Le cofondateur et dirigeant d’Apple a influencé l’évolution de l’informatique personnelle de plusieurs façons. Dans l’édition de novembre 2011 du magazine Direction informatique, quatre observateurs d’horizons différents ont témoigné leurs impressions sur l’entrepreneur américain.
Jean-Marie Jolois, un consultant en informatique qui est spécialisé dans les solutions d’Apple, préside le conseil d’administration du Club Mac de Montréal qui regroupe des dizaines d’adeptes. D’ailleurs, la mort de Steve Jobs a été diffusée sur la Toile alors que se déroulait une réunion mensuelle de ce club.
« C’était un visionnaire, mais il avait des opinions tranchantes auxquelles il tenait, ce qui l’a bien servi, estime M. Jolois. Lorsqu’il a retiré les lecteurs de disquettes des ordinateurs, il y a eu une levée de boucliers, mais un an plus tard, il n’y en avait plus sur les PC. Il a adopté le sans-fil que Lucent offrait à tous, mais dont personne ne voulait, et un an plus tard le Wi-Fi était répandu… »
Jean-François Ouellet est professeur agrégé au Service de l’enseignement du marketing à l’école HEC Montréal. Il estime qu’Apple, par la vision insufflée par son cofondateur, est devenu un des meilleurs cas des pratiques exemplaires en marketing.
« Le marketing, c’est avoir une idée différente de ce que fait le reste des gens, et d’avoir dans cette différence quelque chose de pertinent, explique M. Ouellet. Apple incarne ce principe : elle est arrivée dans une industrie qui était dominée par des boîtes grises et s’est dit qu’elle serait différente. Elle l’a été d’une façon extrêmement pertinente, alors que Monsieur et Madame Tout-le-monde cherchait une simplicité d’utilisation, une convivialité et un produit qui n’était pas trop laid. »
André Mondoux, professeur et chercheur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, a été journaliste dans le domaine des TIC durant plusieurs années. Il estime que Steve Jobs avait un sens très fort du monde dans lequel il vivait.
« Il avait une forte intuition du monde dans lequel il s’insérait, et je me demande si c’est cette perception qui lui donnait cette assurance », ajoute le sociologue de formation, Il donne l’exemple des produits “i” (iMac, iPod, iPhone, iTunes, etc.) dont la commercialisation a coïncidé avec la montée de l’hyper-individualisme.
Phrixo Tsakpinoglou est le vice-président responsable des technologies de l’information de l’intégrateur de solutions informatiques Inso et du réseau de magasins Micro-Boutique. Il a confondé ces établissements avec son frère Dimo et Claude Asselin en 1983. Il indique que Steve Jobs était un entrepreneur très cool et abordable, mais qui savait ce qu’il voulait.
« Il avait la vision “technologique” qui intégrait tout, soit son système d’exploitation, ses logiciels de base et son matériel, dans une seule boîte. C’était quelque chose qu’on voyait dans les grands systèmes, mais pas dans les “micros”. Sa vision était de faire quelque chose de fonctionnel et de petit, et il a toujours fait cela », souligne-t-il.
Au niveau commercial, Phrixo Tsakpinoglou rappelle que Steve Jobs a misé tôt sur l’approche de l’intégration, par exemple en lançant la première imprimante laser pour le marché de l’impression, en intégrant le MIDI pour le créneau de la musique ou en offrant des spéciaux dans le marché de l’éducation. « Aussi, le génie du marketing y était pour beaucoup », estime-t-il.
L’apport à l’informatique personnelle
Selon les personnes interrogées, les apports de Steve Jobs à l’informatique personnelle, par le biais d’Apple, sont nombreux et diversifiés.
Jean-François Ouellet estime que le mérite de Steve Jobs et des autres fondateurs d’Apple est d’avoir soutenu la promesse que l’informatique soit au service des gens, et non l’inverse. « Cela a pris du temps à s’imposer, car au départ Apple a fait l’erreur de ne pas considérer les externalités de réseau, soit que la valeur d’un produit augmente avec le nombre de ses adeptes », note-t-il.
