Pénurie de main-d’œuvre à l’horizon

Le jeune âge du secteur des TIC le prémunira-t-il du choc démographique qui se prépare au Canada, alors que les baby-boomers quitteront en masse le marché du travail et que la relève sera insuffisante? Il semblerait que non.

En raison d’une conjoncture démographique particulièrement défavorable, les spécialistes prédisent une pénurie de main-d’œuvre et des bouleversements importants sur le marché de l’emploi au cours des prochaines années. Deux phénomènes sont à l’origine de cette conjoncture démographique, soit le départ prochain pour la retraite des baby-boomers et l’insuffisance de la relève pour pallier cette saignée qu’on prévoit importante. Rappelons que les baby-boomers sont nés entre 1946 et 1965 et vont, de ce fait, commencer à prendre leur retraite en 2010, si ce n’est avant. En 2006, un Canadien sur trois était né durant cette période, selon Statistique Canada.

En outre, le U.S. Bureau of Labor Statistics estime que d’ici 2012, ce ne sont pas moins de 35 millions de baby-boomers qui vont prendre leur retraite aux États-Unis. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime, pour sa part, qu’entre 2025 et 2030 12 millions d’individus vont prendre le chemin de la retraite chaque année, mondialement.

Face à cette désertion massive, les renforts seront nécessairement insuffisants, en raison du phénomène de dénatalité qui s’intensifie depuis une trentaine d’années dans les pays industrialisés. En 2003, Au Canada, le nombre d’enfants par femme en âge de procréer était de 1,5, selon Statistique Canada qui soutient qu’il devrait être de 2,1 pour assurer le maintien de la population. En comparaison, ce nombre était de 4 en 1960. En fait, l’agence affirme qu’« aucune génération de femmes nées au cours du baby-boom n’a mis au monde suffisamment d’enfants pour assurer son remplacement ».

Par conséquent, la population ne cesse de vieillir. Déjà en 2006, 13,7 % des Canadiens avaient 65 ans et plus, comparativement à 7,7 % en 1966. En fait, ce groupe est celui qui a le plus crû en 2006, à raison de 11,5 % par rapport à 2001. En comparaison, les 15 à 64 ans n’ont crû que de 6,4 % durant la même période, alors que les 0 à 14 ans régressaient de 2,5 %.

« Tous les pays développés font face à la même crise de natalité. Le phénomène n’est pas pire ici qu’à Boston, Los Angeles ou Vancouver », soutient Lyne Bouchard, présidente-directrice générale de TechnoMontréal, un organisme de promotion de l’industrie technologique montréalaise.

Le secteur des TIC épargné?

Le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC), dont la jeunesse a été maintes fois louangée, sera-t-il épargné par le choc démographique (l’âge moyen des employés y est de 30-35 ans, selon TechnoCompétences, alors que l’âge médian des Canadiens est de 40 ans, selon Statistique Canada)? Pas nécessairement, croient les experts qui prédisent une pénurie prochaine de main-d’œuvre, pas seulement à cause du fait démographique, mais aussi et surtout à cause du désintéressement des jeunes pour les carrières en TIC.

En fait, l’impact du choc démographique est reporté de quelques années, croit Jean-François Dumais, directeur de projets, ressources humaines, à TechnoCompétences, un organisme voué au développement de la main-d’œuvre et de l’emploi dans le secteur des TIC. « On pense que l’impact va être modéré, affirme-t-il. Il va quand même y en avoir un, mais il va surtout provenir des grandes entreprises et de la fonction publique où les employés sont plus âgés. […] L’impact va donc être décalé par rapport aux autres secteurs, mais si on n’est pas capable de redresser le nombre d’inscriptions [au collégial et à l’universitaire], l’impact sera rapide. […]

« On sait que l’offre va être restreinte, mais reste à savoir ce qui va se passer du côté de la demande. Va-t-il se créer beaucoup de nouveaux postes? Si on se fie aux prédictions des économistes, ça risque d’être des bonnes années pour le secteur des TI, ce qui fait que ça risque d’être un peu difficile de recruter au cours des prochaines années. »

