Il est de ces gens à qui il faudrait interdire la maladie tant les conséquences financières peuvent être lourdes. Steve Jobs, l’homme derrière le one-man-show d’Apple est de ce nombre. Le voici à nouveau sur le carreau. Que se passera-t-il cette fois ?
Steve Jobs est une légende. Qu’on aime ses produits ou qu’on préfère ceux que la concurrence a lancés dans la foulée, il est un des rares humains à avoir à ce point changé nos vies. On a qu’à penser aux conséquences sociales, culturelles et économiques de tous les i machins qu’il a sortis de son chapeau de magicien depuis l’An 2000. Or, il vient de quitter temporairement Apple une 3e fois pour cause de maladie.
Temporairement ? Quelle maladie ? Est-ce grave ? Que feront les actionnaires ? Pour comprendre qu’un tel questionnement n’est pas du commérage de perron d’église, retournons un peu en arrière, plus particulièrement à juillet 2004. Jobs se fait opérer, presque in extremis, pour un cancer au pancréas (adénocarcinome pancréatique), après neuf mois de thérapies alternatives, des thérapies aussi inutiles que désespérées. Ses médecins ne lui ont en effet laissé que très peu d’espoir sur les chances de se rendre en 2005. À l’exception de sa garde rapprochée, une poignée de collaborateurs de Cupertino qui se butaient à son entêtement thérapeutique, personne n’avait été mis au courant du drame, incluant les dirigeants de Pixar, une grosse boîte que dirigeait également monsieur Apple. Deux ans plus tard, cette attitude sera mise au jour et certains lui en tiendront rigueur sous prétexte que de tels faits ne peuvent éthiquement être cachés aux actionnaires.
Finalement, l’opération a lieu et le PDG plusieurs fois milliardaire se fait retirer une tumeur neuroendocrine au pancréas, un type de cancer inusité, quoique guérissable. Tout se passe bien et il n’a même pas besoin d’être traité à la chimio ou à la radiothérapie. Mais peut-être aurait-il fallu qu’il le soit. Qui plus est, cette intervention connue sous le nom de procédure de Whipple, est loin d’être banale. Selon le Dr Robert Thomas, chirurgien en chef au Peter MacCallum Cancer Centre de Melbourne et expert sur la question, il est possible qu’il faille enlever, en tout ou en partie, le pancréas, le conduit biliaire et l’intestin grêle. Pendant la convalescence de Jobs, c’est l’homme des opérations et des ventes mondiales, Tim Cook, qui assume la direction d’Apple par intérim.
Au retour du grand industriel, quelques mois plus tard, son extrême maigreur commence à devenir un souci médiatique régulier, souci qui connaît son apothéose au Worldwide Developers Conference de l’été 2008. Jobs est devenu trop maigre pour passer inaperçu. La réponse d’Apple ? L’homme aurait chopé un mal courant et serait sous antibiotiques. Mais personne ne le croit et la rumeur s’amplifie. L’agence Bloomberg publie même une notice nécrologique de 2 500 mots, erreur lamentable qui fait rigoler Jobs lors d’un événement de septembre 2008. Il cite Mark Twain: « Les rapports au sujet de mon décès sont largement exagérés. » En gros, il dit souffrir d’un certain « débalancement hormonal », un euphémisme qui ne rassure vraiment personne.
Effectivement, son état ne semble pas vouloir s’améliorer. Loin de là. Tant et si bien qu’en janvier 2009, il annonce son retrait d’Apple pour une période de six mois, confiant son terrible fouet encore une fois à Tim Cook, lequel est devenu COO (Chief Operating Officer) d’Apple en 2007. Trois mois plus tard, Steve Jobs subit une greffe du foie au Methodist University Hospital Transplant Institute de Memphis. Rien de moins ! De mauvaises langues vont alors l’accuser d’avoir utilisé sa fortune pour grimper anormalement vite dans les listes d’attente, ce qui entrainera une controverse. Quoi qu’il en soit, cela signifie qu’il souffrait d’insuffisance hépatique terminale, autrement dit, qu’il était quasiment dans l’antichambre de la mort, petit détail que tout le monde, ou presque, ignorait.
Le charismatique chef d’entreprise revient néanmoins à l’été avec la même minceur morbide, ce qui ne l’empêche pas de lancer, coup sur coup, des produits hautement médiatisés, dont le iPad. Mais, un an et demi plus tard, soit lundi dernier, force lui est d’annoncer que la guigne le contraint à nouveau à quitter temporairement pour s’occuper de sa santé et se s’en remettre à son bras droit Cook. L’annonce survient à un mois (selon la rumeur) du lancement d’une deuxième version du iPad 2, événement que Jobs n’aurait jamais voulu manquer pour tout l’or du monde.
On peut ergoter sur sa maladie. Épuisement général nécessitant un repos complet avec médication assortie ? Rejet du foie greffé ? Nouvelle prolifération du cancer dans les organes vitaux, dont les poumons, ou, tant qu’à y être, dans son nouveau foie ? Ça s’est déjà vu. Et comme il a toujours joué les cachottiers, tout semble possible, incluant un … décès. On peut spéculer à gogo. Et on ne se gêne pas ! Les enjeux sont hénaurmes !
