ligne d’Apple, le App Store, et de cliquer sur le bouton « acheter » à côté de l’icône du produit. On confirme et le processus de téléchargement-installation débute. Quinze minutes plus tard, tout est réglé et le produit peut être utilisé. Apple sait alors que cette version de Final Cut Pro X, la 10.0.3, sera utilisée par Nelson Dumais dans un Mac Pro de huit coeurs ayant l’adresse MAC 00:10:B5:C4:99:6A, etc. Pas possible d’en faire une copie pour le beau-frère. Pas besoin de taper une clé de produit ou quoi que ce soit d’autre. Le App Store a fait le travail comme si on avait téléchargé Angry Birds pour son iPhone. Apple sait qu’on a payé 300 $ pour Final Cut Pro X et qu’on a le droit de l’utiliser à notre guise pourvu que l’on accepte les règles du jeu (EULA). Soit dit en passant, c’est exactement la même procédure que pour la version 10.7 du système d’exploitation OS X (Lion). On paie et on télécharge; Apple s’occupe du reste. Euh… dois-je préciser qu’il y a des gens pour critiquer ce concept qu’ils jugent « big-brotherien », mais ça, c’est une autre histoire.
Autrement dit, le jour qui n’est pas si loin où tous les logiciels que j’utilise seront sur un coin de Nuage quelque part en attente que je les télécharge, mes tablettes de rangement pourront être dédiées à d’autres fins qu’à celles du stockage de programmes informatiques. Je ne parle pas d’un abonnement à des produits en ligne tels Office Live ou Google Docs, mais de l’achat ou la mise à niveau/mise à jour de vrais gros logiciels installés dans un ordinateur chez moi. Idem pour mes précieuses données, lesquelles vont éventuellement toutes migrer vers le Nuage.
En fait, il est impensable de pouvoir utiliser des produits comme Final Cut Pro X en direct du Nuage comme on le fait pour les Google Docs. Ce logiciel d’Apple est un tueur d’ordi; p. ex. mon double quadricoeur de 3,2 GHz avec 8 Go de RAM a besoin de tout son petit change pour le suivre. De plus, la bande passante actuellement disponible chez nous est loin d’être à la hauteur. Par exemple, si je place un gros fichier Final Cut Pro X comprimé en 1,5 Go dans DropBox, un service infonuagique de stockage et de partage, mon collègue qui en a besoin devra attendre pas loin de cinq heures avant de pouvoir le cueillir et s’en servir. En ce sens, il y a un avenir certain pour les logiciels installés localement, mais vendus sans intermédiaire à partir d’un site Web quelque part. C’est ce qui me porte à croire qu’il nous sera bientôt possible de parler de « bureau sans CD/DVD ».