Dans un conflit qui oppose les éditeurs de logiciels de conception d’intérieur Technologies 20-20 et Real View à propos d’un téléchargement illégal et d’une propriété intellectuelle, des affirmations de part et d’autre sèment quelque peu la confusion.
Au cours des derniers jours, deux éditeurs de logiciels concurrents dans le marché de la conception de salles de bain et de cuisines, soit Technologies 20-20 et Real View ont publié des communiqués de presse qui avaient trait à des développements récents dans le cadre d’une procédure judiciaire aux États-Unis. Or, les propos diffusés par les belligérants portaient sur différents éléments d’une histoire à plusieurs volets. Également, l’ordre chronologique des événements était difficile à saisir pour quiconque n’avait pas suivi de près le dossier.
Les déclarations
Le 27 septembre 2011, l’éditeur québécois Technologies 20-20, de Laval, affirmait dans un communiqué de presse qu’un tribunal américain avait reconnu la responsabilité du concurrent américain Real View, de Grand Rapids, au Michigan, et de ses cofondateurs Leonid Petrov et Boris Zeldin pour des dommages causés par le téléchargement illégal de son logiciel 20-20 Design. Technologies 20-20 soulignait l’octroi de dommages de 1,3 million de dollars américains par un jury, dans le cadre d’un procès tenu plus tôt cette année.
Toutefois, on indiquait qu’une ordonnance juridique exigeait la tenue d’un nouveau procès « afin d’établir ces dommages selon les standards juridiques applicables ». Technologies 20-20 ajoutait qu’elle « étudiait la pertinence de porter la présente cause en appel » afin de protéger sa propriété intellectuelle.
Ce communiqué de Technologies 20-20 avait été publié en réaction à un communiqué émis le 23 septembre 2011 par Real View qui édite ProKitchen, un logiciel de planification et de gestion de catalogues qui est destiné au marché des salles de bain et de la cuisine. Real View y indiquait qu’un tribunal avait rejeté des accusations d’infraction à la propriété intellectuelle qui avaient trait au logiciel 20-20 Design, dans le cadre d’un litige juridique qui durait depuis quatre ans avec l’entreprise québécoise.
Un hyperlien dans le communiqué de Real View menait à un document de cour, publié le 21 septembre 2011 par un tribunal américain, qui a trait à une requête de réduction des dommages (motion for remittitur en anglais) qui a été acceptée par un juge du Massachusetts. Cette requête réduisait des dommages compensatoires qui avaient été imposés à Real View, lors d’un procès de première instance, de 1,3 million de dollars américains à 4 200 dollars américains. Ce dernier montant équivalait au coût d’une licence, avec restrictions, du logiciel 20-20 Design de Technologies 20-20. Real View devait verser également des intérêts, à un taux de 12 % pour une période allant de 2004 à aujourd’hui.
Quelques explications
Alors que les propos tenus par Real View et Technologies 20-20 et la multiplicité des démarches juridiques sèment la confusion, Direction informatique a demandé à Yannick Godeau, conseiller juridique chez Technologies 20-20, de résumer le litige.
M. Godeau a indiqué que Technologies 20-20 avait constaté en 2008 que le concurrent Real View avait lancé le logiciel ProKitchen qui était très similaire à son produit 20-20 Design. Selon M. Godeau, Real View soulignait dans sa mise en marché que ProKitchen était « très, très similaire » à celui de 20-20 et qu’il ne comportait pas de courbe d’apprentissage. Technologies 20-20 a communiqué alors avec Real View afin de faire état des ressemblances entre les deux logiciels.
