À qui profitent les mini-blocs-notes économiques, ces ultrapetits, ultralégers, qu’ils soient commerciaux ou éducatifs, issus d’un projet à but humanitaire ou non? Certainement pas à Microsoft et sans doute très peu à l’univers Linux.
En début de semaine, des porte-parole gouvernementaux de l’Inde dévoilaient un projet d’ordis éducationnels à 500 roupies (environ 20 $US) dans le cadre d’un programme de cyberapprentissage (eLearning) ayant pour cadre 18 000 collèges et 400 universités à travers le pays.
Ce bloc-notes appelé Sakshat aura 2 Go de RAM et disposera du WiFi. Une des raisons d’un si faible coût est la mise à contribution d’étudiants et de chercheurs du réseau universitaire, ainsi que le recours à de la main-d’œuvre bon marché disponible dans des économies émergentes. On croit que cette machine sera nantie d’un projecteur au lieu d’un moniteur, qu’elle arrivera sans clavier ni souris et qu’elle fonctionnera avec une saveur très légère de Linux; on verra bien assez tôt.
Quoi qu’il en soit, on parle d’un bloc-notes beaucoup moins cher que ceux qui existent à l’heure actuelle sur le marché de l’ultra petit, celui des Netbooks ou des Ultralight PC. 20 $US, c’est cinq fois moins cher que le OLPC XO-1, une machine lancée au MIT de Boston en 2005 (mais qui coûte 200 $ à fabriquer), c’est vingt fois moins cher que le très populaire Eee PC que fabrique la Taïwanaise ASUS, c’est dix fois moins cher que le projet http://en.wikipedia.org/wiki/Classmate_PC Classmate PC d’Intel, c’est une fraction du Medison Celebrity, un bloc-notes suédois dont on n’entend plus parler depuis une grosse année et c’est presque vingt fois moins cher qu’un AspireOne fabriqué par Acer.
Sans compter, dans cette course vers le plus petit, les incontournables Dell et HP.
Cela pour dire que ce sont de très bons vendeurs, surtout en ces temps difficiles. La semaine dernière, je vous citais des chiffres de la firme de recherche IDC selon laquelle il s’écoulera 21 millions de ces petites machines en 2009, comparativement à 11 millions en 2008 et à 182 000 en 2007.
Or, tous ces produits proposent une variante de Linux. Ainsi, l’AspireOne fournit une saveur maison appelée Linpus Linux Lite. L’Inspiron Mini 9 (Dell) lui, a recours à Ubuntu. Son concurrent HP, le 2133 y va avec SuSE Linux Enterprise. Quant au Eee PC, il utilise une mutation simplifiée de Xandros. Pour sa part le XO du sieur Negroponte arrive avec une adaptation de Fedora (Red Hat). Enfin, Intel installe Mandriva dans ses Classmate PC. Et ainsi de suite. On parle de petits ordis qui selon le processeur, l’affichage et la mémoire, se vendent généralement moins de 400 $.
En même temps, plusieurs offrent Windows XP, voire Vista, moyennant quelque 100 $ ou 200 $ supplémentaires, soit le coût de la licence. Il arrive en effet que des gens se sentent perdus devant un Bureau différent de celui de Windows. Ils ne trouveront pas exagéré, alors, de payer une prime pour demeurer en terrain familier. Par exemple, les beaux-parents du rédac’chef de cette publication passent en ce moment l’hiver en Floride avec une eMachine portable acheté 400 $, ce qui inclut… Vista Home. Qu’en font-ils? Navigation par GPS, Internet, courriel et Skype. Rien d’autre. Si le bidule n’est pas aussi vite qu’un quadricoeur Intel, ils vont l’endurer. S’il rend l’âme comme le veut la réputation de cette marque, ils ne le feront pas réparer. C’est devenu comme les imprimantes à jet d’encre. Le prix qu’ils ont payé est celui d’un appareil électroménager. On l’achète, on l’utilise, on s’en débarrasse.
Mais de plus en plus, on se procure ces machines sans envoyer de sous à Microsoft. Soit qu’on apprenne à tirer profit de la saveur de Linux fournie avec l’ordi, ce qui n’est pas toujours aussi sorcier qu’on le croit, même si parfois, on a envie de s’arracher les cheveux de la tête. Soit qu’on reformate le disque et qu’on y installe une version légale (on l’a déjà sur tablette) ou piratée de Windows XP.
