S’il est un domaine où la survie passe par une succession soutenue, permanente et à fréquence vertigineuse, d’évolutions et de révolutions, ce sont bien les TI.
En fait, ce sont surtout la survie et le dynamisme de l’industrie des technologies de l’information (TI) qui la contraignent à vivre ces mouvements tectoniques technologiques de l’innovation. Les utilisateurs de leur côté s’accommoderaient certainement d’un peu plus de stabilité ou bien de quelques poses salutaires dans ce grand ressac de l’innovation.
Le maître mot est ainsi lâché : l’innovation. Aujourd’hui, pas de pérennité dans les TI sans un rythme soutenu d’innovations. Certes, toute cette innovation, dont on fait grand cas actuellement, n’est pas issue d’une génération spontanée. Elle est l’héritière de la recherche et développement (R&D) qui fut longtemps le mot magique dans le secteur des TI. Mais, rien n’étant statique dans ce chambardement des TI, la loi de « l’innovation » a voulu que l’on change « R&D » pour « innovation ». La chose est tellement symptomatique que notre ministère qui s’occupait autrefois de la R&D a introduit le vocable « innovation » dans son nom, et s’appelle aujourd’hui le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation.
Qu’est-ce que l’innovation?
Il existe de nombreuses définitions de l’innovation. Cependant, en voici une, qui semble bien cadrer avec ce que les organisations font aujourd’hui de l’innovation : « L’innovation est un moyen efficace pour acquérir stratégiquement un avantage concurrentiel, soit en répondant directement aux besoins d’un marché, soit en améliorant son alignement corporatif. Innover, c’est créer de nouveaux produits, faire évoluer des produits existants, mais c’est aussi, optimiser un système de production, adopter de nouvelles technologies, de revoir ses façons de faire et ses pratiques, de réviser ses modes de distribution ou de prestation, de faire évoluer ses visions et ses planifications, de repenser ses approches et ses méthodologies. »
En ce qui concerne les innovations techniques et technologiques, les TI peuvent faire confiance aux manufacturiers pour cela, car leur survie en dépend. Pour tous les autres types et domaines d’innovations, la direction des TI devra, elle-même prendre les choses en mains. Et là, les domaines d’innovation sont aussi vastes que diversifiés, aussi anodins que révolutionnaires. Leurs impacts organisationnels, commerciaux et concurrentiels sont à la hauteur de la créativité investie dans l’innovation.
Comment innover?
Si l’innovation est présente dans les organisations depuis déjà longtemps, elle est surtout ponctuelle. Elle s’adresse souvent à un produit, soit à la création d’un nouveau produit, soit à l’amélioration d’un produit existant. On la nomme pour cela « innovation produit ». Si cette innovation s’adresse à un processus, de fabrication par exemple, une approche ou une méthodologie, etc., alors l’innovation sera qualifiée d’ « innovation projet ». Le point commun de ces deux types d’innovation est leur caractère spécifique et ponctuel.
Parfois, et c’est de plus en plus le cas, l’innovation s’impose comme permanente dans l’organisation. On parle alors « d’innovation permanente », « d’innovation totale », de « gestion de l’innovation ». Cette fois, outre le fait d’utiliser l’innovation comme un moyen d’acquérir un avantage concurrentiel, comme le spécifie sa définition, l’organisation planifie de conserver et de développer, sur le long terme, cet avantage concurrentiel. L’innovation devient alors pour l’organisation une arme offensive sur son marché. On voit alors apparaître l’appellation récente « d’innovation durable ». L’innovation devient alors un élément stratégique du développement et de la croissance de l’organisation.
Pour se livrer à ce type d’innovation, l’organisation doit mettre en place un « esprit corporatif de l’innovation totale », comme ce fut le cas avec la qualité totale. Pour ce faire, l’organisation devra se doter de processus et d’outils. Elle devra impliquer dans le processus, tant ses employés que ces clients. Il lui faudra donc commencer par innover dans la gestion et la planification de ses ressources humaines et dans la gestion de sa relation client.
Le miroir aux alouettes
Parmi tous ses avantages et ses apports bénéfiques, l’innovation présente aussi un danger. C’est celui de l’accoutumance et de la surutilisation. En effet, quand le processus d’innovation fonctionne bien dans une organisation, il y a le risque de s’emballer. En effet, si l’innovation est bénéfique, une organisation ne fait jamais de l’innovation pour l’innovation. C’est là, le danger de voir le processus d’innovation surchauffer et produire pour produire. Le fait de vouloir innover a un objectif et il faut absolument, pour l’organisation, se maintenir dans cet objectif. Le surpasser n’apporterait rien de plus dans l’immédiat. Mais, cela priverait l’organisation d’une autre étape ultérieure d’innovation future. De plus, cela indiquerait aux concurrents quelle sera l’étape suivante dans l’innovation, leur permettant ainsi de passer directement à l’étape suivante, sans faire les efforts nécessaires, ni dépenser les frais requis pour résoudre la première étape de cette innovation multiple. D’autant que, si l’innovation est bénéfique, elle a aussi un coût, pas toujours négligeable, pour l’organisation.
