Oracle-Sun: Larry Ellison a de la suite dans les idées

L’acquisition de Sun par Oracle en a surpris plus d’un. Mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que cette acquisition s’inscrit dans le cadre d’une stratégie que le PDG d’Oracle présentait déjà en 1996.

La récente acquisition de Sun Microsystems par sa voisine Oracle me rapporte treize ans en arrière et m’incite non pas à vous livrer un papier nostalgique, mais à vous parler du PDG Larry Ellison, homme extravagant issu d’un milieu modeste qui, selon le magazine Forbes, était en 2008 la 4e personne la plus riche au monde.

Je ne vous parlerai pas du style de vie du fondateur d’Oracle (ses infractions commises dans le ciel de San Francisco aux commandes d’un jet privé ne se comptent plus, son photographe personnel, celui qui, en 2003, a « couvert » son 4e mariage, était son vieil ami… Steve Jobs (PDG d’Apple), son système de cinéma-maison lui aurait coûté plus d’un million $, etc.). Je vous entretiendrai plutôt de sa vision en ce qui a trait à l’industrie informatique.   Pour ce faire, je vous ai déniché un papier que je signais le 26 février 1996 pour le compte du Journal Les Affaires. À l’époque, Oracle était, comme aujourd’hui, une mégafabricante de gros logiciels d’entreprise, dont une base de données lancée à 1979 et des modules ERP introduits dès 1988. En 1996, ses principaux concurrents étaient IBM avec DB2, Informix, une puissance multinationale qui n’avait pas encore été achetée par « Big Blue », Sybase/Powersoft qui venait de l’être par l’incontournable Microsoft, une firme qui commençait à être prise au sérieux avec SQL Server. Pour l’anecdote, c’était un an avant qu’Ellison, conseiller du président Clinton en matière d’exportations, n’accepte un fauteuil au CA du nouvel Apple Computers, où son copain Jobs, à l’époque PDG de NeXT, se retrouverait plébiscité.    En cette fin de l’hiver californien de 1996, je venais d’assister au lancement d’une nouveauté Oracle, un concept informatique appelé « Network Computer ». Le centre Moscone était plein à craquer, Larry Ellison avait la langue particulièrement incisive, ses invités sur scène étaient ses copains Steve Jobs et Scott McNealy, PDG de Sun Microsystems. Quant à la nouvelle, elle était énorme pour un truc techno. Tellement qu’à mon retour, j’avais été interviewé à la télé de Radio-Canada à ce sujet.   Tant et si bien que malgré les chaudes senteurs printanières de San Francisco, je m’étais précipité dans la salle de presse et avais pondu un premier article. Je vous en glisse ci-après des extraits que je vous demande de lire en pensant à des concepts « récents » comme « Software as a Service », Netbooks, Ultralight PC, services Web, Windows Live, et bien d’autres « buzzwords » contemporains si chers à notre industrie. Si le concept de « Network Computer » a été le bide que l’on connaît, l’idée derrière est plus actuelle que jamais.  

(San Francisco) – Si on en croit Larry Ellison, PDG d’Oracle, le règne du PC (Personnal Computer) tire à sa fin. Trop complexe, trop coûteux et pas assez universel, il commencera, d’ici quelques mois, à céder la place au NC (Network Computer). Il s’agit de cette machine Internet à 500 $ qu’une bonne douzaine de multinationales japonaises, coréennes et américaines auraient déjà l’intention de fabriquer, sans parler de projets analogues chez Apple (le petit Pippin), Nintendo (via son Ultra-64) ou IBM (annoncé au dernier Comdex). (…)   Bien qu’applaudi sur place par les PDG de Sun et de NeXT, Scott McNealy et Steve Jobs, ce discours prononcé le 26 février dernier à San Francisco à l’occasion de la Conférence 96 des programmeurs Oracle, entre en conflit avec la vision du PDG de Microsoft, Bill Gates, qui qualifiait récemment le NC de « dumb terminal ». « Ces propos me font penser que pendant longtemps, les gens ont cru que la révolution industrielle avait tout réglé et que la vapeur était la norme qu’ils se devaient de maintenir. Or, comme on le sait, ils ne purent empêcher les moteurs à explosion de s’imposer », avait rétorqué Ellison par dérision.   La nouvelle a effectivement de quoi inquiéter Microsoft, fabricant de Windows et du nouveau standard bureautique, Office 95. La géante de Redmond perdrait ainsi son quasi-monopole sur la micro-informatique. Les NC disposent d’un très petit système d’exploitation, on parle de 300 Ko, qui n’aurait rien à envier à Windows.   Rappelons que le NC est un appareil multimédia, multitâche, multiplates-formes et multiprotocoles donnant accès à tous les services d’information souhaités (logiciels, navigation, stockage, courrier, vidéo, musique, etc.) sans que l’utilisateur n’ait à se soucier de configuration, de compatibilité Win, Mac, OS/2 ou autres questions informatiques. (…)

