Linux est une alternative intéressante, mais sa petite part de marché lui confère un statut de minorité qui cause quelquefois des problèmes. Un exemple.
Si on se fie aux analyses récentes de Market Share (Net Applications), la coalition Linux, ce savorama informatique aux générosités saisissantes, aurait vu sa part de marché passer, entre avril 2007 et mars 2009, de 0,41 % à 0,90 %.
Ces chiffres sont peut-être encourageants, mais ils sont inférieurs à ceux de Windows 2000, système d’exploitation (SE) préhistorique qui vivote à 1,24 %, à ceux du Mac OS X, produit branché en route vers le 9 %, à ceux de Vista le mal-aimé dont les ventes viennent de dépasser 23 % et à ceux de XP en nette décroissance avec près de… 63 %. Si on arrondit dans Excel, on peut affirmer qu’en septembre prochain, pour peu que « la tendance se maintienne », la part de marché de Linux aura rejoint celle de Windows 2000 sur le palier du 1 %. Le statut de minorité
C’est quoi 1 %? Pas grand-chose. Parlez-en aux 200 000 Tamouls qui vivent dans le Toronto Métro, ce qui leur confère un gros 4 % de la population, ou encore aux 100 000 Haïtiens qui ont élu domicile sur l’île de Montréal, soit 5 % de l’ensemble, ou même aux 2 millions de diabétiques canadiens, c’est-à-dire quelque 6,5 % de la grande feuille d’érable. Et tant qu’à y être, si vous êtes sadiques, vous pouvez également en glisser mot aux 50 000 Inuits du Canada qui forment à peine 0,17 % du 30 millions éparpillé « ad mare usque ad mare », sinon aux Innus de la Côte-Nord qui représentent 0,4 % de la québécitude (NDLR : ces données proviennent toutes de Wikipedia et de Statistique Canada). Tous ces chiffres ont en commun le fait de représenter une certaine marge, celle des moins de 10 %, ce qui inclut les Cubains de la Floride qui n’y sont que 6 %, mais exclut les Irlandais qui, eux, constituent 12 % des New-Yorkais. En un mot, on est loin du 31 % de la « minorité » francophone du Canada. Dans l’attente de l’extraordinaire
Revenons aux systèmes d’exploitation. Ici, le rouleau compresseur se nomme Microsoft (90 %) et la marge, Apple avec 9 %, ainsi que Linux (la marge de la marge?) avec 1 %. Ce sont cependant des chiffres dynamiques desquels se dégage une constante relative : Microsoft est en baisse et la marge en hausse. Si rien d’extraordinaire ne se passe, si tout continue sur le même petit train que depuis dix ans, on peut imaginer que dans dix ou quinze ans d’ici, l’alternative Apple/Linux sera devenue aussi importante que la solution de Microsoft. Que pourrait-il y avoir d’extraordinaire? Peut-être Windows 7. Il est possible que ce SE connaisse un succès de marché tel qu’il creuse davantage l’écart entre Windows et la marginalité Apple/Linux. Ou peut-être le Mac OS X 10.6, c.-à-d. « Snow Leopard ». Certains croient que ce SE pourrait faire bondir vers le haut les ventes de Mac tellement il sera beau et agréable à utiliser. Ou peut-être encore que le giron Linux soit l’hôte d’une prouesse, d’un grand coup de type Ubuntu 9.04, alias « Jaunty Jackalope » (« lapin cornu » enjoué). Effectivement, depuis une semaine, je m’amuse avec ce beau gratuiciel. En tout et pour tout, télécharger, graver son image ISO sur un CD et l’installer sur un disque rigide fraîchement formaté prend environ une heure. Et là, sauf exception (malchances, PC un peu spécial, carte graphique ATI, mauvais enlignement planétaire, etc.), tout fonctionne sans avoir à ouvrir la console pour taper de rébarbatives incantations cabalistiques. Je vous parle de choses aussi variées que la mise en réseau, la config Internet, la reconnaissance de périphériques (p. ex. ma caméra Web Logitech et ma laser Brother), l’utilisation d’une palette de logiciels dont Evolution (équivalent de Microsoft Outlook), OpenOffice.org (coffret bureautique), The Gimp (table à dessin) et plusieurs autres. Tout marche du premier coup, ressemble à quelque chose qu’on a déjà vu ailleurs et est gratuit. Quant à l’interface, plusieurs croient qu’elle est belle. D’autres, ceux que les tons de bruns et de beige laissent de glace, chialent. Mais dans l’ensemble, nombreux sont ceux qui disent qu’elle est aussi jolie, sinon plus, que celle de Vista. Ici, le truc est d’éviter d’installer Ubuntu dans une machine de l’ancien temps comme on tend à le faire avec les saveurs de Linux (pour tirer profit des subtilités graphiques, p. ex. Compiz, il faut au minimum un gros P4 bien renforcé, c.-à-d. 2 Go de RAM et 128 ou 256 Mo de RAM vidéo; je vous parle ici d’expérience…) Bref, deux heures après avoir téléchargé Jaunty Jackalope, vous êtes impressionné et heureux de votre bidouillage.
