Au lieu de craindre l’insertion des jeunes technophiles en milieu du travail, les organisations devraient en faire des catalyseurs de changement dans le recours aux nouvelles technologies. Constats de deux observateurs intéressés.
Voici un deuxième article portant sur l’intégration des jeunes utilisateurs de technologies au sein des organisations. Nous vous invitons à lire l’article d’André Ouellet Intégration au travail des nouvelles générations: au-delà de la nécessité, un atout, paru la semaine dernière.
Les jeunes qui font partie de la génération Y ont-ils le dos large? Certains les disent « pointilleux », « impatients » et « difficiles » lorsqu’il est question de l’utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) chez leurs employeurs, plus particulièrement celles qui sont liées à l’interaction en ligne. Les employeurs, qui sont aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre, sont confrontés à un défi organisationnel d’importance. Caprice de jeunesse ou choc des générations?
Catherine Lamy est directrice de projet à l’organisme Cefrio à Québec. Elle oeuvre au projet Génération C : les 12-24 ans en tant qu’agents de transformation des organisations québécoises, qui étudiera au cours de la prochaine année comment les attitudes et les comportements des jeunes de la génération Y, mais aussi de la génération C qui les précède, face aux technologies se transposent dans leur vie d’étudiant, de travailleur, de citoyen et de consommateur.
« On dit beaucoup de choses [des jeunes, de l’utilisation des TIC et de leur attitude au travail], mais il y a beaucoup de mythes et de préjugés, considère Mme Lamy. Il faut aller plus loin et essayer de les comprendre. De toute façon, les organisations devront se transformer et s’adapter, parce que c’est la main-d’oeuvre de l’avenir. Il faut arrêter de les voir comme étant un problème, mais comme un catalyseur et un levier de transformation. »
La conseillère et conférencière Michelle Blanc s’intéresse aux technologies Web et à leur adoption par les diverses générations. Elle indique que la conception de la vie de la génération Y, née avec l’Internet, diffère de celle des générations précédentes. Qui plus est, son poids démographique est plus important que celui des fameux baby-boomers.
« Il faudra faire avec ce qu’ils pensent de la réalité, ce qui est bien différent de leurs prédécesseurs, observe Mme Blanc. Pour eux, le travail, la collaboration et le divertissement sont équivalents et devraient coexister tout le temps. Le travail emm…? On change de travail. On ne peut collaborer? On change de travail. […] Le courriel est pour les vieux, alors qu’ils sont habitués à la messagerie instantanée, aux blogues, aux wikis et à Facebook. S’ils ont quelque chose à dire, c’est maintenant, car dans une demi-heure ce ne sera plus pertinent. Cela change beaucoup de choses dans l’entreprise. »
Changement philosophique
En matière de changement, Mme Lamy estime que les premières actions d’adaptation du travail au contexte des jeunes des organisations se situent au niveau de la présence au travail, puisqu’ils ont déjà des technologies permettant le travail à distance, du nombre d’heures travaillées – des entreprises américaines évaluent dorénavant les employés en fonction des résultats – et de la formule de travail ‘de 9 à 5′, alors que les jeunes veulent parfois travailler le soir et même la nuit.
« Il faut un changement de la culture de gestion, affirme-t-elle. Ce n’est plus une question de contrôle. Les gestionnaires doivent apprendre à composer avec cela. De toute façon, on peut être 40 heures assis à un bureau et perdre son temps. Cela a toujours existé, même avant les technologies. »
Michelle Blanc croit que l’enjeu de l’adaptation des organisations à la nouvelle génération « technophile » est avant tout de nature philosophique. Elle croit que donner un bon salaire à un nouvel employé et de lui bloquer les accès aux technologies constitue un paradoxe.
« Auparavant, on assistait à une autorité dogmatique et une communication unidirectionnelle : le médecin a raison, le professeur sait tout, l’entreprise sait ce que veulent les clients et ce qu’il faut dire aux employés. Aujourd’hui, nous sommes dans une communication multidirectionnelle et égalitaire. L’entreprise est critiquée, le professeur est mis au défi, le [propos du] médecin est [comparé] avec des informations trouvées sur le Web… Personne n’a la vérité et tout le monde a une portion de la vérité. Et les jeunes sont habitués à naviguer là-dedans et à se faire leur propre idée. L’époque où le patron parle et que tout le monde doit écouter tire à sa fin », estime-t-elle.
