LOS ANGELES (CA) – En début de semaine, la Microsoft d’après Gates donnait un aperçu très éloquent de ses nouvelles orientations en lançant, coup sur coup au PDC 2008, deux produits majeurs, Windows Azur et Windows 7.
Le premier est une plateforme de services Web qui sera en développement constant, le second, le système d’exploitation qui, avant la fin de 2009, remplacera Windows Vista. Ces deux lancements étaient présidés par Ray Ozzie, le prolifique successeur de Bill Gates au poste de Chief Software Architect.
Prolifique ? Regardons seulement une partie des annonces de l’Empire depuis janvier dernier : SQL Server 2008, Visual Studio 2008, Windows Server 2008, Windows Vista SP1, Internet Explorer 8, Xpression Studio, Mobile, Robotics, Dynamic CRM Online, LiveMesh, Online Services, Photosynth, Silverlight 2, Hyper-V Server et App Virtualization. Si cela vous laisse croire à un plan de match, vous avez deviné juste.
C’est que Microsoft a beau être une fabricante multinationale de logiciels de toute farine, elle est surtout une machine à fric dont l’objectif est d’enrichir ses actionnaires. Or, malgré la conjoncture, elle semble bien réussir à ce jeu. Ainsi, en se fiant aux chiffres qu’elle publiait dimanche dernier, on apprend que sa division Business (Office, Visual Studio SQL Server, etc.) avait engrangé 32,1 milliards de dollars américains, une progression de 16 % sur 2007, que sa division Platform & Online Services (Windows, MSN, Live, etc.) affichait des revenus de 20,1 G$US, soit 15 % de mieux que l’année précédente, et que sa division Entertainment & Devices (Mobile, Surface, Zune, Xbox, etc.) avait dû se contenter d’un petit 8,15 G$US, ce qui, par contre, était une amélioration de 34 %. De bien gros sous dont le flot doit impérativement continuer.
Stimulé par l’économie qui est ce qu’elle est et, surtout, par l’évolution constante des infrastructures de télécommunication (Web 2.0, 3G, Wimax, WiFi, Gigabit Ethernet, etc.), un vent bien connu depuis les années 1960, un vent d’« Externalisation of IT » que Ray Ozzie qualifie de « Big Come back », souffle plus fort que jamais. En gros, des entreprises voudraient pouvoir tout faire, avancer dans la vie, être à la page, dépasser leur concurrence, sans avoir à acheter, configurer, entretenir et gérer leurs logiciels. Ils préféreraient utiliser à forfait, à la pièce, en location, ce dont ils sont besoin, à leur façon, selon leur capacité de payer et à la mesure de leur ambition.
Pour que les deniers continuent de lui gonfler l’escarcelle, Microsoft n’a d’autre choix que d’offrir ses produits à ceux qui veulent en bénéficier de cette façon. De toute façon, d’autres le font déjà. Mais en même temps, il ne faut pas se leurrer, elle entend continuer à vendre des boîtes de logiciel. Sauf qu’elle va devenir de plus en plus sérieuse dans la fourniture sur demande, c’est-à-dire le service Web ou le Software as a Service (SaaS), bref, qu’en plus du reste, elle va devenir un méga fournisseur d’applications (Application Service Provider) d’ici la fin de la décennie. D’où ses flonflons marketing autour du « Cloud Computing ». D’où, également, les jargonneries « Software Plus Services » (S+S) et « Windows Azure », son incarnation du phénomène.
Grosso modo, les grands produits de Redmond ont été adaptés (ou sont en train de l’être) à cette plateforme fluctuante et nébuleuse du service logiciel. Je vous parle notamment de Live (Windows, Office et XBox), Dot.Net, SQL, Dynamic CRM ou même du très populaire SharePoint. Autrement dit, il est actuellement possible (ou il le sera sous peu), de développer une application avec Visual Studio, de se moderniser l’intranet dans SharePoint, d’utiliser Exchange sur la route, d’écrire dans Word ou de jouer dans Xbox, sans rien acheter. Il suffit (ou suffira) de s’abonner.
Des entreprises agiront ainsi 100 % du temps, d’autre préféreront le vrai logiciel en boîte à 100 % des occasions. Entre les deux, une gamme incalculable de possibilités. Ozzie emploie le terme « hybride » pour décrire la pratique informatique qui s’annonce.
En un mot, Microsoft devient, plus que jamais, grand propagateur du principe de SaaS. Petite nuance, il faut plutôt dire S+S. La méga fabricante a en effet « ajouté de la valeur » au SaaS. Elle parle de sécurité unique au monde (jamais Hotmail, MSN, Win Updates, etc. n’ont flanché malgré les attaques constantes), de disponibilité 24/7 (même en avion, en sous-marin, au plus profond des bois, etc. grâce aux technos Web 2.0), d’interfaces et produits archiconnus (Windows c’est Windows, Office c’est Office, etc.) et d’ajustement (scalability) au fur et à mesure des besoins.