Mais là, crac, la misère commence. Votre erreur? Avoir voulu faire autre chose que ce qui est prévu dans la config de base, celle que vous venez d’installer avec succès. En l’occurrence, vous avec simplement voulu regarder RDI sur le site Web de Radio-Canada. Comme ce ne semble pas possible, vous découvrez un fichier d’instructions particulières à Linux que la société d’État a publié. Vous le lisez et le suivez à la lettre.
Vous apprenez qu’il faut désinstaller Totem, un lecteur vidéo, pour installer MPlayer, un produit comparable, mais de meilleure qualité. Soit que vous le faites via « Synaptic », un gestionnaire de paquetages, soit que vous allez taper « sudo apt-get remove totem-mozilla » dans la console, puis « sudo apt-get install mozilla-mplayer ». Ensuite, il vous faut installer un plugiciel dans Firefox, un truc appelé « Media Player Connectivity », lequel vous permet d’attribuer le bon lecteur vidéo aux images de la SRC. Comme ça ne marche toujours pas, vous allez sur les forums d’aide où vous apprenez qu’il vous faut « VLC » et non pas « MPlayer » comme lecteur. Vous installez donc ce produit et retournez configurer « Media Player Connectivity » en conséquence. Or, rien ne va. Quelqu’un vous recommande alors le « User Agent Switcher » à qui il faut faire croire qu’on est sous Windows. Évidemment, ça ne vous mène nulle part. Mais persévérant, vous finissez néanmoins par découvrir la recette magique. Pourquoi ne pas y avoir pensé avant? Il suffisait de taper en rafale : « sudo aptitude purge totem-mozilla », « sudo aptitude install vlc mozilla-plugin-vlc » et « sudo aptitude install mozilla-mplayer lame livemedia-utils ». Rien de moins. Vous êtes ému. Simon Durivage est là, dans votre machine Ubuntu. Ô bonheur! Cinq heures plus tard…
Mais vous réalisez soudain qu’entre le moment où vous avez voulu regarder RDI et celui où vous y êtes arrivé, il s’est déroulé pas loin de cinq heures, si vous faites l’addition des trois bribes de soirées que vous avez consacrées à ce projet d’envergure. Une première pensée de haine vous vient alors à l’esprit à l’endroit de votre beau-frère, celui-là même qui vient de s’acheter un PC Vista à 600 $ chez Bureau-Futur-Best-Dépôt-en-Gros et avec lequel il a pu regarder la télé de Radio Canada du premier coup. Une seconde pensée, tout aussi haineuse, vient remplacer la première, cette fois à l’endroit de la SRC qui favorise les utilisateurs de produits Microsoft. Vous êtes frustré, outré, en colère. Vous estimez qu’ayant fait faux bond à la culture informatique dominante, celle de Redmond, vous vous êtes retrouvé pénalisé. C’est d’autant plus choquant que vous n’utilisez que du logiciel libre! Bien entendu, de là à voir un complot entre la société d’État et Microsoft, il n’y a qu’un pas que vous franchissez allègrement. Ne faites-vous pas partie, désormais, de cette minorité qui utilise Linux? Du simple fait que vous êtes un contribuable canadien, n’avez-vous pas des droits, notamment celui au respect de la part de cette boîte parapublique? Imaginez le courriel que vous expédiez alors à l’ombudsman de la SRC. Ouh là! Et quand la réponse lénifiée, polie, passe-partout vous parvient, votre colère ne fait que croître. Mais à quoi vous attendiez-vous? Qu’on admette que dans un pays où les francophones (31 %) se disent souvent mal servis (et je vous fais grâce des autochtones, ce « peuple invisible »), qu’avec votre « ridicule 1 % », vous ne faites pas le nombre pour qu’on ouvre les vannes à services? Soyez réaliste! Lentement, à force de « petits Radio-Canada », vous finissez par retourner à votre Mac ou à Windows. Jusqu’au jour où une nouvelle distribution linuxienne vient vous titiller le goût de l’aventure. Dès lors, vous remettez ça pour un tour! Et il en sera ainsi jusqu’au jour (dans combien d’années?) où tout fonctionnera tout le temps du premier coup, comme sous Mac OSX. Ce jour-là, vous deviendrez un vrai utilisateur de Linux. D’ici là, ce système d’exploitation se retrouvera surtout dans des serveurs, des boîtes noires, des bidules intelligents ainsi que sur des bureaux de bricoleurs, de professionnels et d’amateurs d’informatique. C’est triste, mais c’est ainsi. Ceci étant dit, essayez quand même de mettre la main sur Ubuntu 9.04. C’est une version qui vaut le détour et avec laquelle vous allez probablement vous amuser.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.