La suite bureautique Office est-elle menacée par une multitude de concurrents de tout acabit qui voudraient grignoter quelques points de pourcentage de son énorme part de marché?
À l’heure où la concurrence tire à boulets rouges sur Microsoft et son fardier bureautique Office 2007, on peut entendre, d’où qu’on soit, le rire tonitruant du PDG Steve Ballmer. Contrairement à Windows Vista, un produit lancé lui aussi en janvier 2007, Office est là pour rester, évoluer, faire sa marque et bouleverser l’ordre établi, par exemple celui de l’ISO. En fait, la question n’est pas de savoir si ce mégacoffret va continuer à dominer le monde en 2008, 2009 ou 2010, mais plutôt si sa part astronomique de marché pourrait être abaissée.
Comme s’ils avaient été munis de boules de cristal, les sbires redmondois à l’origine d’Office 2007 ont tout fait pour dissocier leur bébé du titanesque Vista. Et ils continuent de le faire. Office 2007, martèlent-ils, fonctionne parfaitement bien avec Windows XP pour peu que ce système d’exploitation soit muni du Service Pack 2 (SP-2). Et quand le SP-3 sera disponible, ce que l’on attend d’une semaine à l’autre, un SP-1 propre à Office viendra faire prendre la sauce et rendre la chimie plus comestible que jamais.
Tout le monde est d’accord. Même les objecteurs de conscience qui préféreront taper leurs textes, calculer leurs frais de déplacement, gérer leurs communications et livrer leurs présentations dans une des nombreuses solutions concurrentes, la plus connue étant celle de Sun Microsystem, Star Office, dont la variante libre et gratuite OpenOffice.org connaît un certain succès. Même le soussigné qui continue d’utiliser Office 2007 après avoir mis à l’essai diverses solutions de rechange (évidemment, il n’a pas à payer ses logiciels puisqu’il les reçoit en service de presse…). Tout le monde est d’accord : Office a beau être un inflagiciel et un produit déroutant, il n’en constitue pas moins une panoplie aussi bien ficelée que stable, un des meilleurs produits jamais fabriqués par Microsoft.
Une certaine grogne
La grogne est à deux niveaux. Il y a celui où on déplore l’interface novatrice faisant fi d’une façon d’accéder aux fonctions qui était encrée dans les mœurs depuis au moins 10 ans; Office 2007 a revu et corrigé cette vieille ergonomie. On peut aimer, on peut détester. Mais on s’habitue et on passe à autre chose.
Sur ce même niveau, on entend les plaintes relatives au nouveau format OOXML de fichiers. Office 2007 enregistre en docx (Word), xlsx (Excel) et pptx (PowerPoint) au lieu de le faire comme avant, en doc, xls et ppt. Pour être ouvert par une version antérieure d’Office, les documents 2007 doivent être enregistrés en format 2003, ou alors les versions d’Office 2000, XP et 2003 doivent avoir été mise à jour avec une rustine rendant possible la compatibilité à 2007. Évidemment, quand les plaignants apprennent les avantages considérables sur le plan gestion documentaire en entreprise de ce virage XML, la plupart se rangent avec armes et bagages.
L’autre niveau est plus politique. On reproche aux janissaires microsoftiens d’avoir agi comme un employeur qui salarie au-delà de 90 % de la main-d’œuvre d’un village et qui impose au conseil municipal la largeur, l’esthétique et le nom des rues limitrophes à son usine. On dit que Microsoft a dicté à l’organisation internationale des standards (l’ISO) son format XML « propriétaire », l’Open Office XML (OOXML). En effet, le 2 avril dernier, 75 % des délégués à l’ISO réunis à Genève (le minimum requis étant de 66 %) adoptaient ce format et en faisaient la norme ISO/IEC 29500. Ironiquement, trois semaines plus tard, le 21 avril, un expert de l’ISO, Alex Brown, démontrait que les documents Word 2007, les fameux fichiers docx, ne respectaient pas ladite norme ISO/IEC 29500. Gênant… mais circonscrit dans le temps.
Ce qui compte vraiment, c’est qu’Office 2007 (dont le code a été refait de fonds en combles par rapport à la mouture 2003 qui introduisait, elle, le XML), c’est aussi SharePoint et tout ce qui fit battre la vie en intranet corpo. Effectivement, en version Entreprise (une des sept saveurs du produit), on retrouve Access, Communicator, Excel, Groove, InfoPath, OneNote, Outlook, PowerPoint, Publisher et Word.
