Au cours des dernières semaines, j’ai fait comme de nombreux collègues journalistes technos, je me suis amusé avec Windows 7 pour en tirer des articles. De nombreux articles. En tout cas, beaucoup plus d’articles que je ne l’avais fait dans le cas des versions précédentes de Windows.
À cela, une explication de taille. Contrairement au modus operandi habituel, les différentes moutures de la version bêta de Win 7, alias les « Builds », sont offertes en mode libre-service. On les trouve quelque part sur Internet, on les installe et ça marche. Et comme on est fier d’avoir réalisé une telle prouesse, on en parle. À plus forte raison que le produit est agréable à utiliser, qu’il est stable, rapide et bien ficelé. Ce faisant, on joue le jeu « marketing 2.0 » de Microsoft. Voici pourquoi.
Tout a commencé en octobre dernier alors qu’au PDC 08 (Professional Developers Conference) on m’a prêté un bloc-notes Dell où on avait installé la « Build » 6801 de Win 7, un produit dont la facture du moment me permettait de lui prédire un bel avenir. Puis, en début janvier, Microsoft m’a invité à télécharger la « Build » 7000, une version encore plus belle. Cette fois, je fus inscrit dans une base de données à côté d’une clé d’activation de produit dont j’étais le bénéficiaire.
Mais un mois plus tard, la presse spécialisée, surtout celle des États-Unis, commença à présenter des articles à propos de nouvelles « Builds ». Je communiquai alors avec Microsoft où on me laissa entendre qu’il me fallait me débrouiller parce qu’il ne me serait plus remis de « Builds » officielles. On me dit même que la prochaine version du produit que je recevrais serait la définitive. Sans hésitation, je pris le conseil à la lettre et en me munissant de deux logiciels bien connus des adeptes du téléchargement extrême, je me procurai la « Build » 7057, puis la 7063, puis la 7077, etc.
À chaque fois, je me suis fait un plaisir de parler des nouveautés, d’insister sur la légèreté du produit, sur son apparente solidité, sur l’aspect agréable de son interface. Mais quand j’ai tenté d’obtenir des commentaires de Microsoft, je me suis fait répondre que cela n’était pas possible, que les versions que j’avais téléchargées n’étaient pas « officielles ». No comments!
Ensuite, j’ai poussé le zèle jusqu’à assembler un PC à cette fin. J’ai voulu démontrer que l’on pourrait simplement passer de XP à Win7 sur un P4 sans avoir à changer de machine et en se contentant d’acheter la version « mise à niveau » du nouveau système. Sans compter que, régulièrement, je suis allé visiter les gros sites technos américains ou européens où rarement j’ai pu lire des commentaires négatifs. J’ai même cru déceler une sorte de consensus international selon lequel qu’en ses versions post 7000, Windows 7 bêta était un fichu de bon produit et que Microsoft s’en allait au-devant d’un méga succès. Quant à Vista, ce SE mal-aimé, son futur immédiat ressemblait à un enterrement aussi discret qu’attendu.
Le plus drôle, j’avais beau avoir recours à des méthodes aux odeurs de soufre pour me procurer les nouvelles « Builds », je n’avais qu’à inscrire la clé d’activation de la 7000 et ça fonctionnait. Et si on perdait cette clé, par exemple en écrasant une version avec une nouvelle, il suffisait d’aller sur un site Microsoft pour se faire redonner une clé. Siffler en travaillant!
Pour résumer mon histoire, je viens de vous raconter que Microsoft a placé la prochaine version de Windows en mode buffet libre et que tout un chacun peut aller se la procurer, s’en faire une idée, en parler à sa guise en se tapant les bretelles de geek bien branché. En même temps, la géante du logiciel fait la sourde oreille et refuse de répondre aux questions. Jamais dans son histoire n’a-t-elle eu autant de testeurs bêta, des testeurs bénévoles auxquels elle n’a pas à parler, à fournir du soutien, à embobiner dans une langue normalement utilisée par le côté sombre de la force de vente. Microsoft vit un état de grâce.
Si elle peut se permettre cette façon de faire, c’est que le produit en question est bon. Elle le sait, on le sait, je le sais. Sans l’ombre d’un doute. C’est une attitude qu’elle aurait possiblement pu avoir avec Windows 2000. Peut-être avec Windows 98SE. Mais pas avec Win XP, la version de 2002, et surtout pas avec Vista. Pour avoir la chance d’en mettre une « Build » à l’essai, il fallait être accrédité comme bêta testeur, un honneur auquel les journalistes n’avaient pas droit. Et si lesdits testeurs se faisaient pincer à faire circuler une version, ils se retrouvaient condamnés à l’échafaud, après avoir été suppliciés pendant huit jours consécutifs dans un donjon de Redmond.
Je me souviens en avoir parlé avec quelques-uns de ces « choisis » en 2006. Même à quelques semaines du lancement définitif de Longhorn/Vista, un an en retard sur le plan de match initial. Or ces gens se disaient consternés. Le produit était d’une lourdeur épouvantable, les bogues étaient légion, leur PC en arrachait et ainsi de suite. Imaginez si le buffet avait été ouvert, si vous et moi avions pu nous faire une idée et la publier. Vista aurait sûrement été retardé d’une autre année.
L’approche est simple. On laisse couler un produit en développement avancé et on se met à l’écoute. Tant et aussi longtemps que les commentaires sont positifs, on continue. On engrange une rétroaction plus précieuse que tout l’or de Fort Knox. En prime, on n’a pas à se payer une très onéreuse campagne de prémarketing. La presse spécialisée la mène tambour battant et totalement gratos. Et elle est plus qu’heureuse de le faire.
Pour que ma théorie tienne, il me faudrait des preuves que Microsoft téléguide les coulages de « Builds ». Or, je n’ai que des soupçons. Ça lui rapporte, elle amasse des tonnes d’articles favorables, les fuites sont constantes depuis janvier, elle ne prend aucune mesure pour que ça cesse, aucun soi-disant « développeur » à l’origine des fuites ne semble avoir été châtié. Bref, ça sent la manipulation à plein nez.
Si j’ai raison, si j’ai tout compris, si j’ai percé un complot misérable, ne dois-je pas séance tenante cesser de parler de Windows 7, autrement dit, cesser de jouer le jeu de Microsoft? Eh bien non. Mes lecteurs en redemandent. Si je ne le fais pas, ils vont aller lire mes collègues qui eux, continuent de le faire.
Je suis coincé. C’est ça le marketing 2.0!
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.