« The Times They Are a-Changin’ », disait c’te gars! Bien beau, mais face au changement, l’homme, lui, il demeure ce qu’il a toujours été, pour le meilleur et pour le pire. Comme le dit l’adage populaire, « plus ça change, plus c’est pareil! » Survol de l’actualité récente.
Quand on lit les manchettes, force nous est d’admettre que les temps changent; le virage numérique a des effets majeurs. Ici c’est le laboratoire de films 35 mm Technicolor qui ferme ses portes à Mirabel, le numérique ayant rendu infiniment moins rentable son produit malgré la qualité qui y était associée. Il faut comprendre que d’ici un an, 60 % des salles de cinéma québécoises seront numérisées. Ouvert en 2001, ce labo avait créé 275 emplois dans les Basses-Laurentides. On y produisait des copies de superproductions hollywoodiennes, dont le dernier Harry Potter. Cette décision d’affaires met à la rue 178 travailleurs dont le salaire annuel moyen était de 68 000 $. En plus de Mirabel, Technicolor fermera sous peu son labo de Los Angeles.
Dans Saint-Henri, un quartier du sud-ouest de Montréal, les antiquaires sont en train de fermer boutique. Bien sûr, les goûts ont changé et les gens sont moins portés qu’avant à se meubler à l’ancienne. Reste que la concurrence du réseau Internet fait très mal. Pourquoi rouler, stationner, marcher et magasiner sur la rue Notre-Dame quand on peut le faire en cliquant dans eBay ou dans certains sites spécialisés avec, en prime, la possibilité de régler l’éventuel problème de livraison?
Partout au Québec, plus rien n’arrête désormais la modernisation de Desjardins. J’ignore combien de succursales la géante de la coopération a fermées à ce jour, mais les résultats sont sans équivoque. Contribuer à l’agonie d’un village en forçant ses sociétaires à « rouler » jusqu’à un centre plus important est rentable et, à plus forte raison qu’un nombre sans cesse croissant de clients, des gens généralement de moins de 65 ans, font tout par Internet. Résultat : « les excédents avant ristournes ont atteint 1,437 milliard de dollars en 2010, en hausse de 34 % par rapport à l’exercice précédent. Les ristournes ont atteint 305 millions, en hausse de 8 %. » De quoi faire se retourner Alphonse Desjardins dans sa tombe.
Chez nos voisins du Sud, c’est le libraire Borders, une des fiertés du Michigan, qui cadenasse ses 399 derniers magasins, mettant au chômage 10 700 employés. À son meilleur, en 2003, l’entreprise comptait 1 249 succursales, ce qui faisait d’elle la deuxième chaîne de librairies en importance aux États-Unis, derrière Barnes & Noble. Cette nouvelle ne fera rien pour améliorer l’économie très éprouvée de la région. Si parmi les raisons de ce désastre, il y a la concurrence sauvage de Wal-Mart et Costco du côté des livres rentables, il ne faut surtout pas négliger le fait qu’Amazon, une méga-librairie en ligne qui propose son propre « lectel », le Kindle, ainsi qu’Apple, la fabricante du iPad et du logiciel iBook, ont été plus agressives, plus convaincues, plus novatrices et mieux organisées par rapport au phénomène numérique.
Et ainsi de suite, il est évident que les temps changent. Parcourez l’actualité économique et demandez-vous à chaque mauvaise nouvelle si la révolution numérique est un facteur pouvant l’expliquer. Bien sûr, tant d’emplois perdus ici font qu’il s’en crée autant, plus ou moins, là. C’est une loi macroéconomique. Mais allez l’expliquer aux employés de Technicolor, vous aurez peut-être de la difficulté à les convaincre des mérites du progrès.
Allez aussi tâter de votre fibre pédagogique auprès des ex-employés de IQT Solutions, un sous-traitant de Bell Canada qui faisait affaire à Laval, Trois-Rivières et Oshawa, vous risquez une rebuffade tout en émotion. Quelque 1 200 personnes s’y sont fait montrer la porte vendredi dernier, sans préavis et sans qu’on leur paye les deux dernières semaines de travail. Ici on ne parle pas de progrès numérique. On parle de l’humain qui demeure cohérent avec ce qu’il a toujours été, une créature âpre au gain se servant de méthodes expéditives. IQT Solutions semble en effet avoir adopté une approche près du capitalisme victorien où la personne humaine n’était qu’un outil interchangeable au service de riches entrepreneurs lourdement médaillés, des business tycoons à la morale parfois élastique.
Ce geste n’étonne presque pas, c’est comme si avec les pratiques gestionnaires de Quebecor ou, plus récemment, de Postes Canada, on était en train de s’habituer à cette nouvelle façon de voir les choses. En tout cas, si on ferme les yeux, la mouvance populiste ou libertarienne, ce courant qui semble avoir certaines entrées médiatiques (p. ex. Sun News et Fox News), est là pour nous les ouvrir. Et je ne parle pas seulement de Sarah Palin et autres Michele Bachman.
Tout laisse croire que ce retour apparent vers les valeurs que l’on croyait surannées n’est pas seulement le fait de la scène économique. L’humain semble vouloir demeurer cohérent avec les credo politiques du bon vieux temps. J’en veux comme exemple la Hongrie. Voici un pays européen de très grande culture où les Roms (Romanichels ou Tsiganes), une minorité ethnique importante, doivent fuir certains villages devant les exactions de milices d’extrême droite appartenant au parti Jobbik. La police refuserait d’intervenir.
Ce même pays dont le populaire chef d’État conservateur, Viktor Orban, vient de terminer son mandat comme président de l’Union européenne, a rendu obligatoire le travail sous surveillance policière pour les assistés sociaux, a officialisé de lourdes déclarations ethnonationalistes, a réhabilité la mémoire de l’amiral Miklós Horthy, régent du pays de 1920 à 1944 et soupçonné de collaboration avec les Nazis, a musclé aux stéroïdes l’organisation policière et le système judiciaire, a réduit grandement les pouvoirs de la Cour constitutionnelle, a promulgué une loi visant à contrôler les médias, etc. On croirait à une répétition du climat européen des années 1930 symbolisé par le quatuor Mussolini-Hitler-Franco-Salazar.
Fait isolé? Hum! Depuis le 20 mai dernier, c’est l’extrême droite populiste du charismatique Jorg Haider (que l’on dit animée d’un fond de nostalgie nazie) qui, avec 28 % des votes, est le deuxième parti politique le plus important en Autriche. La campagne s’est jouée sur le dos des étrangers et de l’immigration. Et on connaît la percée de l’extrême droite en Scandinavie. Dois-je vous parler de l’Irlande du Nord où les émeutes se succèdent depuis une grosse semaine? Tout cela parce qu’en juillet 2011, des protestants défilent sous les bannières orangistes dans des territoires fortement peuplés de catholiques. On est cohérent avec son passé.
Mais on a un iPhone en poche. Les Hongrois consomment sur Internet, les Autrichiens téléchargent des films, la Suède héberge Pirate Bays, la porno sur Internet est accessible en Indonésie malgré la loi, Facebook a connu son heure de gloire à la place Tahrir et on tweete à Franklin, au Tennessee, la ville classée en 2010 comme étant la plus conservatrice des États-Unis.
D’un côté tout semble vouloir changer, d’un autre tout semble vouloir demeurer. Ce paradoxe s’explique par le fait que dans le fond, à l’instar du chat, du tapir ou de l’orignal, l’humain ne changera jamais. Seul son décor, celui de Péricles, d’Ovide, de Philippe le Bel, de Kubilai Khan ou de Barak Obama le fera au fil du temps et des époques.
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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.