Je suis toujours surpris par l’agacement que peut générer un article favorable à Apple. Les qualificatifs pleuvent rapidement dont l’infâme « Apple Fanboy » qui vient sentencieusement coiffer le malheureux auteur. Pourquoi?
Dans un contexte où Apple fait des profits comme c’est pas permis alors que les États-Unis n’arrivent ni à remettre leur économie sur rail, ni à relancer la consommation, on demeure estomaqués de lire (ou entendre) ses derniers résultats trimestriels. On voit par exemple que le quatuor Mac-iPhone-iPod-iPad a généré des ventes mondiales de 20 milliards. On parle de plus de 14 millions de iPhone, de 9 millions de iPods, de 4,2 millions de iPad (un désappointement) et de près de 4 millions de Mac qui ont été vendus en trois mois! C’est, grosso modo, un million d’appareils par jour. Un jour à la fois, tit-Jésus!
À ce rythme, ne devient-on pas très rapidement le roi de la route? Le cauchemar de Steve Ballmer, ce tonitruant monsieur qui vend des Windows 7 et des Windows Phone 7? La malédiction qui empoisonne la vie de RIM (BlackBerry), de Nokia (Symbian) et de Google (Android)? Attendez, il y a encore pire. On parle d’une marge de manœuvre de 40 milliards, de l’argent de poche qui, si on en croit les rumeurs les plus folles, permettrait à Apple d’acheter quelque chose comme Sony, Facebook ou Adobe. Pourquoi pas le gouvernement du Québec, tant qu’à y être. Au lieu d’être des contribuables cyniques et brouillons, nous serions des actionnaires heureux et habillés avec goût.
Voilà pourquoi la richissime pomme est, elle aussi, traitée d’empire du mal. Pourtant, il n’y a pas de mine d’or. Il y a plutôt des produits de pointe au design habile, des produits sont bien fabriqués qui disposent de la machine marketing du siècle. Cela gomme le fait qu’en comparant les pommes avec les pommes, les ceuzes d’Apple sont vendues légèrement plus cher que celles de la concurrence. Les conditions gagnantes sont ainsi réunies, ce qui fait que Microsoft, pour ce nommer que cet autre empire du mal, semble ronger son ronge.
Mais est-ce vrai? Hier, le journaliste Ed Bott (ZDNet) se demandait ce qu’il en était, dans les faits, de cette perception. Devait-on assister à une hécatombe dans les ventes de PC sous Win 7 ou de téléphones intelligents à la sauce RIM et une invasion massive de produits griffés de la sainte pomme? Il est donc allé voir chez NetMarketshare (Net Applications), une firme de recherche qui dispose d’une méthode lui permettant d’analyser les données mensuelles provenant de 160 millions d’internautes : quel est leur système d’exploitation, leur fureteur, leur moteur de recherche, etc.
Si vous faites l’exercice vous-mêmes, vous constaterez que Steve Ballmer peut dormir sur ses deux oreilles en ce qui a trait à Windows, mais qu’à l’instar de ses concurrents en téléphonie intelligente, il devrait songer à fouetter ses troupes. Au sang!
À la page d’accueil de NetMarketshare, titillez le menu de gauche Operating System, puis choisissez Version Trend. Cela vous amène à une page illustrée où, en haut, un peu vers la gauche sous l’onglet Timeframe, vous pouvez choisir votre période d’évolution. Optez pour octobre 2008 – octobre 2010. Ce faisant, que verrez-vous? Deux choses. D’abord Windows écrase tout le reste. Il y a XP qui continue à régner, et de loin (60 %), malgré une perte de 18 points, que Win 7, parti de rien, est maintenant à 17 % (seulement?) et que Vista qui a joué au ventre rond avec une pointe à 18,5 %, termine ses deux ans à peu près au même niveau qu’au départ, soit à plus de 13 %. Ensuite, côté Apple, que seules les versions 10.5 (1,67 %) et 10.6 (2,72 %) du Mac OS X méritent une colonne à leur nom; les autres sont incluses dans un fourre-tout appelé « Others » ce qui, soit dit en passant, inclut le savorama Unix et Linux, ainsi que celui des téléphones intelligents.