En même temps, on peut s’atermoyer sur le fait que pour toute qualité de vie, le gars n’a plus grand-chose. Au mieux, son abdomen de plus en plus bionique commence à gruger l’essentiel de son énergie. Au pire, la terrible maladie est en train de l’emporter sur sa volonté de fer.
Tant qu’à y être, on peut aussi se demander pourquoi un chevalier d’industrie dont la fortune personnelle était évaluée à 5,1 G$ US par Forbes en 2009, ce qui en faisait le 43e au palmarès des gens les plus riches de la planète, continue à vouloir tourner Michael Dell en bourrique et Steve Ballmer en has-been. Pourquoi ne reste-t-il pas chez lui, bien tranquille, à se reposer auprès des siens ? La réponse est dans la nature insatiable du superactif de génie qu’il est. Il s’est entouré de gens très compétents été il prend son pied à leur tirer le maximum de jus. À preuve, depuis sa maladie, état qui coïncide avec le lancement et le développement international du iTune Store, il s’est fait remarquer par un nombre impressionnant de prouesses industrielles, dont celles qui apparaissent ci-après en encadré.
La nouvelle tuile qui frappe Jobs inquiète évidemment les actionnaires. Le gars est une poule aux œufs d’or. Le titre au Nasdaq qui s’était apprécié de 26 $ US entre les 1er et 14 janvier dernier (de 322,56 $ US à 348,48 $ US), était en recul, mardi, de presque 8 $ US, suivant la tendance de lundi dans les bourses européennes. Pour bien des investisseurs, la valeur du titre AAPL est intimement liée à la présence de Steve Jobs. En un état acceptable de santé, s’entend; le capitalisme est un monde bien cruel. À preuve le cours de l’action ne s’est pas relevé malgré la divulgation d’états financiers trimestriels pour le moins spectaculaires. Apple a effectivement déclaré le 18 janvier des revenus de 26,74 G$ US et des profits de 6 G$ US, ce qui représente des croissances supérieures à 70 % par rapport à la même période l’an dernier (alors que l’action valait 215,04 $ US). On ne peut donc parler de péril en la demeure, mais d’un début potentiel de petite éventuelle tendance baissière pouvant peut-être commencer possiblement à diluer la richesse de la Pomme californienne.
Quelle sera, cette fois, la durée du congé maladie ? Deux mois ? Six ? Euh … ad perpet ? Est-ce que, sans lui, ses adjoints réussiront à poursuivre le plan de match ? Comment se comportera la légion des macadeptes et autres utilisateurs de iBidules en l’absence du grand gourou ? De la réponse à ces questions dépend l’avenir du titre, sans oublier, on l’aura compris, la progression de ceux de la concurrence, dont celle de l’Ontarienne Research in Motion.
Mais chose certaine, les événements imposent à nouveau aux gens d’Apple, cela bien malgré eux, une sérieuse réflexion existentielle sur la vie après leur grand lama. Car, pour parler en métaphore, les cimetières sont plein d’irremplaçables…
Quelques faits d’armes de Steve Jobs depuis sa maladie
Juin 2005: Annonce du virage d’Apple vers la plateforme Intel, virage finalisé en juillet 2005; annonce de la cinq cent millionième pièce musicale vendue sur le iTunes Store; Janvier 2006: Annonce de la vente de Pixar (propriété de Jobs) à Disney; Steve Jobs devient le principal actionnaire de Disney; Juin 2006: lancement du Mac Pro; Août 2006: lancement des iPod nano et iPod shuffle; Janvier 2007: lancement du premier iPhone (le plus récent, le iPhone 4 sera lancé en juin 2010); lancement du AppleTV; Septembre 2007: lancement du iPod touch Novembre 2007: Steve Jobs reconnu officiellement comme étant la personne la plus puissante dans les affaires par Fortune Magazine; Décembre 2007: intronisé au Temple de la renommée de la Californie par le gouverneur Arnold Schwarzenegger; Janvier 2008: lancement du MacBook Air; Juillet 2008: ouverture du App Store (janvier 2011, on y inclut les logiciels Mac OS X); Août 2009: reconnu par le magazine Junior Achievement comme étant l’entrepreneur le plus admiré des ados; Septembre 2009: annonce de la vente du 220 millionième iPod; Janvier 2010: lancement du iPad; Février 2010: annonce de la dix milliardième pièce musicale vendue sur le iTune Store; Juin 2010: lancement du iBookstore; Juillet 2010: annonce de la sept milliardième application vendue sur le App Store; Novembre 2010: annonce de l’abandon de la gamme de produits XServe; nommé PDG de la décennie par Fortune Magazine; reconnu également par Forbes comme étant le numéro 57 dans la liste des personnages les plus puissants de la planète; Décembre 2010: désigné Homme de l’année par le Financial Times.
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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.