Le gratuiciel GenSpec, un outil de support à l’ingénierie des exigences développé par Hydro-Québec, a obtenu un prix Mérite du français dans les technologies de l’information de l’Office québécois de la langue française.
En 1994, le rapport Chaos, publié par la firme de recherche Standish Group, jetait un énorme pavé dans la mare informatique. Le monde des TI y apprenait que 31 % des projets informatiques étaient abandonnés et que 51 % aboutissaient à des résultats insatisfaisants, au prix de dépassements de coûts et de prolongation des délais de réalisation.
Si le taux de réussite des projets a augmenté depuis, on sait que la proportion des échecs reste préoccupante. À l’origine de ces insuccès : consultation ou contribution insuffisantes des utilisateurs des systèmes projetés et manque de clarté des exigences – c’est-à-dire les caractéristiques attendues de l’application projetée (fonctionnalités, contraintes, performance, etc.).
« De plus en plus, on se rend compte que les erreurs commises au premier stade du développement d’un projet, autrement dit à l’étape de l’ingénierie des exigences, sont celles qui coûtent le plus cher et qui sont les plus longues à corriger. En fait, plus une erreur est commise tôt et détectée tard, plus elle est coûteuse pour l’ensemble du projet », confirme René Bujold, ingénieur à Hydro-Québec, et responsable du développement du logiciel GenSpec.
Né en 2001 et en évolution constante, GenSpec, qui a remporté un Mérite du français en 2007, vise à encadrer de façon systématique le processus crucial de la description des exigences, en évitant les écueils où viennent souvent se briser les projets : exigences mal structurées, incohérentes, erronées, ambiguës, non validables, etc. GenSpec produit les documents d’exigences destinées au fournisseur du produit ou du service (le cahier des charges, par exemple).
En aval, lorsque le produit ou le service est livré, le logiciel livre un rapport contenant les procédures d’évaluation de chaque exigence et les résultats de ces évaluations. L’application multi-utilisateur garde également en mémoire toutes les modifications apportées aux exigences. C’est donc tout le champ d’action de l’ingénierie des exigences (qu’on appelle souvent en France l’ingénierie des besoins) qui est couvert par ce gratuiciel, décrit à cette adresse ftp://ftp.hydro.qc.ca/expedition/Expertise.
Précisons que, s’il a été conçu au départ en vue du développement d’applications logicielles, GenSpec peut être utilisé pour toute démarche d’acquisition ou de fourniture d’un produit ou d’un service : il peut s’agir, par exemple, de l’achat d’un camion ou encore de l’élaboration d’une norme sur un processus.
« Dans un cas comme dans l’autre, le client doit produire un document d’exigences à l’intention du fournisseur, explique René Bujold. Et que ce soit un devis, une norme, un cahier des charges, tout document d’exigences doit suivre des règles précises. Notre outil permet d’encadrer les gens qui rédigent ces documents afin que ces règles soient respectées. »
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L’équipe de GenSpec s’est basée sur plusieurs normes internationales, en particulier la norme ISO/CEI/IEEE 12207 (« un modèle », de l’avis de René Bujold), ainsi que sur des documents de la NASA et du département de la Défense des États-Unis pour établir les principes fondamentaux de l’ingénierie des exigences. Chacune des fonctionnalités du logiciel correspond à l’une de ces règles ou s’attaque aux pièges les plus courants qui guettent les rédacteurs des documents d’exigences.
L’une de ces règles prescrit par exemple de hiérarchiser les exigences selon une structure « parent-enfants », en restreignant à dix le nombre d’exigences subordonnées. La solution de GenSpec : un module de vérification qui permet, entre autres, de détecter une incohérence dans la hiérarchie des exigences et qui signalera la présence d’une énumération comportant plus de dix éléments.
GenSpec a aussi été conçu de façon à imposer le respect des principes de base de la rédaction technique, notamment ceux qui prescrivent de « rédiger de façon analogue des exigences analogues et de façon identique des exigences identiques » et de « recourir systématiquement au même terme pour désigner la même notion ».
En somme, observe René Bujold, « le contraire de ce qu’on apprend dans les cours de rédaction générale, où on nous répète qu’il faut varier le style et employer des synonymes… » (Même les ingénieurs, ajoute-t-il, ne sont pas formés aux principes de la rédaction technique, qui privilégient la clarté et la lisibilité du texte, au détriment des considérations de style ou d’esthétique.)
Pour y arriver, GenSpec génère automatiquement le début des phrases d’exigence; il traque systématiquement les synonymes et il avertit l’utilisateur lorsque celui-ci emploie un terme vague ou sujet à interprétation, comme rapide, convivial ou efficace…
Premier logiciel du domaine à voir le jour en français, GenSpec a attiré l’attention de plusieurs chercheurs, dont ceux de la Sorbonne, du Centre national de recherches scientifiques et de l’Association française d’ingénierie système. Et les invitations continuent d’affluer sur le bureau de René Bujold : l’École Polytechnique, l’Institut national polytechnique de Grenoble, l’Université Paul-Sabatier, l’ONERA (Office national d’études et recherches aérospatiales), l’université de Namur, le Centre de recherche public Henri-Tudor ont manifesté leur intérêt pour l’outil.
Grâce à GenSpec et à Hydro-Québec, la francophonie dispose désormais d’un outil de premier plan pour prévenir les échecs des projets d’acquisition ou de développement.
Danielle Soucy est conseillère en communication à l’Office québécois de la langue française.