« De façon générale, on s’en tire actuellement assez bien, mais il est clair que dans les prochaines années, la situation ne sera pas la même, renchérit Mme Bouchard. On commence à connaître un phénomène que nous n’avons jamais connu dans le secteur auparavant, soit celui des retraités. Et ça va s’accélérer au cours des prochaines années. À Ottawa seulement, durant les trois à quatre prochaines années, on va manquer de 89 000 spécialistes en TI; à Québec aussi, on va faire face à une grave pénurie. »

Cela étant dit, l’abolition des mesures fiscales en TI du gouvernement du Québec en 2003 risque d’atténuer l’ampleur de la pénurie attendue, dans la mesure où la fin des incitatifs fiscaux pourrait réduire la demande de personnel. Instaurées à la fin des années 1990, ces mesures fiscales, qui visaient à stimuler le développement de l’industrie et la création d’emplois dans le secteur des TI, prendront fin de 2010 à 2013. « On ne sait pas ce que le gouvernement fera avec les mesures fiscales, s’il va leur donner une suite, ce qui pourrait changer bien des choses, croit M. Dumais. Ça reste à voir. »

Désintéressement des jeunes

Au cœur du problème de pénurie, donc, le désintéressement des jeunes pour les carrières en TIC, ce qu’atteste la diminution des inscriptions aux programmes d’enseignement postsecondaire en TIC au Québec depuis 2000. En fait, la baisse des inscriptions est plus prononcée dans le secteur des TIC que dans les autres domaines d’études qui ne sont pas épargnés par le phénomène de la dénatalité.

Par exemple, le nombre d’étudiants inscrits en Technique de l’informatique dans un cégep québécois a diminué de 64 % entre 2000 et 2006, passant de 9 631 à 3 486, selon les données compilées par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. Le nombre d’étudiants inscrits dans une université québécoise en Sciences de l’informatique a chuté, pour sa part, de 28 % durant la même période, passant de 4 740 à 3 390.

« Si on compare avec les autres secteurs, les inscriptions pour l’ensemble des programmes techniques au collégial ont diminué de 12 %. Il y avait 87 500 étudiants inscrits en 2000 comparativement à 77 000 en 2006, précise M. Dumais. Aussi, on commence à entrevoir une baisse du côté des diplômés universitaires en TI à l’université, alors que le nombre de diplômés pour l’ensemble des programmes de baccalauréat est en hausse. […] Le recrutement risque donc d’être plus difficile au cours des prochaines années, car c’est à ce moment-là qu’on va ressentir pleinement la baisse des inscriptions. »

« Il y a actuellement au Québec un désintérêt généralisé pour les carrières scientifiques et techniques, poursuit M. Dumais. On voit aussi cette tendance dans le reste du Canada et aux États-Unis. » En effet, les inscriptions aux programmes d’études universitaires en TI aux États-Unis, où on est déjà en situation de pénurie, ont diminué de 70 % en 2005 par rapport à 2000.

La faute aux médias

Plusieurs phénomènes expliquent le désintéressement des jeunes pour les carrières en TIC, dont la mauvaise presse qu’a eue le secteur après le dégonflement de la bulle spéculative en 2000. La chute des titres boursiers, les fermetures d’entreprises, les licenciements massifs et les déplacements d’emplois en Asie en ont découragé plus d’un et ont marqué la fin d’une époque marquée par un optimisme sans borne à l’endroit du secteur.

En 2001, en une seule année, le taux de licenciement dans le secteur canadien de la technologie de pointe a plus que doublé, ayant atteint 5,3 % (en 2000, il était de 2,1 %), après une période marquée par une croissance ininterrompue de l’emploi, selon Statistique Canada. Au Québec seulement, 10 000 emplois, sur un total de 110 000, ont été éliminés dans le secteur des TIC, entre 2001 et 2002, selon Montréal International.

La décroissance de l’emploi dans le secteur est d’autant plus dramatique que les autres secteurs de l’économie continuaient de marquer des gains durant la même période. Et qui plus est, les travailleurs qui ont réussi à retrouver du travail ont encaissé des pertes de revenus annuels importantes. Dans le secteur de la fabrication, cette chute de revenus a été de 11 700 $ par année, entre 2000 et 2003, toujours selon Statistique Canada.

