DROIT ET TI – Lorsqu’un employé développe un réseau de contacts sur les médias sociaux spécifiquement dans le contexte de son emploi, avec l’appui financier et technique de l’employeur, puis quitte cet emploi, qu’arrive-t-il à cette liste de contacts? À qui appartient-elle alors?
J’entends déjà les employés dire « Mais ce sont mes contacts! », et les employeurs dire « Mais si c’est moi qui paie »… Attendez les détails…
Il s’agit d’une autre question juridique nouvelle, qui ne se posait pas il n’y a que quelques années Internet…
Lorsqu’un nouveau défi juridique s’annonce en raison d’une nouvelle technologie, il peut-être utile de consulter ce qui a été décidé dans d’autres juridictions. Les systèmes juridiques varient d’une juridiction à l’autre mais la manière d’aborder un problème dans une juridiction étrangère peut fournir une inspiration considérable quant à la façon de le régler chez soi.
C’est pourquoi un article irlandais a récemment attiré mon attention. On y cite trois cas où la propriété et/ou l’usage de la liste de contacts après un emploi ont été discutés par des tribunaux, en Irlande. Je vous invite à vous faire une opinion.
L’affaire Hays
Dans l’affaire Hays, l’employeur avait invité son employé, M. Ions, à utiliser la fonctionnalité LinkedIn de recherche automatique de contacts à partir d’une liste d’adresses électroniques de contacts de l’employeur. M. Ions pouvait ainsi se monter rapidement un réseau de contacts sur LinkedIn et une certain notoriété sur ce média social, en se basant sur des contacts préalables de l’employeur.
Lorsqu’il a quitté son emploi, M. Ions est parti… avec son réseau de contacts, qui émanait en grande partie directement de l’employeur. Lorsque l’employeur poursuivit M. Ions, il argumenta qu’à partir du moment où une personne contactée par l’entremise de l’employeur acceptait sa demande de liaison, les coordonnées de cette personne cessaient de faire partie de l’information confidentielle de l’employeur.
La Cour irlandaise ne fut pas d’accord et ordonna à M. Ions de divulguer toute la correspondance intervenue, incluant courriels, lettres, factures, etc. entre M. Ions et les contacts provenant de l’employeur, depuis la fin de son emploi.
L’affaire Eagle
Dr. Eagle est la co-fondatrice et était la PDG de la société EdComm. Pendant qu’elle a occupé son poste chez EdComm elle s’est monté un vaste réseau de contacts sur LinkedIn pour faire connaître sa société et sa personne, avec l’aide d’un employé. Cet employé connaissait donc son mot de passe.
Un jour, EdComm a été vendue, la PDG a perdu son poste, l’employé est demeuré à l’emploi de EdComm, et a reçu comme instructions de la part des nouveaux propriétaires de changer le mot de passe du compte de Dr. Eagle, ainsi que de remplacer le nom et la photo de Dr. Eagle par le nom et la photo du nouveau PDG… tout en maintenant les mentions des prix, recommandations et honneurs reçus par Dr. Eagle, comme si ils avaient reçus par son successeur!
La Cour irlandaise donna raison a Dr. Eagle qui put récupérer sa page LinkedIn. La Cour n’accorda cependant aucun dommage à Dr. Eagle qui ne put démontrer que cette manoeuvre lui avait fait perdre des contacts dans les faits, ou lui avait fait manquer une transaction ou une vente dans le cadre de son poste subséquent.
L’affaire Phone Dog
La société PhoneDog a investi, de façon importante semble-t-il, dans la notoriété de son employé Kravitz ce qui a eu pour résultat que le compte Twitter de M. Kravitz, nommé @PhoneDog_Noah, était suivi par 17 000 personnes. Quand M. Kravitz a quitté son emploi, il est parti avec les 17 000 personnes le suivant, et a changé son nom d’abonné Twitter pour retirer le nom de l’employeur et ne laisser que son nom, @Noah_Kravitz.
Quelques mois après le départ de M. Kravitz, son ex-employeur calcula que les 17 000 contacts valaient chacun 2,50 dollars par mois et le pousuivit en dommages pour plusieurs centaines de milliers de dollars.
Le dossier fut réglé hors Cour et M. Kravitz conserva son compte Twitter et les 17 000 personnes.
Comment gérer la situation au Québec?
Ces situations auraient très bien pu observées dans notre juridiction!
Quatre conseils rapides pour éviter qu’elles se produisent dans votre cas, que vous soyez employeur ou employé.
- La propriété des comptes ou des listes de contacts sur les médias sociaux devrait faire l’objet d’une mention dans le contrat d’emploi;
- Une politique de gestion des médias sociaux devrait être mise sur pied dans l’entreprise ou l’organisation et prévoir une solution à de tels problèmes;
- Les clauses de non-concurrence devraient être ajustées pour délimiter clairement ce que les employés peuvent et ne peuvent pas faire, suite à leur départ, avec leurs contacts des réseaux sociaux; et
- Il s’avère utile de distinguer et définir, dans tous ces cas, les contacts “de travail, émanant de l’employeur”, les contacts “de travail, émanant de l’employé” (avec lesquels l’employé est arrivé à son poste, notamment) et les contacts “personnels”.
La clarté ne peut être qu’utile dans de telles circonstances.