DROIT ET TI Un grand nombre de contrats imposent à une partie, ou à toutes les parties, de respecter toutes les lois applicables. Personne n’étant contre la vertu, on accepte habituellement ce genre de clause sans y penser davantage. Devrait-on agir ainsi?
Vous avez devant vous une proposition de contrat fort alléchante. Alors que la récession sévit, on vous offre de quoi non seulement sauvegarder la santé financière de votre entreprise, mais même de quoi l’améliorer.
Certes, il y a des éléments de cette proposition de contrat que vous songez à négocier : tout ne fait pas votre affaire à 100 % dans ce document. Mais lorsque, dans le cadre de votre analyse, vous arrivez à une clause mentionnant que le fournisseur, en l’occurrence votre entreprise, s’engage à respecter toutes les lois qui lui sont applicables dans le cadre de l’élaboration du contrat, vous ne vous arrêtez même pas. Cette clause de « respect des lois » ne vous inquiète pas. Vous passez à la suivante.
Après tout, il est certain que votre personnel ne sera pas violent et ne volera pas des biens de votre cliente potentielle. Il est aussi clair qu’aucun de vos employés ne saurait transporter une substance prohibée par le Code criminel sur les lieux de la prestation des services!
Pas si vite
Un client m’expliquait il y a quelques années qu’une compagnie d’assurances, lui ayant vendu une police sur une voiture de location en Floride, avait inclus dans le texte de la police une clause « de respect des lois » que le client avait à peine pris le temps de lire.
Ce même client eut par la suite, en brûlant un feu rouge par inadvertance, un accident impliquant la perte totale du véhicule loué et des dommages importants chez la partie avec qui il eut l’accident. La compagnie d’assurances refusa de payer en alléguant qu’une infraction à la loi avait occasionné la réclamation.
De la même façon, qu’arrive-t-il si un employé du fournisseur brûle un feu rouge, ou se fait accuser de conduite dangereuse? L’entreprise cocontractante pourrait-elle alors mettre fin au contrat si elle le désire? Fort probablement, si les déplacements du personnel du fournisseur, pendant lesquels l’infraction s’est produite, sont traités ou évoqués par le contrat.
Il est clair qu’un donneur d’ordre qui est satisfait des services de son fournisseur n’utilisera pas un tel prétexte pour mettre fin à une relation d’affaires fructueuse. Cependant, si les relations d’affaires ne sont pas parfaites entre les parties, il y a là une possibilité malencontreuse de résiliation du contrat par défaut du fournisseur.
Mais ce n’est pas la seule manière dont ces clauses de « respect des lois » peuvent surprendre.
À l’international
Le système de lois d’un pays est le reflet de ses valeurs. Un gouvernement élu élaborera des règles applicables sur son territoire en fonction de ce qu’il connaît, des valeurs de la société qui vit sur ce territoire, et de l’impression qu’il donnera aux citoyens qu’il invitera à voter pour lui aux prochaines élections. Les valeurs et les humeurs des citoyens peuvent varier sensiblement, même entre pays similaires en apparence.
La France, que l’on compare souvent au Québec, a des lois pourtant passablement différentes, et ce, même si l’origine du droit civil québécois est le droit français. Notamment, en droit du travail, on connaît en France la semaine des 35 heures alors que nos semaines de travail québécoises (spécialement dans le domaine des TI ?) peuvent être passablement plus longues.
Or si dans le cadre de l’exécution d’un contrat en France, vous prévoyez que chaque membre de votre personnel qui se rendra sur place effectuera 60 heures de travail, ces heures étant travaillées à l’intérieur d’une semaine intensive, votre planification sera-t-elle adéquate? Est-il possible que le bureau où le travail doit être effectué ne soit ouvert que… 35 heures? Votre personnel devrait alors passer 9 jours de travail, et un week-end, en France pour effectuer le travail, ce qui ne coûtera pas le même prix à votre entreprise qu’une « grosse » semaine. Le respect des lois affectera alors la rentabilité du projet puisque, le respect des lois faisant partie du contrat, il est possible que les journées supplémentaires ne soient pas considérées comme une demande changement valable.
Imaginons par ailleurs que votre entreprise vende un magnifique logiciel qui, dans le cadre de ce phénomène de société qu’est la retraite des baby-boomers, classe les employés et leurs talents afin de faciliter leur remplacement. Que se passe-t-il si dans un pays où vous avez vendu une importante licence, le droit du travail est tel que le classement et les catégories, que crée le logiciel, sont considérés discriminatoires et illégaux? Devrez-vous modifier le logiciel à vos frais pour « respecter la loi »?
Il n’est pas évident d’identifier une solution de rechange à la clause de « respect des lois », car le donneur d’ordre veut à la base faire affaire avec une entreprise ne posant pas de gestes illégaux : on ne saurait reprocher cela au donneur d’ordre. Néanmoins, il faudra, sur une base de cas par cas, contrat par contrat, examiner le libellé de la clause pour tenter d’exclure de l’application du contrat des situations qui ne font pas partie de ce que les parties veulent gérer, à la base, par l’obligation de respect des lois applicables.
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis 20 ans.