« Avant l’éclatement de la bulle, les programmes de formation en informatique étaient très populaires auprès des jeunes, puis ils se sont mis à avoir peur de ne pas être capables de trouver du travail dans ce secteur, résume Julie Gobeil, rédactrice en chef aux Éditions Jobboom. Alors, les classes se sont vidées. »

« Il y a une problématique de perception qui intervient aussi et elle intervient beaucoup au niveau des parents, ajoute Mme Bouchard. Des parents qui vont dire qu’ils ont perdu leur régime de retraite, à cause de la bulle, et qui ne parlent jamais des TI. Les jeunes d’aujourd’hui ont une conscience sociale plus grande que leurs parents. L’industrie offre beaucoup de beaux métiers qui permettent de sauver des vies et d’améliorer l’environnement et ça, les jeunes ne le savent pas. »

Bien que personne ne puisse véritablement prédire l’avenir, un deuxième crash de l’ampleur de celui de 2000 est peu probable, estiment les experts qui n’émettent que des prédictions optimistes pour le secteur, si ce n’est la pénurie de main-d’œuvre anticipée. L’insuffisance de la relève anticipée est d’autant plus fâcheuse que l’industrie s’est refait une santé depuis l’éclatement de la bulle et qu’on s’attend à ce que le manque de relève compromette sa croissance.

« Les conséquences de la bulle et de l’effondrement de la bulle […], on a récupéré tout ça, soutient Mme Bouchard. L’industrie montréalaise emploie, grosso modo, le même nombre de personnes aujourd’hui qu’en 2001; on parle de plus de 107 000 personnes. »

Changer d’attitude

Il y a donc lieu de changer d’attitude à l’endroit du secteur des TIC et de faire preuve de plus d’optimisme à son sujet, si on veut atténuer l’ampleur de la pénurie attendue.

« À TechnoCompétences, on essaie de faire la promotion du secteur, affirme M. Dumais. On rencontre Emploi Québec et les orienteurs [dans les écoles] pour parler du secteur et on fournit toute l’information qu’on a à ceux qui informent sur les carrières, comme Jobboom et les Éditions Septembre. Aussi, on collabore avec le ministère de l’Éducation […] pour développer des outils permettant d’expérimenter les carrières en TIC. Les entreprises peuvent aussi contribuer, en faisant connaître leurs bonnes annonces, qui ont un impact positif sur la création d’emplois, parce que ce dont on entend souvent parler, ce sont les mauvaises nouvelles. »

Mais il est clair que les organisations ne vont pas attendre et espérer qu’un changement d’attitude se produise. La solution envisagée risque fort d’être le recrutement à l’étranger, ce que plusieurs font déjà. Le sondage Technology Fast 500 de Deloitte montre d’ailleurs que 64 % des chefs de direction d’entreprises de technologie nord-américaines se tournent vers l’étranger pour recruter les spécialistes dont ils ont besoin pour faire croître leur entreprise, et ce, malgré que 67 % d’entre eux soient satisfaits de la formation dispensée dans leur pays.

« Il faut se demander si on veut faciliter la vie aux immigrants qui ont les compétences pour aider au développement de l’industrie et qui veulent entrer au pays, note Mme Bouchard. La jeunesse, c’est intéressant, mais elle n’a pas toujours les compétences, alors qu’il y a des gens un peu partout qui ont déjà les compétences. »

Une autre piste de solution est le recrutement et la rétention des travailleurs de plus de 50 ans, affirme Manpower Canada. De fait, 24 % des 1 300 organisations canadiennes interrogées au début de l’année par la firme de services en gestion des ressources humaines ont déjà mis en place une stratégie de rétention des travailleurs âgés et 17 %, une stratégie pour recruter du personnel plus âgé.

Une idée qui fait son chemin chez nos voisins du sud pour stimuler l’intérêt des jeunes pour les carrières en TI est d’intégrer les jeux vidéo à la formation universitaire en TI. Comme quoi il n’y a rien comme apprendre en s’amusant…

Information additionnelle : Todd R. Weiss, Computerworld Services de nouvelles IDG.

À la baisse

Le nombre d’étudiants inscrits en Technique de l’informatique dans un cégep québécois a diminué de 64 % entre 2000 et 2006, passant de 9 631 à 3 486.

Le nombre d’étudiants inscrits dans une université québécoise en Sciences de l’informatique a chuté, pour sa part, de 28 % durant la même période, passant de 4 740 à 3 390.