« Microsoft a réussi à cet effet en ayant une très large base qui s’est installée plus rapidement. […] Si Apple avait réussi à s’imposer de la sorte, les Mac domineraient l’industrie du PC parce qu’ils répondent davantage au besoin fondamental des utilisateurs qu’est la simplicité d’utilisation. »
« Jobs présentait des produits, mais aussi des visions, estime André Mondoux. C’est ainsi qu’Apple a eu ses inconditionnels, avec un monde fermé et de qualité, où l’on s’attendait à ce que tout soit parfait. Au-delà du bon produit, on voulait quelque chose de trippant… Son apport fut d’avoir fait de la technologie quelque chose qui est porteur d’une vision du monde. »
Selon Phrixo Taskpinoglou, l’emphase sur l’interface utilisateur et l’approche « tout-en-un » ont été les legs importants de Steve Jobs à l’informatique personnelle. « Au début, la concurrence combinait le matériel, le système d’exploitation et les logiciels, ce qui rendait les choses plus difficiles pour un simple usager, alors qu’Apple avait cette magie de rendre les choses faciles. C’était la force de l’approche “tout dans une boîte” d’Apple, qui a toujours été une compagnie d’informatique personnelle. La pensée de Steve Jobs était orientée vers l’expérience de l’utilisateur. »
Selon Jean-Marie Jolois, l’investissement continuel dans l’innovation constitue la plus grande contribution de Steve Jobs et d’Apple à l’informatique personnelle. « Ils se sont pétés la gueule plusieurs fois, mais ils n’ont pas eu peur d’innover, affirme-t-il. Ils sont arrivés avec les premiers écrans en couleurs, les premières souris… »
« Aussi, ne pas avoir sacrifié la qualité pour avoir des prix inférieurs et avoir investi beaucoup en R&D ont fait en sorte que les produits Apple sont beaux et attirent les gens. »
L’inspiration des dirigeants
Quelle aptitude ou qualité de Steve Jobs devrait être appliquée par le dirigeant d’une entreprise du domaine des TIC ou par le responsable de l’informatique d’une organisation?
« Sa qualité de visionnaire devrait être gardée en tête par chaque dirigeant d’entreprise, suggère Jean-François Ouellet. Aussi, il faut garder en tête que l’informatique en général n’est pas une affaire de technologie, mais d’abord et avant tout une affaire d’utilisateur. »
« Une personne de calibre “A” doit s’entourer de gens de calibre “A+”, souligne Jean-Marie Jolois. Si par insécurité on s’entoure de gens qui sont moins bons que soi, ces gens s’entoureront de gens moins bons qu’eux qui en feront autant à leur tour, et après un an ou deux l’entreprise sera dans la m… Aussi, Steve Jobs disait qu’il faut faire confiance à ses instincts, et surtout qu’il ne faut pas chercher à plaire à tout le monde. »
« La méditation, lance André Mondoux. Jobs était un one-man-show en haut que le monde suivait. C’était un gars unique et hors norme. “Développer du bon marketing”? Tous s’y essaient… Jobs n’était pas un P.D.G. ordinaire. Il voulait vendre un mode de vie, dès le départ. »
Phrixo Tsakpinoglou souligne qu’Apple, grâce à la vision de Steve Jobs, a beaucoup changé au point de devenir l’une des plus importantes entreprises au monde, tous secteurs confondus. « Il faut que les décisions ne soient pas prises seulement par des financiers et des responsables de mise en marché – il faut que les ingénieurs soient plus impliqués dans les processus de décisions », recommande-t-il aux dirigeants des organisations du secteur des TIC qui sont en croissance.
Admiration
Jean-Marie Jolois, qui a déjà assisté à une allocution de Steve Jobs lors d’une conférence Macworld, indique que l’homme qui n’était pas flamboyant dans sa vie quotidienne démontrait un charisme lorsqu’il était devant une foule. « Il savait transmettre son amour profond des technologies », estime-t-il.
Phrixo Tsakpinoglou, qui fait partie de la première génération des revendeurs de produits d’Apple, a rencontré Steve Jobs à deux reprises. Il garde un souvenir heureux d’une personne qui, à ses yeux, était sobre et simple. « On a une admiration toute autre quand on a vécu quelques minutes avec lui », résume-t-il.
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Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.