Un levier stratégique
Si l’innovation fut, sans conteste l’apanage de l’industrie des TI, aujourd’hui, cette même innovation semble avoir rejoint les utilisateurs et la direction des TI, elle-même. Dans cette ère nouvelle d’alignement stratégique d’une part et de fusion organisationnelle d’autre part, entre les TI et l’ensemble de l’organisation, l’innovation pourrait bien devenir le bâton de pèlerin de la direction des TI. Cette même innovation pourrait bien être le passage obligé vers la création de valeur ou d’avantages concurrentiels de la part des TI, en collaboration et en partenariat avec les autres directions de l’organisation.
L’innovation est assurément le plus court chemin pour faire sortir la direction des TI de sa fonction dévolue traditionnellement de fournisseur de services informatiques, vers celle de partenaire privilégié, exigée pour un alignement stratégique efficace ou une fusion synergique. Certes, l’innovation ne fera pas disparaître le fait que la direction des TI doit opérer en situation de budget réduit, les années d’opulence étant chose du passé, et parallèlement accroître la position et l’influence des TI au sein même de l’organisation. Il faudra nécessairement faire autrement. La direction des TI devra donc innover dans ses méthodes de travail et de livraison de ses prestations.
Ce repositionnement des TI dans l’organisation ne se fera pas en criant ciseau. C’est une innovation qui va requérir des changements profonds au sein de l’organisation. La direction des TI va devoir se soucier de comment elle peut participer à l’amélioration des résultats de l’organisation. Et les autres directions vont devoir pour leur part se soucier de comment elles peuvent aider la direction des TI à y parvenir. Ce sera ça la notion de partenariat. Autre façon de faire et autre façon de penser. C’est le prix à payer pour un alignement corporatif réussi et une utilisation de l’innovation comme levier stratégique.
Innovation TI en RH
L’innovation avec un grand « I » a toujours eu un effet domino. Ainsi, une innovation en entraîne souvent une ou plusieurs autres dans des domaines connexes, juste pour que la première puisse se matérialiser. Ainsi, la direction de TI pour assumer les diverses innovations qui lui incomberont à court terme devra également innover dans sa façon de penser et de gérer ses ressources humaines. Afin de répondre adéquatement à ses besoins successifs d’innovation, la direction des TI doit faire en sorte que ses RH restent agiles afin de pouvoir compter sur un effectif diversifié, efficace et de bonne qualité, au moment opportun. Une expertise dans laquelle les TI se sont rarement pratiquées.
Pourtant, la tâche va être de taille. La croissance actuelle de la demande en main-d’œuvre en TI est énorme et cela n’est que la pointe de l’iceberg. Tout le monde sait que les ressources se raréfient, mais bien peu agissent. On sait déjà qu’actuellement, les analystes d’affaires, les architectes d’entreprises, les planificateurs et les généralistes stratégiques sont devenus une denrée rare et difficile à trouver. Or les organisations auront de plus en plus besoins de ressources qualifiées, capables d’interagir harmonieusement avec les gestionnaires des autres directions et habiles dans la compréhension des affaires. Un tel panel de ressources prend du temps à être créé et façonné pour correspondre exactement aux besoins.
La direction des TI, qui généralement gère ses besoins en ressources humaines d’une année sur l’autre, va devoir plonger dans l’innovation en la matière. La planification à long terme des ressources, la gestion des talents, la gestion des savoirs, la pratique de la rétention du personnel, la vision prospective du marché, sont autant d’innovations que les RH du secteur des TI devront investiguer.
L’innovation, comme la qualité l’est actuellement, sera le prochain leitmotiv des organisations performantes. La prolifération de la pratique de l’innovation dans les organisations devrait amener rapidement la création d’un nouveau métier, celui de gestionnaire corporatif de l’innovation. Le sujet semble vaste, car la limite de l’innovation semble bien être l’innovation suivante. L’innovation abordant tous les domaines de l’organisation jusqu’aux plus cruciaux, est sans nul doute une nouvelle flèche dans le carquois stratégique des équipes modernes de gestion. On ne peut s’empêcher de penser dans toute cette modernité de l’innovation qu’un ancien avait dit, au point d’en faire un proverbe : « qui n’avance pas, recule! »
Gérard Blanc est associé principal d’une firme conseil en gestion et en systèmes d’information.
Gérard Blanc est associé principal d’une firme conseil en gestion et en systèmes d’information.