Je n’irai pas jusqu’à dire que l’industrie informatique est un « free for all » sur le plan du respect des normes, mais il y a des fois où la moutarde peut nous monter au nez et nous faire sortir notre masse à démolition. Tranche de vie chez un chroniqueur techno.
La semaine dernière, mon itinérante préférée est venue me visiter, « Allô P’pa! », alors que j’étais occupé à blasphémer avec méthode contre un fabricant de matériel périphérique, Epson, pour ne pas le nommer. Afin de changer mon « vieux » projecteur pour un neuf, appareil hissé sur une tablette murale à sept pieds du sol, il me fallait tout défaire l’installation. C’est que j’avais dissimulé les câbles dans le creux d’une moulure anodine qui grimpait sur le mur auquel elle s’était admirablement intégrée.
Or, entre le lancement des deux projecteurs – je ne vous parle pas d’un bond en avant, mais du simple remplacement du modèle XYZ 2007 par le modèle XYZ 2010 – la fabricante japonaise avait décidé de changer la forme du connecteur femelle du cordon d’alimentation. Il n’était plus plat à deux trous, mais triangulaire comme ils le sont presque tous en temps normal. La bonne nouvelle, mon nouveau câble respectait les normes. La mauvaise, celui qui courait sous la moulure devait être remplacé.
Ce qui m’enrageait le plus c’était que cette simple opération de remplacement avait été commencée dans la frustration. Un des câbles dissimulés dans ma petite moulure est celui du signal vidéo, un bête machin qui se termine aux deux extrémités par un connecteur DB-15 typique au VGA. Or dans les semaines précédentes, on m’avait remplacé mon MacBook Pro, appareil où aboutit le raccordement du projecteur, par un appareil récent où il n’y avait plus de prise VGA, mais un « Mini DisplayPort ». Il m’avait fallu magasiner sérieusement pour finir pas dénicher un adaptateur VGA/Mini Display (Boutique Apple), après m’en être fait vendre un semblable, mais pour Mini DV (Future Shop).
« En forme? » qu’elle me dit ma gamine. Comme elle n’attend aucune réponse (depuis qu’elle a des yeux qui voient, elle m’a toujours vu bidouiller des ordinateurs et des périphériques), elle enchaîne machinalement. Elle m’explique que son iPhone doit contenir « 172 millions de photos », qu’elle aimerait bien les mettre dans un ordi, mais que son PC ne marche plus, en fait je serais bien gentil de passer chez elle pour le réparer, fait que « en attendant, n’importe quel ordi ça marchera quand même, c’est juste pour mettre les photos sur un CD. »
Dans la vie, il y a deux sortes d’utilisateurs d’ordinateur. Il y a des gens comme ma fille, la très grande majorité, qui n’en ont rien à cirer, mais qui connaissent quelqu’un qui les dépannera, et des gens comme moi qui font attention, qui optimisent, qui tentent de respecter les « bonnes pratiques » et qui se font embrigader dans des missions à glacer le sang visant à exorciser d’abominables PC englués dans Windows XP.
« Prends le gros Mac, juste là », fais-je en pointant vers un MacPro au moment où son « cell » vient l’arracher à mon affection paternelle. Elle opine du bonnet et, comme si sa jactance de jeune adulte socialement affairée n’était qu’un bruit de fond, elle entreprend les manœuvres de mise en marche du monstre et de la connexion en mode sync de son iPhone.
Au moment où la moulure échoit dans mes mains, ce qui me permet de voir qu’il me faudra sabler et refaire la peinture (au fait, il m’en reste de ce latex blanc crème?), j’entends ma visiteuse avertir son interlocuteur (ce qui me permet de comprendre qu’elle est provisoirement célibataire) qu’elle doit raccrocher, un problème d’ordi étant survenu. Problème?
« Pourquoi, P’pa, j’ai pas de message pour ouvrir mon album de photos? Chez Seb (c’est son ex), on plogue le Phone et, pouf!, y a un message qui nous permet de domper les photos dans l’ordi. » Je jette un œil condescendant (c’est le propre de ceux qui SAVENT en présence de ceux qui GOSSENT) vers le Mac et je constate que c’est le logiciel iTunes qui est déployé par défaut.
« T’arriveras à rien avec iTunes. Ferme-le et ouvre iPhoto, sur la barre de tâche en bas, l’icône qui a l’air d’une carte postale en arrière d’un appareil photo. » Et je continue à examiner la longue cicatrice qu’a occasionnée ma moulure. En même temps, je commence à réaliser que le nouveau cordon d’alimentation fait un pied de moins que l’ancien, lequel arrivait bien juste au bas de la moulure. « Et m…! »
« Ça marche pas. J’ai toujours pas de message pour ouvrir l’album. » Elle a effectivement ouvert iPhoto mais, visiblement, ne sait plus où aller. Elle attend un message. Un message? « Je ne comprends pas ton histoire de message, clique sur le menu “Photos”, tu vas voir toutes tes photos du iPhone apparaître. » Ce qu’elle fait. « C’est don’ b’en kioute, ça! »
– Comment je fais pour les effacer de mon Phone? – Appuie sur le bouton prévu à cette fin; c’est en bas. Dans le coin droit.
C’est à ce moment que j’allume.
– Il a quoi comme ordi, Seb? – Un laptop. – Récent? – Pas mal, oui. – C’est pas un Mac? – Non.
Je m’approche alors de mon PC sous Win 7 et je branche mon iPhone à moi dans une prise USB. Automatiquement, comme Windows la fait pour n’importe quel bidule de cette nature qu’on lui connecte, il affiche une boîte de dialogue où (grâce au menu “Importer des images et des vidéos “) je peux choisir d’ouvrir le répertoire de photos dans un utilitaire Microsoft appelé ” Galerie de photos Windows Live “. Dès lors, tout devient possible, incluant effacer les photos du iPhone. Pour tout dire, la procédure me semble plus conviviale, plus ergonomique.
– Wow, c’est un truc que je ne connaissais pas. – Je le savais bien. C’est ça être jeune, P’pa, on sait plein de choses que vous autres vous pouvez pas imaginer que ça existe.
Pour mon plaisir, je démarre alors une session VMware où je lance Win XP Pro SP3, ce qui m’amène à peu près au même résultat que Win 7, mais autrement. Intéressant! Ça aussi, je l’ignorais. En fait, en l’espace de cinq minutes, je viens d’expérimenter trois façons dissemblables de téléverser le contenu photo d’un iPhone dans un ordinateur de type grand public (Mac OS X, Win 7 et Win XP). Hum!
Par-delà ma moulure salopée, mon cordon d’alimentation trop court et ma gamine trop effrontée (je l’adore quand même), par-delà cette petite subtilité me faisant apprécier davantage Windows 7 et me forçant dans le gorgoton une pensée pieuse à l‘endroit de Win XP, j’ai songé aux normes particulières à l’industrie informatique.
J’ai imaginé le rire profond d’ingénieurs névrotiques arrivant avec le huit cent cinquante-trois millième modèle de convertisseur AC-DC, de développeurs asiatiques brandissant la quarante-deuxième adaptation maison du système Android, de chefs de projet agenouillés présentant au PDG d’Apple, cela sur un coussin doré, une nouvelle interface vidéo incompatible avec les précédentes, et ainsi de suite.
J’ai imaginé le kilométrage insensé que je pourrais mesurer si je plaçais, bout à bout, tous les câbles de ceci ou de cela qu’il m’a fallu acquérir en 27 ans de journalisme techno.
C’est alors que j’ai tout lâché, que je suis allé me préparer un pastis et que je suis allé le déguster sur ma galerie.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.