Est-ce la mort des PC? Pas vraiment. Ceux-ci vont continuer à être essentiels aux programmeurs, aux amateurs et aux fournisseurs de services. Les utilisateurs de blocs-notes mettront plus de temps que les autres à abandonner leurs PC. Ils attendront que le réseau de points de services publics soit bien établi. Au terme, le PC sera un serveur, le NC un client, a précisé Scott McNealy. « Les PC sont là pour rester, comme les grands ordinateurs centraux. La télévision est arrivée, mais la radio est encore là. »   Pour sa part, Steve Jobs, cofondateur d’Apple et évangéliste de la simplicité informatique, a déclaré que le NC constituait le plus important changement de paradigme depuis l’interface utilisateur graphique. « Je crois que d’ici six ou sept ans, le NC sera préinstallée dans tous les nouveaux téléviseurs. »   Contrairement au PC, le NC est un terminal client qui s’intègre dans un intraréseau d’entreprise ou un interréseau public alimenté par un câblodistributeur bien équipé (notamment de modems pour câble) ou une compagnie de téléphone. Les gens se connecteront et seront facturés selon la nature des services obtenus : traitement de texte, manipulation d’images vidéo, navigation dans Internet. (…)   Imaginons que l’on veuille utiliser Microsoft Word. On s’identifie au serveur via un système inviolable (carte à puce génératrice de mots de passe), on télécharge le logiciel ou le module du logiciel dont on a besoin, lesquels viennent se loger dans le FlashRAM du NC, on écrit, on dispose du texte (imprimante ou e-mail) et on stocke le fichier dans le serveur là où bon nous semble.   « L’idée est de garantir une universalité contraire aux pratiques actuelles. Les gens ne doivent plus être à la merci d’un fabricant comme c’est le cas à l’heure actuelle avec Microsoft. Nous avons défini et fait homologuer, les standards du NC, les fabricants en feront des appareils de consommation de masse », a soutenu M. Ellison.(…)

  Et je vous fais grâce du reste de cet article. Ce qu’il faut y noter, c’est que Larry Ellison a non seulement de la vision, mais de la suite dans les idées. En achetant l’ancienne boîte de son copain McNealy (parti en 2006) moyennant quelque 7,4 G $US, il met la main sur Solaris, une version culte d’UNIX particulièrement accueillante pour la base de données Oracle. Il acquiert également Java, une techno présente dans tous les PC du monde et un langage de programmation de plus en plus important dans les produits Oracle. Et que dire de ces phares du logiciel libre que sont MySQL, VirtualBox, OpenSolaris et StarOffice/OpenOffice.org ?   Autrement dit, Oracle, l’entreprise informatique la plus importante de la Silicon Valley, c’est désormais une écurie complète, du système d’exploitation haut de gamme aux applications bureautiques pour « matante Alice », en passant par un langage universel de programmation, des progiciels de gestion et une plateforme gratuite de gestion de données.   Mieux que jamais, elle devient capable de rivaliser avec ses deux concurrents, IBM et Microsoft; elle est maintenant en mesure d’offrir et de rentabiliser ce qu’Ellison proposait le 26 février 1996, c’est-à-dire une façon très économique de s’acquitter de ses besoins informatiques. Le plus beau, c’est qu’elle n’a même pas à se soucier de la plateforme matérielle, tous les fabricants de la planète, à l’exception peut-être d’Apple, se faisant présentement la lutte au rayon du Netbook.   À quand un site Oracle où il nous sera possible de tout faire ce qui nous chante, gratuitement si on est un particulier à la maison, ou à forfait, si on est une entreprise et qu’il nous faut tel outil, telle sécurité, etc. ?   Si j’étais monsieur IBM, je clouerais au pilori avec flagellation quotidienne et lancement facultatif de tomates pourries, la personne responsable du « deal » avorté entre IBM et Sun; la « Grande bleue » n’a pas voulu aller plus loin que 9,40 $US l’action. Or, deux semaines plus tard, Ellison remportait le lot avec seulement dix sous l’action de plus! Pour IBM, Oracle est ainsi devenue une menace plus sérieuse que jamais.   Et si j’étais monsieur Microsoft, je frémirais d’anticipation. Je cesserais de dormir à la pensée qu’Oracle se décide, un bon matin, de vraiment nuire à ma vache à lait qu’est Microsoft Office en revampant de façon majeure son offre de produits gratos. La manœuvre permettrait à Ellison d’affaiblir l’Empire de Redmond pour mieux l’attaquer sur le front SQL Server.   Mais, comme tout un chacun le sait, je ne suis que journaliste, mais un journaliste qui, parfois, se souvient.  

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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