« Real View a déposé une requête de jugement déclaratoire afin de faire déclarer par la cour que leur logiciel n’enfreignait pas notre propriété intellectuelle, a relaté M. Godeau. Cette demande a été rejetée par la Cour, qui a jugé effectivement qu’il y avait des similitudes qui étaient étrangement similaires (sic). »
« Nous avons alors poursuivi [Real View] pour violation de droit d’auteur et pour violation du look and feel de l’interface utilisateur, car ils ont refait leur logiciel avec les mêmes icônes, à la même place, et avec la même façon de voyager dans le logiciel. C’est vraiment une copie. »
Après un procès devant jury qui a été tenu de décembre 2010 à janvier 2011 aux États-Unis, un verdict défavorable à Technologies 20-20 a été rendu en février 2011 à propos de la violation de propriété intellectuelle.
« Avec la preuve qui avait été déposée et en fonction des critères que la juge avait imposés, le jury a statué que le logiciel devait être “virtuellement identique” pour que Real View soit jugée coupable, alors que notre prétention était qu’il devait être “substantiellement similaire”. Ce point sera traité en appel, alors que nous jugeons que la juge a fait une erreur de droit. »
Reproche en parallèle et erreur de preuve
Or, il a été révélé que Real View s’était procurée d’une façon illégale une copie de la version 6.1 du logiciel 20-20 Design, ainsi que des vidéos de formation, par le biais d’un site de partage de fichiers dans Internet en 2004. Ce constat a été pris en considération par le jury de la cause portant sur une possible violation de propriété intellectuelle.
« Le jury en est venu à la conclusion que Real View, en téléchargeant illégalement une copie de notre logiciel et des tutoriels, avait commis une faute. En achetant une copie de notre logiciel par la voie légale, l’entente de licence aurait dit […] qu’on ne peut faire d’ingénierie inversée, ce qu’ils ont fait. Alors, le jury les a condamnés à nous payer 1,3 million de dollars », a indiqué M. Godeau.
En réaction à cette décision, Real View a déposé en septembre 2011 devant un tribunal du Massachusetts une requête en remittitur – soit la requête en déduction des dommages qui a été mentionnée ci-haut – afin de contester l’évocation du téléchargement illégal dans une cause dont le litige avait trait à l’interface utilisateur du logiciel. C’est à la suite de cette requête que les tribunaux ont statué qu’il y avait eu une erreur de la part du jury et que les dommages imposés à Real View seraient réduits à 4 200 dollars américains.
Technologies 20-20 pouvait demander un nouveau « procès » avant le 29 septembre 2011, sinon le nouveau montant en dommages qui était imposé à Real View entrerait en vigueur.
Nouveau procès intérimaire
M. Godeau a confirmé qu’un nouveau procès sera nécessaire en raison de l’erreur d’utilisation de preuve de la part du jury. Il a indiqué que ce procès ne partira pas de zéro, puisqu’il ne portera que sur les dommages liés au téléchargement illégal. Selon M. Godeau, les dommages imposés à Real View pourraient être supérieurs ou bien inférieurs au montant initial de 1,3 million de dollars américains.
« Une fois que le procès pour cette section aura été fait, le jugement final sera rendu, et c’est à ce moment qu’on saura si Technologies 20-20 est déboutée ou non », a ajouté M. Godeau.
M. Godeau a précisé que le montant de 4 200 dollars américains avait été appliqué de façon temporaire par la juge, puisqu’il s’agissait du seul élément factuel qu’elle détenait dans ce contexte. « Nous n’aurions pas donné une licence à un compétiteur, pour qu’il puisse nous copier, au même prix que nous vendons notre licence à quelqu’un qui utilise le logiciel pour faire des cuisines », a souligné M. Godeau. Il a ajouté que des experts, durant le procès, évalueront combien une licence hypothétique aurait pu être vendue aux fins de la copie du logiciel 20-20 Design.
Aucune date n’a encore été définie pour le nouveau procès intérimaire qui portera sur le téléchargement illégal du logiciel de Technologies 20-20 par le concurrent Real View. Lorsque le jugement final sera rendu, l’une ou l’autre des parties pourrait choisir de porter une ou l’autre des portions de la cause en appel.
À suivre…
Pour consulter l’édition numérique du magazine de septembre de Direction informatique, cliquez ici
Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.