Linux Desktop en entreprise : pour bientôt?

Les discussions autour de l’utilisation de Linux dans les organisations, ou du logiciel libre en général, font beaucoup de bruit. S’agit-il d’un bruit de fond ou d’une lame de fond?

Dans le monde corpo, les informaticiens savent de quoi il est question quand ils entendent parler de Red Hat Enterprise Linux, de SuSE Linux Enterprise, de Xandros Server et autres Ubuntu Server, des « distributions » Linux conçues pour les organisations.

Le savorama du sieur Torvalds, Linus de son prénom, est ainsi fait que la plupart des variantes ont une mouture « entreprise ». Ce sont des produits qui se livrent à une solide concurrence entre eux et au nom desquels s’affairent des communautés d’utilisateurs prosélytes tous aussi enthousiastes les uns que les autres. Il faut donc croire que ces systèmes d’exploitation ont une vie active dans un marché essentiellement contrôlé par Microsoft.

Et tout le monde a entendu des histoires comme celle de la Gendarmerie nationale française qui achève sa migration vers 70 000 postes de travail Ubuntu, celle de l’Assemblée nationale française qui en utilise déjà 1 154, celle de ce groupe bancaire de Chicago ou de ces écoles de Russie, de la Macédoine et du Venezuela qui adoptent la plateforme Linux, sans parler de toutes ces histoires brésiliennes, italiennes, allemandes, belges, suisses, où de grands pans organisationnels, financiers ou autres sont passés en giron linuxien. En fait, il s’agit de consulter le site « Migrations vers les logiciels libres » pour en avoir une bonne idée. Il faut donc croire qu’il y a vraiment des entreprises sous Linux malgré l’embrigadement mondial sous les couleurs de Microsoft!

Où est Linux?

Pourtant, au Québec, si on veut voir ce système d’exploitation en action, il faut arpenter le marché « consommateur ». Les technophiles aiment souvent se divertir à la maison en bidouillant dans une « distro » de Linux, toutes étant gratuites en défroque grand public. Ainsi, Red Hat s’y encanaille sous le nom de Fedora, SuSE Linux sous celui d’OpenSUSE, etc. C’est la joie indicible de pouvoir taper « sudo apt-get install » en mode console. Conjoint voulant le demeurer, s’abstenir!

Par contre, si on visite une entreprise, aucun poste de travail ne semblera être sous Linux (si nous avons tort, écrivez-nous à redaction@directioninformatique.com pour nous le laisser savoir…); on y constatera plutôt l’implacable présence de Windows avec, parfois, une marginalité de postes sous Mac OS X. Les incidences éventuelles de Linux seront essentiellement le fait de serveurs, lourds et petits, où auront été installés Apache, MySQL, des gestionnaires de contenu (CMS) et une foule d’autres applications écrites en PHP.

Tout cela est bien vrai, reconnaît Jean-Luc Henry, chargé de projet (sécurité et système) au Techno Centre Logiciels Libres (TC2L), un rassemblement d’entreprises (dont IBM, Novell et InfoGlobe) ayant pignon sur rue dans la ville de Québec. « Mais beaucoup de choses sont en train de changer », me confie cet informaticien. En fait, nul n’est besoin de frotter une boule de cristal, pour deviner qu’à court terme, des choses intéressantes pour les tenants du logiciel libre et de Linux vont se passer, par exemple, dans la capitale quatre fois centenaire.

En faisant des liens avec ce que m’a dit, l’été dernier, Ross Chevalier de Novell Canada, je subodore que la solution SuSE Linux, la solution apparemment la mieux « OQLF-isée » du grand tout linuxien, pourrait se doter, bientôt, d’une belle vitrine au gouvernement du Québec. Et pas seulement dans les parcs de serveurs, mais aussi sur les bureaux.

Appareils abordables, Linux compris

De toute façon, réfléchit l’homme de TC2L, il y a une tendance presque lourde, celle de la prolifération de petites machines pas chères (200 $, 300 $, 400 $…), de petits appareils très peu énergivores qui se branchent en réseau et dans lesquels on installe une version « Desktop » de Linux, ainsi qu’un bon fureteur Internet. On peut également y ajouter quelques logiciels libres « Open Source » comme OpenOffice.org, un coffret bureautique très complet, ce qui risque, cependant, de ne pas être nécessaire. L’évolution se ferait présentement dans le sens de serveurs locaux ou à distance, des machines inféodées à Linux avec tout le bataclan nécessaire, avec lesquelles les petits postes de travail (clients légers pouvant être autonomes, si nécessaire) communiquent par protocole Internet (IP).

Il suffirait d’avoir dans les serveurs le logiciel nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise pour que tout baigne dans l’huile. L’argument voulant que GIMP, le logiciel graphique le plus utilisé sous Linux soit moins convivial que Photoshop Elements 6 d’Adobe, un logiciel Mac/Windows, ne tient pas ici. Pas plus que la rareté de beaux logiciels de traitement musical ou de recherche généalogique. On est en entreprise, pas à la maison!

En concédant qu’il est aussi onéreux de développer avec du logiciel libre que de le faire avec des produits Microsoft, on peut imaginer l’économie que représente néanmoins une telle implantation : économie en consommation d’énergie, en achat/entretien du matériel et du logiciel, frais de formation et en soutien technique; Jean-Luc Henry me cite des chiffres que je me dépêche d’oublier tant ils sont énormes.

Mais justement, qui peut former les utilisateurs, vaquer à la résolution de problèmes et s’adonner aux joies du soutien technique en giron Linux? N’est-ce pas la le méga hic? Une foule de petites firmes peuvent le faire, m’assure mon expert, incluant le vendeur même des équipements. IBM, Novell ou InfoGlobe, ne sont pas des sociétés évanescentes où l’on vend de la programmation en PHP, des DVD vierges en paquet de 50, du logiciel « grey market » et des jeux vidéo en solde. Donc, nous devrions être rassurés. Le sommes-nous?

Bien beau, mais pourquoi personne ne semble allumer? « C’est déjà très fort en Europe et ici, ça s’en vient », affirme Jean-Luc Henry. Le parc présentement sous Windows Server et XP devra être renouvelé d’ici quelques années. Pour quoi? Pour de gros PC quadricoeurs avec 2 ou 3 Go de RAM sous Vista ou Windows 7, cela dans un contexte économique pas facile, avec des concurrents chinois qui, eux, ne craignent pas d’utiliser Linux (Red Flag, une variante chinoise de Red Hat, serait la distro Linux la plus utilisée au monde…)? On peut le croire, mais on peut également en douter.

On peut présumer qu’au fur et à mesure qu’ils vont devoir remplacer des ordinateurs, mettre des logiciels à jour, moderniser ceci et optimiser cela, bref investir lourdement, les gestionnaires de 2009, 2010 et 2011 vont probablement vouloir bien évaluer cette tendance, avant de prendre une décision. Auquel cas, on pourrait assister à quelques brèches lourdes de conséquences côté compétitivité de nos entreprises et côté marge de profit chez Microsoft.

S’agit-il d’une probabilité probablement probable, d’un rêve en couleur ou d’une argutie de chroniqueur? On verra bien assez tôt!

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.


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