Ça me fait penser à une histoire survenue en 2006-2007 au Brésil dans le cadre du programme Computador para Todos (des ordis pour tout le monde). C’est une initiative du président Lula da Silva qui permet aux Brésiliens de s’acheter un PC de configuration modeste pour 1 200 reals (ou R) ce qui équivaut à 640 $CA. Ceci inclut tous les logiciels nécessaires, dont un système d’exploitation GNU/Linux, OpenOffice, etc. Si 1 200 R correspondaient alors au revenu familial mensuel (moyenne supérieure) des internautes brésiliens, un PC à ce prix était considéré bon marché. Mais comme les gens trouvaient Linux un peu rébarbatif, plusieurs s’en débarrassèrent pour installer Windows XP et Microsoft Office. Le problème, c’est que sur le marché légal, XP (familial) se soldait aux alentours de 470 R (soit 260 $CA) et Microsoft Office 2003, 350 R (soit 194 $CA), ce qui faisait grimper la facture totale à 1 800 R. Ils ont donc été très nombreux à recourir à la rue où XP Pro se vendait 10 R (5,50 $CA) et Office 2003 (en Portugais) encore moins cher. En 2006, l’Association brésilienne des fabricants de logiciels (ABES) avait démontré qu’au cours du premier mois suivant l’achat de leur PC, 73 % des bénéficiaires du programme de Lula avaient troqué Linux contre Windows XP… sans que Microsoft en sente les bénéfices.
Une nouvelle allant dans le même sens, celui des effets pervers sur les revenus de Microsoft, est parue mardi dernier. Cette fois, il s’agit de l’Américaine VMware qui lançait une version Linux de VMware View Open Client. On installe ce petit programme et on se connecte sur un serveur Windows 2003/2008 nanti de VMware View Connection Server. C’est quoi le lien avec le Brésil? C’est le fait qu’il devient ainsi possible de ne plus avoir à entretenir que des PC sous Windows, mais d’utiliser des PC bas de gamme sous Linux n’exigeant que fort peu de puissance ou de sophistication. VMware View leur permet d’aller chercher une image virtuelle du Bureau de Windows et de s’en servir pour accomplir des tâches routinières, ce qui représente moins de licences Microsoft à défrayer.
Bref, les petites machines « El Cheapo » se vendent très bien et ce n’est pas une bonne nouvelle pour Microsoft. Par exemple, peu d’utilisateurs y installeront Microsoft Office. Les uns préféreront des services Web comme ceux de Google. D’autres se téléchargeront un coffret bureautique en code source libre tel OpenOffice. Sans compter que tout cela n’aide en rien aux ventes de Vista. Redmond a même dû reporter à plusieurs reprises la date de fin de cycle de XP, un système beaucoup moins exigeant en ressource. Et, je n’ai pas à vous faire de dessin, se le procurer sur le marché noir est un jeu d’enfant.
Est-ce que Win 7, un SE plus rapide et moins lourd que Vista, va venir remplacer XP dans les Netbooks et les Ultralight PC, ce qui apporterait une consolation aux compteurs de billes chez Microsoft? Ça se peut, pourvu que la version de base ne coûte pas trop cher. En cas contraire, XP continuera d’y être utilisé (et abominablement piraté) au détriment de Win 7. Et est-ce que ce blackboulage de produits Microsoft va profiter au giron Linux? Normalement non. Pour que ce soit possible, il faudrait que tous les fabricants de petits appareils se coordonnent pour n’avoir recours qu’à une même saveur, avec tout ce que cela suppose en termes de développement de logiciels et de services. Or ce n’est pas demain la veille que cela arrivera.
Donc à qui profite la situation? Certainement pas au manufacturier de machines. Les marges sont très minces et certains, sous prétextes humanitaires, vendent ces appareils moins chers que leur coût de fabrication. Le seul vrai gagnant dans cette histoire est l’utilisateur qui, en dépensant un minimum d’argent, réussit à tirer de ces machines ce dont il a besoin. Du moins, la plupart du temps.
Alimentée par la conjoncture économique, la tendance est lourde et l’Empire la sent passer. Comme une grosse crise d’urticaire qui colle et qui colle. Comme une maladie insidieuse qui la ronge, lentement, inlassablement. Et s’il faut qu’elle s’aggrave, la tendance, au point de rendre possibles des annonces comme celle du Sakshat à 20 $, Microsoft devra peut-être aller occuper un lit à l’urgence!
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.