Secteurs plus touchés

Certains secteurs de l’industrie éprouvent plus de difficultés que d’autres à satisfaire leurs besoins de personnel et il est permis de croire que cet état de choses persistera. Cela est notamment le cas du très dynamique secteur du jeu qui est parfois, voire souvent, contraint de satisfaire ses besoins à l’étranger. Il y aurait actuellement trois fois plus d’emplois dans ce secteur, qui emploie de 4 000 à 5 000 personnes au Québec, qu’il y a cinq ans, selon Jobboom qui a publié un guide intitulé Les carrières du jeu électronique en avril dernier. Les concepteurs de jeu seraient plus particulièrement difficiles à trouver.

« L’industrie du jeu est actuellement en pleine croissance au Québec et on s’attend à ce qu’il y ait énormément de création d’emplois dans ce secteur, mais des emplois qualifiés, car les entreprises dans ce secteur sont très exigeantes », précise Julie Gobeil, rédactrice en chef aux Éditions Jobboom.

« Les métiers de la visualisation et de l’animation 3D sont assez séduisants pour les jeunes, soutient Lyne Bouchard, présidente-directrice générale de TechnoMontréal. Ces compétences ne servent pas seulement dans le secteur du jeu, mais peuvent aussi servir dans le domaine de la santé. Mais si un jeune a à choisir entre un poste dans la fonction publique, avec tous les avantages professionnels que cela comporte, et un poste chez un éditeur de jeux comme Ubisoft ou EA, il y a fort à parier qu’il choisira la deuxième option. »


Effet précoce

L’effet de la pénurie commence déjà à se faire sentir. La firme de recrutement CNC Global croit, en effet, que la demande de professionnels qualifiés en TI au Canada a atteint au deuxième trimestre de 2007 un niveau record en 26 ans. La demande est en hausse de 17 % sur ce qu’elle était à la même période un an plus tôt. Les développeurs Web sont en tête des profils recherchés à l’échelle nationale, alors que dans la région montréalaise, ce sont les spécialistes en soutien d’applications, en développement Web et en gestion de projets qui sont les plus demandés.

« Les Éditions Jobboom fait deux enquêtes de placement par année, et on observe depuis quelques années plus d’offres d’emploi en informatique que de diplômés pour les combler », confirme Julie Gobeil, rédactrice en chef aux Éditions Jobboom.

En outre, l’indice d’emploi dans le secteur de la technologie de pointe, Advanced Technology Employment Index, établi par CATAAlliance et Monster Canada, a baissé de cinq points en février pour s’établir à 124, ce qui est néanmoins supérieur de 13 points à ce qu’il était un an plus tôt, mais indique une baisse des activités de recrutement en ligne. Les emplois reliés aux TI étaient en première position des postes affichés et recherchés.

D’ailleurs, un récent sondage de Deloitte mené auprès des dirigeants des entreprises membres du palmarès Technology Fast 500 montre qu’attirer et fidéliser les employés les plus talentueux est le principal défi auquel font face actuellement les chefs de la direction des entreprises de technologie nord-américaines.


Transfert des connaissances

Outre le renouvellement des effectifs, le départ pour la retraite des baby-boomers pose le problème du transfert des connaissances. C’est un phénomène bien connu que les employés qui quittent l’organisation emmènent une partie des connaissances de l’organisation avec eux.

Il importe, dans ce contexte, de mettre en place une stratégie efficace de transfert des connaissances, ce qui est le lot de peu d’entreprises canadiennes, si on se fie aux résultats d’une étude récente de Manpower Canada sur le degré de préparation des entreprises face au départ prochain des baby-boomers pour la retraite.

Cette étude met en lumière le peu d’attention qu’accordent les entreprises canadiennes au problème, dont un grand nombre n’ont aucune idée du pourcentage de leurs effectifs qui prendront leur retraite dans cinq à dix ans, ni de la perte de productivité et de capital intellectuel que cela occasionnera.

« Il y a beaucoup d’entreprises qui n’ont pas encore considéré les impacts des départs massifs pour la retraite, en informatique comme dans les autres secteurs, et n’ont rien fait pour s’y préparer, déplore Lyne Bouchard, présidente-directrice générale de TechnoMontréal. Mais on a encore le temps pour se préparer. »

Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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