Un projet d’ordinateur portatif ultra-abordable réduira éventuellement le fossé numérique qui sépare les infopauvres des inforiches. Mais l’homme le plus influent de l’informatique personnelle en pense autrement.
Depuis l’année dernière, dans le laboratoire MIT Media Laboratory du Massachusetts Institute of Technology (MIT), un intéressant projet en cours de développement relié à l’informatique personnelle retient l’attention de la communauté internationale.
Le projet sans but lucratif « One Laptop per Child » (OLPC) cherche à concevoir un petit ordinateur portatif qui serait distribué gratuitement aux enfants des pays les plus pauvres de la planète. La jeunesse défavorisée pourrait ainsi bénéficier des performances accrues des technologies de l’information pour améliorer leur niveau d’éducation et réduire les écarts qui existent entre elle et celle des enfants des pays industrialisés.
Présenté par Nicholas Negroponte au Forum économique mondial à Davos en 2005, le projet vise à créer un petit ordinateur portable doté d’un processeur de 500 MHz, de 128 Mo de mémoire vive, d’au moins 500 Mo de mémoire flash, de ports USB, de composantes Wi-Fi pour établir un branchement sans fil à un réseau, d’un écran bimode en couleur et monochrome lisible sous la lumière du soleil et de trois moyens d’alimentation électrique (liaison filaire, pile ou accumulateur à manivelle). Cet ordinateur utilisera probablement le système d’exploitation Linux et des logiciels gratuits.
Ce projet de production technologique de masse, à première vue, semble être aussi bénéfique pour l’aide à l’apprentissage des enfants défavorisés que le sont les programmes de vaccination, de creusage de puits d’eau, d’implantation d’écoles ou de remise de ballons pour la santé physique et mentale.
Nombreux sont les agents de changement et les observateurs qui ont chaudement applaudi l’initiative. Malheureusement, quelques personnes ne sont pas du même avis. À l’occasion d’une conférence organisée par une entreprise à Washington à l’attention des meneurs des gouvernements, une très influente personne de l’industrie des TIC, qui a joué un rôle essentiel dans l’évolution de l’informatique personnelle, a récemment tourné le projet en dérision.
« La dernière chose que l’on souhaite pour un ordinateur à utilisation partagée est d’avoir quelque chose sans disque… Et avec un tout petit écran. (…) Si vous allez avoir des gens qui vont partager l’ordinateur, une connexion à large bande et une personne qui peut utiliser l’ordinateur, bon sang, ayez un ordinateur décent où on peut vraiment en lire le texte et ne pas avoir à remonter (à la manivelle) la chose pendant qu’on essaye de taper (du texte) », a déclaré la personne. Elle a ensuite déclaré que le matériel est une petite partie du coût de l’offre de capacités informatiques, alors que les coûts importants se situent au niveau des applications, de la connectivité réseau et du support.
Qui est-ce? Bill Gates, le président du conseil, l’architecte du logiciel en chef et cofondateur de l’empire Microsoft qui détient 90 % du marché de l’informatique personnelle.
Et en guise d’alternative, M. Gates suggère plutôt de recourir à un ordinateur « ultramobile » à écran tactile qui sera bientôt vendu par Microsoft… Entre 600 $ US et 1 000 $ US.
Cette déclaration n’est pas si surprenante puisqu’elle provient du dirigeant d’une des entreprises les plus lucratives de l’industrie des TIC… D’autres chiffres nous donnent une perspective différente.
Selon l’Observatoire des inégalités, en citant des statistiques du Rapport 2004 de la situation des enfants dans le monde de l’UNICEF, sur plus de deux milliards d’enfants sur la planète, 86 % vivent dans les pays en développement. Un milliard d’enfants vivent dans la pauvreté, 300 millions n’ont pas accès aux sources d’information (radio, télévision, journaux) et 140 millions ne vont pas à l’école.
Si l’on observe quelques chiffres, on se demande qui serait le véritable gagnant de la résolution du problème de la démocratisation de l’accès aux ressources informatiques, selon l’une ou l’autre des alternatives.
Avec l’alternative suggérée par M. Gates, Microsoft y trouverait son compte à vendre du matériel et des licences de logiciels pour la fourniture d’ordinateurs aux enfants des pays en développement. Mais avec l’alternative OLPC, de six à dix fois plus d’enfants auraient accès à un ordinateur, qu’il soit d’utilisation individuelle ou collective, et les coûts des logiciels seraient significativement moindres.
Il faut souligner le caractère louable de M. Gates qui consacre plusieurs milliards de dollars à de nombreuses causes philanthropiques par le biais de la fondation Bill & Melinda Gates qui supporte des causes reliées à l’éducation et à la santé à l’échelle internationale. D’ailleurs, des écoles du Québec ont bénéficié de ces dons pour l’obtention, au profit de la jeunesse, d’équipements informatiques publics de marque Microsoft.
S’il avait œuvré dans un autre domaine, peut-être que M. Gates aurait été plus enclin à contribuer à ce projet et une telle contribution de M. Gates ou de sa fondation au projet d’ordinateur portatif du MIT aurait pu jouer un rôle capital. Pensez-y : à 100 $US l’unité, un milliard de dollars américains permettraient de fournir 10 millions de petits portables aux enfants défavorisés… Malheureusement, le capital a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Heureusement, il y a de l’espoir pour le projet OLPC si d’autres mécènes choisissent de supporter la cause. Et vous, contribuez-vous à combler le fossé numérique?