Devenir client de Microsoft en mode S+S signifie que nos ordinateurs se connectent aux siens par la magie du Net représenté métaphoriquement par le nuage, d’où l’expression de Cloud Computing. Ce faisant, on prend place sur une plateforme bien confortable et, surtout, solidement ancrée sur des piliers archi connus de nos responsables informatiques, Windows Azure.
Plateforme? Effectivement. Azure (dont le nom de code était Windows Strata) est un environnement Windows où les développeurs d’applications et les gestionnaires informatiques sont (ou seront) en terrain familier. Ce n’est pas un système d’exploitation permettant de démarrer un PC, ni un programme qu’on fait tourner sur des serveurs, mais un service qui fonctionne sur de nombreux ordinateurs situés dans les centres de données de Microsoft, aussi bien aux États-Unis qu’à travers le monde. Ici, le mot Windows doit être considéré au même niveau que dans les cas de Windows Media Player, de Windows Defender ou de Windows Update.
Si vous relisez la liste des produits dont je vous parle, plus haut, au 2e paragraphe, vous conviendrez que la plupart, sinon tous, cadrent parfaitement bien dans cette vision, une vision qu’épousera, si on en croit la rumeur, Midori, le successeur de Windows 7. Donc, il y a effectivement plan de match.
Oui, mais il y en a eu d’autres par le passé. Vous vous rappelez la longue saga de Longhorn devenu Vista? Sauf que cette fois, il pourrait en être tout autrement. Chez Microsoft, la grande qualité de Bill Gates, premier à porter le titre de Chief Software Architect, aura été d’être un brasseur d’affaires redoutable, doublé d’un geek chevronné. Homme de vision? Plus ou moins; on se rappelle, par exemple, qu’il n’avait pas vu venir Internet. Son VP à qui il avait confié Longhorn/Vista était Jim Allchin, un technonerd encore pire que lui. Quant à son bras droit, Steve Ballmer, il représentait le tonitruant bras marketing essentiel à tout succès logiciel.
Aujourd’hui, Gates et Allchin sont partis. Ballmer est devenu le no 1 et continue de ne pas s’impliquer dans le développement de produits. Le Chief Software Architect est maintenant Ray Ozzie, le père de Lotus Notes et le fondateur de Grooves, une fabricante d’outils de collaboration achetée par Microsoft. Homme de vision réputé, il est également un gestionnaire efficace. On dit qu’avec lui, les livrables sont livrés et les budgets respectés. L’homme à qui il a confié Windows Azure est le « Distinguished Engineer » Amitabh Srivastava, un des VP corpo de Microsoft qui y a consacré deux ans de sa vie. Microsoft doit à ce chercheur réputé quelques outils stratégiques qui lui permettent de mieux mesurer l’excellence dans les différents processus de fabrication de logiciel.
Et en ce qui a trait au développement de Windows 7, cette espèce de « Vista Plus Plus » que Midori remplacera possiblement en 2011 ou 2012, Ozzie a confié le fouet au VP corpo Steven Sinofsky, un informaticien redoutable qui avait fait sa marque de gestionnaire comme responsable du développement du groupe de produits portant la bannière Microsoft Office System. On lui prête cette procédure selon laquelle rien qui ne fonctionne pas de façon acceptable n’est ajouté à une version préliminaire de produit.
C’est à un point tel que la version M3 de Windows 7, une pré béta remise au PDC, est incroyablement stable, rapide et agréable à utiliser. En fait, je m’en sers présentement pour écrire cet article et je ne me rends vraiment pas compte ne pas être sous Vista 64. En une semaine d’utilisation quotidienne, je n’ai pas encore eu de crash ou d’inconvénient majeur. Quand on lui a demandé, au dit Sinofsky, à quelle date on pourrait mettre la main sur une beta, une RC ou une version 1.0, il a refusé de répondre. « Quand ça sera prêt », s’est-il contenté de dire. Et, dans sa tête, cela voulait dire « prêt, débogué et opérationnel ».
La beauté, c’est qu’en toute cohérence, Windows 7 et, bientôt, Midori, disposent des ressources nécessaires pour ronronner de bonheur dans l’environnement Windows Azure, ce qui inclut la techno actuellement représentée par Hyper-V et l’utilisation en mode Web 2.0 de produits en ligne. En un mot, tout se tient.
Bref, si la Microsoft de 2008 est dirigée par l’homme d’affaires et mercaticien Steve Ballmer, sa raison d’être, la fabrication de produits informatiques, l’est par un visionnaire très habile en gestion, un homme qui s’est entouré de lieutenants que l’on dit compétents et efficaces. En ce sens, si Redmond embrasse la vision du Cloud Computing, elle a plus de chance que jamais de s’y tailler une place.
La question est maintenant de savoir si cela va se produire et seule une boule de cristal peut y arriver. L’économie étant ce qu’elle est, les humains agissant comme il leur arrive de le faire, les adversaires de Microsoft (dont Google, Apple et IBM) ayant ces habiletés qu’on leur connaît, tout est possible. Mais, force est d’admettre que le PDG Ballmer en laissant les coudées franches à son second, Ray Ozzie, a joué la bonne carte.
On verra bien assez tôt.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.