Depuis le temps qu’on en parle, qu’on en télécharge des beta, Office 20010 est en processus de lancement urbi et orbi. Hier pour les entreprises, dans 30 jours pour les gens. Est-ce que ce sera le succès commercial escompté? Demandons à ma boule de cristal!
C’est finalement hier en matinée que Microsoft a lancé au bénéfice de sa clientèle d’affaires son méga coffret de productivité appelé Office 2010, cela trois ans et quelques après en avoir fait autant avec Office 2007. Les entreprises sous contrat de licence avec l’Empire de Redmond peuvent désormais télécharger la panoplie 2010 et commencer leur déploiement. Quant à nous « les petits, les obscurs et les sans-grade », il nous faudra attendre un mois avant de pouvoir en faire autant.
La version 2010, quatorzième du nom, représente probablement le plus gros coffret de produits depuis les débuts d’Office. Et pour cause. Les scribes comme moi l’ont dit et radoté depuis des mois : Microsoft Office n’est plus un ensemble bureautique. Depuis la mouture 2003, c’est devenu une plateforme. Plus que jamais avec Office 2010, tout semble tourner autour de SharePoint 2010, un gestionnaire de contenu très puissant qui permet aux autres produits Office de bosser en mode partage et collaboration. C’est un méga produit qui a redéfini dans bien des entreprises utilisatrices la notion de « gestion documentaire ».
Plus encore, tout le bazar Office 2010 est optimisé pour ronronner sous la chaleureuse enveloppe de Windows Server et pour péter des records de vitesse grâce à Exchange, à Office Communications Server 2007 R2 et à SQL Server. Il est même conseillé de passer à Windows 7 s’il est possible de le faire; l’expérience avec le nouvel Office n’en sera que plus agréable. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Microsoft.
Presque au même moment – coïncidence? – la firme étatsunienne Forrester Research publiait un document (qui coûte la peau des fesses) où on apprend qu’Office a le vent dans les voiles comme jamais. En se basant sur un échantillonnage de 115 entreprises américaines et européennes, Forrester soutient que 81 % des sites corpos utilisent Office 2007 et 78 % sont sous SharePoint. Mieux, le tiers des 115 répondants prévoit passer à Office 2010 d’ici un an, juste après avoir installé la version 2010 de SharePoint.
Dixit Forrester, si la moitié des firmes questionnées (52 %) migrera à 2010 parce que le contrat de licence avec Microsoft est ainsi conçu, plus du tiers (39 %) le fera en raison des bénéfices escomptés sur le plan productivité et presque autant (35 %) pour pouvoir demeurer compatible avec partenaires et clients.
Quant aux alternatives, apprend-on dans le document de Forrester, il n’y en a pas vraiment. Quoiqu’en dit Google, la présence de ses Docs et de ses Apps en entreprise est vraiment, mais vraiment, marginale. Idem pour OpenOffice.org ou Oracle OpenOffice. Ces produits ne représentent absolument pas un danger pour l’Empire. On pourrait plutôt élaborer sur le contraire. Vous avez visité le site Microsoft Office Live dernièrement?
Il y a six mois, Microsoft invitait les gens à se télécharger une beta gratuite d’Office 2010, ce que j’avais fait. J’en avais même fait une présentation. Depuis, il y a eu 7 millions de téléchargements (dans son communiqué de lancement hier, Microsoft parle de 8,6 millions d’individus qui utilisent présentement un produit embrigadé sous les couleurs d’Office 2010). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a eu de « l’intérêt ». On peut présumer que sur le lot des 7 ou 8,6 millions, pas tous n’ont été des responsables informatiques voulant toucher à la bête avant de commencer à en parler à leurs patrons. On peut facilement concevoir que la plupart ont été des individus intéressés par le produit.
En ce sens, peut-on parler d’un engouement grand public? Toutes versions confondues, il y aurait actuellement un demi-milliard d’utilisateurs d’Office sur la planète, un chiffre officiel qu’aime brandir Microsoft. Si on retranche de ce nombre les licences corpos pour ne considérer que les exemplaires utilisés par Monsieur et Madame Tout-le-Monde, le nombre sera probablement très différent. Comme Microsoft n’entend pas le divulguer, on ne peut que spéculer. S’il est réaliste de croire que les gens délaisseront en grand nombre les versions plus anciennes, c’est-à-dire Office 2000, XP et 2003, il ne faut pas s’attendre à ce que ceux qui utilisent actuellement 2007 se précipitent en cavalcade vers les boutiques informatiques.
Autre point, la réalité grand public est très différente que celle du marché corpo. Les Google Docs, Zoho Docs, ThinkFree, OpenOffice, WordPerfect Office, et autres Lotus Symphony ont une présence fort peu significative en entreprise. Google a beau faire des efforts pour se rendre crédible dans les tours des centres-villes, on y est plutôt conservateur. Mais il en est tout autrement chez les gens. Je connais plusieurs utilisateurs satisfaits des Google Docs, des gens qui ont adopté le Nuage sans s’avoir qu’ils s’adonnaient aux joies du « Cloud Computing », des gens qui n’ont plus besoin d’une copie (trop souvent piratée) de Word pour produire leurs textes.
Prenez mon petit cas bien personnel. Je gagne ma vie à écrire. Word, possiblement le plus utilisé des logiciels de Microsoft Office, devrait être mon principal outil de travail, comme c’était le cas dans les années 80 et 90. Sauf que c’est en train de ne plus l’être. Non pas que le produit ne soit pas bon; bien au contraire. C’est qu’au cours des dernières années, les gestionnaires de contenus comme WordPress, Blogger, Movable Type, etc. se sont répandus et ils sont de mieux en mieux faits. Depuis la version MU de WordPress, il m’arrive régulièrement de taper mes articles directement sans passer par Word 2007, la version que j’ai dans mon PC.
Du côté Mac, j’ai abandonné Word 2008 l’an dernier au profit de Beans, une merveille de gratuiciel qui fait exactement ce dont j’ai besoin et qui est beaucoup plus vif. Enfin, dois-je vous préciser que si je travaille à partir de ma boîte Linux, je me sers d’OpenOffice.org, un produit que je trouve de moins en moins laid? Au total, j’estime utiliser Word deux fois moins qu’avant.
Bref, Microsoft Office 2010 apparaîtra bientôt en mouture 2010 dans nos boutiques, cela en version adaptée aux besoins des particuliers ou des petites entreprises. Et ça se vendra. Peut-être pas autant que Microsoft le souhaiterait, mais il s’en écoulera des tombereaux. À l’inverse, le marché corpo, là où est l’argent, sera plus tapissé que jamais dans un douillet cocon Office. Et les sous s’empileront dans les caves de Redmond. Pas besoin d’une boule de cristal pour en arriver à cette conclusion!
On s’en reparle dans un an?
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.