Une position dominante
Tant et si bien que 93 % des entreprises entendraient déployer ce produit, en tout ou en partie, d’ici un an, même que 40 % l’utiliseraient déjà dans des services ayant une solide concentration de travailleurs du savoir (information workers). C’est du moins ce qui ressort d’un sondage tenu récemment par Forrester Research auprès de 250 « preneurs de décisions », tant nord-américains qu’européens, et dont les résultats ont été publiés le mois dernier. On y apprend notamment que dans la plupart des cas, la propagation d’Office 2007 est liée à l’achat de nouveaux PC; peu d’entreprises songeraient à procéder à des mises à niveau.
Une autre firme de recherche, IDC cette fois, attribuait l’été dernier à Microsoft Office une part de marché « d’au moins 95 % ». La division « Business » de la géante du logiciel, division qui comprend Office, déclarait alors des revenus de 16,4 G$US.
En un mot, Microsoft Office, quel que soit son millésime, est la « norme de facto » en entreprise depuis un bon 10 ans, depuis la marginalisation de Lotus SmartSuite (IBM) et de WordPerfect Suite (Corel). En 2008, rares sont les cadres qui voudront mettre leur tête sur la bûche en recommandant à leur PDG une alternative moins chère, voire gratuite. Mais il y a des exceptions.
Fait d’armes des concurrents
Ici, c’est Singapore Airlines qui a installé StarOffice dans ses nouveaux Boeing 777 pour que les passagers puissent s’adonner aux joies de la bureautique sans avoir à utiliser leurs blocs-notes. Là, c’est la Banque du Brésil qui déploie OpenOffice dans 23 000 PC, ce qui lui ferait économiser 13 millions de réals. Plus loin, c’est l’administration régionale de l’Île-de-France qui dote 175 000 lycéens de clés USB contenant tous les logiciels de productivité nécessaire, dont OpenOffice. Ou encore, c’est la Ville de Munich qui passe de Microsoft à Linux et qui installe OpenOffice dans 14 000 PC. Et ainsi de suite.
Et que dire de ce déferlement d’applications Ajax et de services Web, ces ThinkFree, Zoho et autres Google Docs? Comment considérer la disponibilité en version beta 4 de Lotus Symphony, un très beau gratuiciel dans la foulée de Star Office et d’OpenOffice.org? Que déduire de cette collaboration entre Sun et Google relativement à la distribution gratuite de StarOffice? Comment évaluer l’impact du Mac OS X 10.5 dont certains logiciels arrivent à ouvrir et à modifier des documents Office 2007? Enfin, peut-on, par analogie, parler de l’effet Firefox sur Internet Explorer, un fureteur qui dans ses bonnes années frisa les 95 % de parts de marché et qui aujourd’hui avoisinerait les 80 %?
Mais avant de répondre à ces questions, il faut voir aller Steve Ballmer et Ray Ozzie, respectivement numéro 1 et 2 chez Microsoft. On les soupçonne d’avoir plein de surprises et de lapins dans leurs chapeaux. Avez-vous visité le site d’Office Live récemment? Avez-vous entendu parler du projet Albany, une espèce de refonte « petit budget » de l’essentiel « grand public » des outils bureautiques dont dispose Redmond?
Qui plus est, il faut considérer la stratégie de marché où Office a été segmenté en un savorama de sept éditions : Entreprise, Professional Plus, Professional, Small Business, Home & Students, Standard et Basic, une gamme de produits décrits sur le site de Microsoft et dont les prix semblent osciller entre 150 $ et 950 $.
Avoir eu à écrire la présente chronique pour des lecteurs moins corpo, j’aurais probablement insisté davantage sur la qualité de gratuiciels comme OpenOffice.org ou Lotus Symphony. Personne, à la maison, n’a besoin du coffre d’outils dont regorgent les moutures haut de gamme de Microsoft Office 2007. Par contre, ces outils sont essentiels, pour ne pas dire vitaux, en entreprise. Qui sait, la concurrence les utilise déjà ou s’apprête à le faire.
En péril Office? Avec une part de marché de plus de 90 %, le fait de pouvoir en dérober quelques miettes peut constituer une entrée considérable de gros sous, compte tenu de la taille de ce marché, ce qui permet de continuer à attaquer l’Empire, de laisser paraître une farouche concurrence et, surtout, de laisser entendre le rire tonitruant de Steve Ballmer…
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.
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