Au total, on pourrait avancer le chiffre de 5 %, toutes versions confondues, pour le Mac OS X. C’est ce qui apparaît si vous retournez à gauche de la page et que, cette fois, vous choisissez le menu Trend au lieu de Version Trend. Ainsi, vous constatez que 5 %, c’est un gain d’un point et demi en deux ans. Pas plus. Quant au iOS, le SE dans les iPhone, les iPad et les iPod touch, il est parti de 0,16 % en octobre 2008 et se situe maintenant à 1,18 %. C’est mieux que le Java ME dans les Symbian ou que Linux au complet. Mais ce n’est pas la mer à boire. Vraiment pas.
Ce qu’Ed Bott n’a pas fait et ce à quoi le soussigné se livre habituellement, c’est d’aller vérifier dans Wikipedia. On y retrouve un tableau fort utile qui présente les résultats de huit firmes de recherche, dont Net Applications. Le résultat moyen? 6,82 % pour le Mac OS X et 1,4 % pour le iOS. En comparaison, Windows (toutes versions) coiffe sa concurrence avec 88,66 %. Bref, à un ou deux pour cent près, les résultats de Wikipedia et ceux commentés par Bott sont identiques : on vit dans un monde massivement Windows et le reste est relativement marginal. ; Est-ce que cela fait de la marque Apple un équivalent techno de la BMW dans le monde automobile, comme certains le laissent entendre? Quand même pas. Selon Wikipedia, il se serait fabriqué près de 61 millions d’automobiles en 2009 et, de ce nombre, 1,3 million arboreraient la marque BMW, ce qui inclut les Mini et les Rolls-Royce, pour une part de marché de 2,1 %. Il serait ainsi préférable de comparer avec Peugeot-Citroën ou avec Honda dont les chiffres dépasseraient les 5 %, voire avec Hyundai qui occuperait 7,6 % du marché mondial.
Il y a quand même une différence à ne pas oublier. La planète compte plus de 50 gros fabricants automobiles (alternative riche et diversifiée), alors qu’en techno, Apple est seule, pour ainsi dire, à côté de Microsoft (alternative quasi unique). Seule? Pas tout à fait. Elle l’est du côté SE, mais pas du côté machine. Épluchez plutôt cette fiche en vous disant que, bon an mal an, Apple arrive à se classer en 5e ou 6e position (pour le moins aux États-Unis) derrière les HP, Dell, Acer, Lenovo et Asus qui s’entretuent tout en étant protagonistes du SE de Microsoft. Mais encore là, on ne peut pas vraiment parler de concurrence directe; acheter un Mac ne profite pas à Microsoft laquelle n’en a, de toute façon, pas vraiment besoin. Contrairement aux autres fabricants, Apple fait ses sous toute seule, sans devoir se plier à quoi que ce soit qu’aura pu décréter Microsoft. Quelle outrecuidance! Quel coq ce Jobs! Si c’est ainsi, on arrive à comprendre pourquoi on doit subir les invectives de certains utilisateurs de Windows quand on dit du bien d’un produit Apple. Mais soyons sérieux. Avec les parts de marché décrites plus haut, croyez-vous vraiment qu’il sera possible, un jour, de voir une alerte rouge anti-Apple se déclencher chez Microsoft?
Évidemment, c’est un peu différent du côté des téléphones intelligents où le iOS est vraiment menaçant. En ce giron, quand on vante le iPhone, on risque de subir l’ire des utilisateurs d’Android. Notamment. Vu d’une autre façon, on peut dire que les protagonistes d’un empire du mal appelé Google attaquent verbalement ceux qui sont dans le camp d’Apple, un autre empire du mal. On croirait rêver. Oui mais pourquoi?
Dieu a foutu le camp, chassé par les Boomers et embarrassé par trop de scandales. Les leaders nationaux et sociaux sont soupçonnés et parfois accusés de bassesses à répétition. Il n’y a plus de Maurice Richard, ni de Guy Lafleur. Il n’y a plus de héros qu’il faut porter à bout de bras. Les femmes ont remis leurs soutiens-gorge, pire, la rectitude politique a tout caviardé. Pour gueuler, casser du bourgeois, emmerder les pontes, il ne reste plus aux Québécois que de lointaines passions dont l’informatique. Je vous gage que les Palestiniens n’en ont rien à cirer de la guéguerre Mac-PC.
Tout cela pour dire que le prochain qui me traite d’Apple Fanboy, je vais lui répondre qu’il faut aimer son prochain comme soi-même au lieu de le traiter, comme il le mériterait, de windozeux full micromou! Je vous jure.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.