Les entreprises publiques canadiennes devront appliquer les normes de comptabilité IFRS en 2011. La firme Ernst & Young, qui souligne l’importance des impacts sur les systèmes informatiques, les conjure d’y oeuvrer dès maintenant.
Les normes internationales d’information financière IFRS, nommées ainsi depuis 2001, constituent une évolution des normes internationales de comptabilité (IAS) qui ont été adoptées en 1973. Les normes IAS avaient été établies dans le cadre d’un mouvement d’harmonisation, afin qu’une transaction effectuée dans un pays soit comptabilisée de la même façon dans un autre pays.
L’Union européenne, au début de la décennie, avait annoncé l’adoption des normes IFRS pour que les pays de ce marché commun puissent communiquer sur une base commune l’information financière des entreprises cotées en bourse. Plus de cent pays, représentant 45 % des capitaux mondiaux, auraient adhéré à ces normes depuis 2005.
Le Canada, qui possède environ 3 % des capitaux mondiaux, a annoncé qu’il abandonnerait ses normes au profit des normes IFRS à partir de 2011.
Complexité accrue
Rafik Greiss est responsable national de la conversion aux IFRS chez Ernst & Young. Il explique que les normes IFRS introduiront une complexité accrue au niveau de la comptabilité des entreprises canadiennes. La variété et la quantité d’information s’accroîtront, ce qui aura des impacts directs sur les systèmes informatiques qui sont utilisés pour les exercices de comptabilisation.
« Une norme peut donner trois ou quatre choix pour comptabiliser quelque chose, selon ce qui est approprié pour un secteur ou une industrie. Lorsqu’une entreprise change de principe comptable en raison d’un changement de norme, elle doit présenter l’information de façon différente, ce qui nécessite une collecte de données différente », explique-t-il.
« Par exemple, pour la comptabilisation des immobilisations, la norme IFRS exige une comptabilisation selon les composantes. Actuellement, dans le secteur de l’aviation, une entreprise présente les actifs au bilan comme étant « un avion ». Dans le futur, elle devra divulguer les composantes de l’avion, comme le fuselage et les moteurs. Cela nécessitera qu’une entreprise ait les données nécessaires pour savoir quel pourcentage de l’avion ira au fuselage ou au moteur. Si l’entreprise décide d’adopter la comptabilité selon la valeur marchande, elle devra suivre le coût original et la juste valeur marchande. L’entreprise devra aussi modifier ses systèmes pour amortir chacune des composantes sur leur durée de vie relative. »
« Toute l’information qui devra être présentée aura un début, soit l’étape de la collecte, et une application, soit les calculs nécessaires pour formuler la réponse. Et c’est à ce niveau qu’il y aura un impact sur les systèmes TI. »
En affirmant que ce sont les systèmes informatiques qui ont été les plus affectés lors des changements de normes au sein des entreprises européennes, M. Greiss croit que les organisations seront aux prises avec divers scénarios d’adaptation selon la nature et l’âge de leurs applications de comptabilité.
« Dans les entreprises aux prises avec des systèmes maison bâtis au cours des années, avec l’ampleur des changements à venir, il est possible qu’elles constatent que leurs systèmes sont trop archaïques pour être modifiés et qu’ils devront être changés. D’autres concluront que leurs systèmes, avec peu de modifications, pourront continuer à leur fournir l’information nécessaire. Celles qui envisagent de mettre à jour leurs progiciels de gestion intégrée au cours des deux ou trois prochaines années se trouveront en meilleure position, parce qu’elles pourront passer aux changements nécessaires pour les IFRS et prévoir ce qui sera nécessaire lorsque les nouvelles normes entreront en vigueur. »
Courts délais
M. Greiss met l’accent sur l’importance à accorder à l’examen et à l’adaptation des systèmes informatiques, et ce, le plus tôt possible.
Dans le cas du changement de normes en Europe, il relate que des entreprises qui ont rapidement identifié les problèmes ont pu modifier adéquatement leurs systèmes, mais que celles qui l’ont fait trop tard n’ont pas eu le temps de le faire.
« Elles ont dû produire leurs rapports financiers de façon extra-comptable, alors que le système fournissait l’information selon les vieilles normes et qu’elles apporteraient les changements à la mitaine dans des tableaux Excel. Celles qui ont fait cela en souffrent encore, leur production d’informations financière est encore lourde et pénible trois ans plus tard. Nous recommandons de revoir les changements à apporter le plus rapidement possible pour se donner le temps d’apporter les modifications nécessaires aux systèmes. »
Alors que nous sommes près du point médian de l’année 2008, il resterait donc en théorie deux années et demie pour que les organisations adaptent leurs méthodes comptables et les systèmes informatiques qui les soutiennent en fonction des normes IFRS. Or, M. Greiss précise que le délai de préparation est plus court, soit d’environ un an et huit mois.
« Bien que [le rapport] des premiers résultats trimestriels ne commencera qu’en avril 2011, les entreprises devront avoir les chiffres comparatifs selon les normes IFRS pour l’année 2010. Au début 2010, les sociétés devront donc prévoir la tenue d’une double comptabilité, l’une pour l’ancienne méthode canadienne et l’autre pour la méthode IFRS dont elles n’en publieront [les données] qu’un an plus tard lorsque les chiffres comparatifs seront nécessaires. »
Partir à point
Alors que le passage aux normes IFRS aura un impact important sur les systèmes informatiques des organisations, M. Greiss craint qu’une crise éclate au Canada en raison d’un manque de ressources en programmation.
« La seule façon de réussir serait de commencer tôt un tel projet d’adaptation afin de s’accaparer les ressources disponibles. Il faudra aussi planifier très bien et à l’avance [un tel projet] pour se donner les plus gros coussins possible dans les échéanciers. »
Interrogé à propos de la réaction actuelle des organisations canadiennes face à l’adaptation des systèmes informatiques aux prochaines normes, M. Greiss mentionne que ce sont les grandes entreprises, qui saisissent bien les enjeux liés à la gestion du changement et qui ont vécu des défis similaires lors de précédents remplacements de normes comptables, qui ont déjà entamé les actions requises.
Il précise que des entreprises de certains secteurs, comme les banques et les compagnies d’assurance, ont déjà entamé le processus d’adaptation en raison de l’importance des changements au niveau de leurs informations financières et de leurs opérations quotidiennes. Les entreprises de secteurs très réglementés, comme celles du secteur des services publics, ont déjà une longueur d’avance en raison de l’absence de normes précises à leur intention dans les normes IFRS.
« Le pourcentage des entreprises qui ont commencé [leurs travaux] est relativement petit. Il y aura une immense vague d’entreprises qui se réveilleront et qui réaliseront ce qu’elles devront faire », prévient M. Greiss.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.