Les médias sociaux constituent des sources d’éléments de preuve dans le cadre de litiges juridiques. À la conférence Legal IT de Montréal, deux avocats ont souligné les règles et les contraintes liées à l’obtention et l’admission de preuves provenant du Web 2.0.
Les médias sociaux, comme les blogues ou les réseaux sociaux tels que Facebook, LinkedIn et MySpace, sont utilisés par un nombre croissant d’internautes. Or, le contenu produit dans ces médias sociaux peut constituer une preuve dans le cadre d’un procès, pour la justification d’une décision ou pour le soutien d’une accusation.
Dans le cadre de l’édition 2011 de la conférence Legal IT, Me. Nicolas Vermeys, qui est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, directeur adjoint du Laboratoire de cyberjustice et avocat-conseil en matière de droit des technologies de l’information au cabinet Legault Joly Thiffault, et Me Patrick Gingras, qui est avocat en droit des technologies de l’information et en droit de la propriété intellectuelle au Ministère de la Justice du Québec, ont expliqué que le contenu des médias sociaux était constitué de trois types d’information.
Il s’agit du contenu généré par un abonné (les mises à jour de statut, les photos, les hyperliens, etc.), du contenu généré par la plate-forme (ex. : les activités récentes du compte de l’abonné) et du contenu généré par des tiers, dont les « amis » de l’abonné.
MM. Vermeys et Gingras ont dit que le contenu d’un média social pouvait être évoqué devant les tribunaux comme élément de preuve contextuelle, soit comme preuve de comportement frauduleux, comme preuve de moralité, ou comme preuve de non-respect d’une obligation. Aussi, le contenu d’un média social peut servir à démontrer la commission d’un acte illicite, comme la diffamation, la sollicitation ou le leurre.
« L’utilisation d’un profil dans Facebook peut servir d’alibi », a indiqué Me Vermeys, en relatant qu’une personne accusée de meurtre avait prouvé qu’elle changeait son profil dans ce réseau social au moment où le crime a été commis, ce qui a suscité un doute raisonnable en entraîné son acquittement.
Admissibilité en preuve du contenu des médias sociaux
En expliquant que le contenu des médias sociaux pouvait être admis en preuve devant les tribunaux, M. Vermeys a évoqué notamment la cause Landry et Provigo Québec inc., rendue en 2011 par la Commission des lésions professionnelles, qui a statué qu’une page Facebook dotée de photos et de texte constituait un élément matériel de preuve.
Toutefois, l’admissibilité de contenu provenant d’un média social dépend de la façon par laquelle il a été obtenu. Les conférenciers ont expliqué que le contenu obtenu d’une page publique ou d’une page privée par le biais d’un « ami » était admissible en cour, mais ils ont indiqué que les opinions étaient partagées quant à l’admissibilité du contenu obtenu sur une page privée par un accès illicite, par exemple à l’aide d’un pirate.
D’ailleurs, la définition du caractère privé ou non du contenu d’un média social suscite l’intérêt du milieu juridique. Un jugement récent d’un tribunal ontarien estimait qu’une page dans le réseau Facebook n’est pas tout à fait un journal intime, parce qu’on donne l’accès à d’autres personnes à cette page qui sert à la construction de réseaux sociaux. Dans la décision Landry et Provigo Québec, la Commission des lésions professionnelles avait statué que le contenu dans Facebook n’est pas du domaine privé parce que le contenu est accessible aux amis et aux « amis des amis ».
M. Vermeys a ajouté que des décisions juridiques rendues récemment au Québec et en Ontario avaient établi différents « seuils d’amis », qui pourraient servir à statuer si un compte Facebook est considéré comme étant privé ou public.
L’obtention des éléments de preuve
À propos de l’obtention d’éléments de preuve auprès des exploitants de médias sociaux, Me Gingras a relaté que ces exploitants n’étaient pas enclins d’entrée de jeu à acquiescer à de telles demandes.
« Ils répondent qu’ils n’ont pas l’information, qu’il s’agit d’un sujet qui a trait à la vie privée, qu’ils n’ont pas les autorisations nécessaires ou bien que le droit québécois n’est pas applicable, a expliqué Me Gingras. Toutefois, ils sont bons joueurs dans deux cas, soit lorsque l’intégrité d’un enfant est en jeu ou qu’il y a une menace à la vie d’une personne, parce qu’ils craignent de faire l’objet de poursuites. »
Néanmoins, Me Gingras a indiqué que les avocats peuvent exercer des recours à l’endroit de l’exploitant d’un média social. La première phase consiste en une demande de préservation de preuve, qui sert en quelque sorte à indiquer à l’exploitant visé qu’il doit conserver des données aux fins d’une autre requête qui suivra sous peu.
Une demande de préservation de la preuve peut être exercée à propos d’informations fournies par un abonné (contenu, informations sur l’abonné, sur ses amis ou sur des transactions), d’informations provenant d’interactions de l’abonné avec Facebook (informations sur les activités sur le site, sur le navigateur et le dispositif d’accès utilisés, sur les fichiers témoins) et d’informations reçues de tiers par le média social. En raison de la durée relativement courte de la conservation du contenu supprimé dans les systèmes informatiques des exploitants de médias sociaux, Me Gingras a recommandé aux avocats d’agir sans tarder afin qu’une demande de préservation soit manifestée rapidement à l’exploitant visé.
Le recours suivant est l’ordonnance judiciaire, qui permet d’obtenir des informations contextuelles afin d’identifier une personne. Les ordonnances pouvant être appliquées à l’endroit d’exploitants de médias sociaux sont l’ordonnance de type « Norwich », qui a déjà été utilisée quelques fois au Canada, et l’ordonnance de type « Anton Piller », plutôt rare, qui donne le droit d’investir des lieux et de saisir des preuves à l’aide de techniciens.
Enfin, à propos de la dernière étape du processus, soit l’exécution d’une ordonnance judiciaire, Me Gingras a fait a indiqué que les exploitants de médias sociaux peuvent évoquer des restrictions quant à la portée juridique d’une telle ordonnance.
Par exemple, le réseau social Facebook, dont le siège social est en Californie, acceptera d’exécuter une ordonnance judiciaire québécoise si elle été soumise à un tribunal américain, alors que Google, qui exploite un établissement à Montréal, acceptera une ordonnance judiciaire avec moins de réticence.
Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.