Le levier au lieu du bouclier
Plusieurs organisations redoutent l’arrivée des jeunes travailleurs parce qu’elles croient que leur désir d’utiliser les technologies sera une source de friction et de conflit. Selon Mme Lamy, les organisations doivent plutôt saisir l’occasion de recourir à la nouvelle génération pour adopter pleinement les nouvelles TIC.
« Au début, dans les entreprises, les technologies n’étaient pas vues comme des leviers de transformation et d’innovation, ce qui est de plus en plus accepté maintenant, relate-t-elle. C’est pareil avec les jeunes: la première idée qu’il faut s’enlever de la tête est qu’une menace arrive, qu’ils sont paresseux, exigeants, etc. Il faut plutôt capitaliser sur leurs forces et leurs compétences. Ce n’est pas vrai qu’ils sont tous bons avec les technologies, mais plusieurs le sont. »
La directrice de projet estime qu’il est dans l’intérêt des organisations de se servir de leur expertise et surtout de leurs réseaux de contacts. « Si un jeune a une tâche à réaliser, il se pourrait qu’il fasse appel à son réseau sur Facebook ou MSN pour rechercher de l’information, donne-t-elle en exemple. Si c’est défendu par une organisation, ce n’est pas nécessairement une bonne idée. C’est sûr qu’il peut parler de la pluie et du beau temps avec ses amis, mais il va parler en bout du compte de la tâche à effectuer. »
« Je dirais même que lorsqu’on engage un jeune, on engage son réseau. C’est une approche d’ouverture qui peut être bénéfique pour une entreprise. En plus, ils sont en lien avec des gens de partout dans le monde, ce qui n’était pas nécessairement le cas des générations précédentes. »
« Les entreprises ont beaucoup à gagner à permettre aux jeunes de demeurer actifs dans leurs réseaux. Il peut y avoir de l’abus, mais c’est la même chose qu’avec le Web et l’usage des technologies de travail à des fins personnelles, où il y avait un débat bien avant l’arrivée des jeunes… », ajoute-t-elle.
Transfert, ouverture, transparence
Mesdames Lamy et Blanc croient toutes deux que la clé du succès de l’intégration des jeunes travailleurs et de leur utilisation des TI réside dans le maillage intergénérationnel, où un vétéran et une recrues sont jumelés afin de procéder à un transfert de connaissances basées sur l’expérience.
Or, la différence fondamentale avec l’approche traditionnelle réside dans une relation bidirectionnelle, où les deux parties feront preuve d’écoute et d’apprentissage.
« Le président de General Electric, qui en 1995 disait se ‘foutre’ du Web, a dit en 1998 que l’entreprise mourrait si elle ne faisait pas un virage. Il a jumelé chaque vice-président avec un jeune pour qu’il apprenne ce qu’est le Web et modifie son modèle d’affaires. Cela a résulté en des innovations hallucinantes, comme la gestion des moteurs de paquebots via satellite », donne en exemple Mme Blanc.
D’ailleurs, l’organisation doit faire preuve d’une ouverture envers les jeunes travailleurs, une ouverture qui devra être réelle, aux antipodes du cliché de marketing. « Si on dit ‘votre opinion compte’, il faut que ça soit vrai. Aujourd’hui, la boîte à suggestion doit être en ligne et il faut qu’il y ait de la rétroaction. Cette philosophie découlera sur les pratiques de gestion, sur les choix technologiques et sur la vision d’ensemble », croit Mme Blanc.
« La transparence et l’ouverture ne signifient pas la capitulation de l’autorité. Cela signifie qu’on demande l’opinion des gens et qu’on leur permet de s’accaparer le discours. Quand on dit à quelqu’un ‘voici la réalité’, ce n’est pas comme dire ‘voici la réalité telle que je la pense, qu’en pensez-vous?’ Quand on s’exprimer de la sorte, on peut faire sienne une réalité et continuer. Les jeunes sont habitués à commenter, challenger, discuter et collaborer. Ce sont des notions philosophiques différentes », précise-t-elle.
D’autant plus que Catherine Lamy du CEFRIO souligne que l’intérêt accru pour l’utilisation des nouvelles technologies au travail n’est pas exclusif à la génération Y. « Ce ne sont pas juste les jeunes qui peuvent être intéressés par [ces concepts]. Ils peuvent pousser davantage, mais il y a des gens plus âgés qui ont également accès aux technologies. Les jeunes vont peut-être initier un mouvement qui pourra être profitable à d’autres personnes », conclut-elle.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.