Face aux taux de roulement élevés de la main-d’oeuvre, mis en lumière par TechnoCompétences, les entreprises de l’industrie doivent adapter leurs modes de rémunération. Constats et conseils.
Lors de la diffusion Web de l’organisme TechnoCompétences qui était consacrée aux prévisions des augmentations salariales en 2008, des données comparatives ont révélé qu’un nombre croissant de travailleurs quittaient leurs employeurs dans l’industrie des TI. En conséquence, les entreprises devront revoir leurs offres en matière de rémunération pour répondre aux attentes qui varient d’une génération à l’autre.
Marc Chartrand, associé de la firme Perrault Conseil, souligne que la démographique et le profil de la main-d’œuvre au Canada allaient faire l’objet de grands changements au cours des prochaines années. II démontre que les mouvements de personnel étaient plus prononcés en 2007. Avec le départ à la retraite des baby-boomers, le ratio des travailleurs en rapport aux retraités pourrait passer de 5 : 1 en 2005 à 2 : 1 en 2030. Il confirme que les premiers symptômes de ce déséquilibre, soit un taux de roulement plus élevé, une plus grande compétitivité salariale pour les meilleurs candidats et des attentes plus élevées des chercheurs d’emplois, étaient déjà remarqués.
M. Chartrand met en lumière une croissance en 2007 du taux de roulement volontaire, soit les démissions et les départs volontaires, en comparaison avec les données de l’année 2005, dans l’industrie québécoise des technologies de l’information. Selon un sondage réalisé par TechnoCompétences, le secteur de l’édition de logiciels aurait présenté en 2007 un taux de roulement volontaire de 13,7 %, celui du multimédia un taux de 11,8 % et celui en télécommunications un taux de 24,7 %. Les écarts de taux de roulement volontaire dans le secteur des services-conseils et des services en informatique pourraient être les plus élevés de l’industrie, soit 15,9 % en 2007 contre 6,9 % en 2005. Seul le secteur manufacturier en TI pourrait avoir un taux moindre, soit à 6,5 % en 2007 contre 13,6 % en 2005.
Du côté du roulement involontaire, soit les congédiements et les mises à pied, les taux de roulement en 2007 pourraient aussi être plus élevés qu’en 2005. Le secteur manufacturier en 2007 aurait affiché un taux de 7,1 %, celui du secteur des services-conseils et des services en informatique un taux de 7,3 % et celui des services de télécommunications un taux de 8,2 %. Le secteur du multimédia pourrait avoir l’écart de taux de roulement involontaire le plus élevé, soit 12,4 % en 2007 contre 2,5 % en 2005. Le secteur de l’édition de logiciels pourrait avoir un taux moindre, soit 9,7 % en 2007 contre 15,9 % en 2005.
Impacts nombreux
M. Chartrand considère que des taux de roulement volontaires supérieurs à 10 % et des taux involontaires variant de 5 % et 10 % sont suffisamment élevés pour qu’il s’agisse d’une préoccupation importante pour les entreprises du secteur des TI.
« Cela reflète que le chômage n’est pas très élevé, que l’économie va relativement bien et que la démographie fait qu’il y a de moins en moins de gens disponibles pour travailler et de plus en plus de gens qui prennent leur retraite », commente-t-il.
M. Chartrand souligne que l’augmentation des taux de roulement est un phénomène qui est assez généralisé dans l’économie, mais ajoute que les conséquences seront très importantes pour les entreprises.
« Pour une première fois en trente ans, la disponibilité et les compétences seront un enjeu majeur pour la croissance des organisations, déclare-t-il. En service-conseil, où l’on vend du temps et du monde, des firmes qui ont un taux de roulement de 16 % iront chercher des projets qu’ils ne seront pas capables de livrer. Hors de l’industrie des TI, en génie-conseil, certaines firmes ne sont pas capables d’obtenir des projets non parce qu’elles ne les “gagnent” pas, mais parce qu’elles n’avaient pas les ressources pour les réaliser. »
L’augmentation du taux de roulement de la main-d’œuvre aura également des impacts sur les finances et la productivité de l’entreprise. « Selon certaines études américaines, le coût de remplacement d’un employé qui quitte [une entreprise] varie entre 30 % et 150 % de son salaire. Plus les gens dont qualifiés, plus les coûts sont élevés. Par exemple, dans le cas de la programmation d’applications maison, cela peut prendre un an et demi avant que la nouvelle personne arrive à la même productivité de [celle qu’elle remplace]. Cela coûte cher, sans oublier les frais de recrutement… »
Conséquences d’une rareté
Benoît Leduc, chargé de projets chez TechnoCompétences, déclare que les chiffres reflètent la grande mouvance des ressources humaines au sein de l’industrie. « [Les travailleurs] vont vers les entreprises les plus intéressantes, et les taux de roulement sont effectivement très élevés. Les entreprises doivent se démarquer au point de vue des avantages et de la rémunération, parce que les employés vont magasiner leur emploi maintenant », commente-t-il.
Cette mouvance s’explique par la rareté de la main-d’œuvre, en raison de la diminution du nombre d’étudiants qui ont opté pour une carrière en technologies de l’information. M. Leduc confirme que le taux d’admission diminue dans les cégeps et qu’il y a moins d’inscriptions dans les universités depuis quelques années.
« C’est pour cela que TechnoCompétences fait beaucoup d’efforts pour la promotion de carrières, pour inciter les jeunes à venir étudier dans le secteur, parce qu’on se retrouve avec un manque de ressources dont les entreprises ont besoin », explique-t-il, en référant à la deuxième édition de l’initiative industrielle Ma Carrière Techno.com.
Bilan de la main-d’oeuvre
M. Chartrand dresse un portrait des quatre générations de la main-d’œuvre actuelle, où les éléments marquants et les valeurs diffèrent grandement d’un groupe à l’autre.
Ainsi, la Génération Y des travailleurs âgés de 17 à 25 ans, marquée par la technologie et la consommation, valorise la compétence, le respect et une vie équilibrée. À l’opposé, la Génération silencieuse des travailleurs âgés de 62 à 80 ans, marquée par les restrictions des crises économiques et des guerres, valorise le travail, la rigueur et le respect de l’autorité.
Pour assurer une rétention de la main-d’œuvre, M. Chartrand suggère aux entreprises d’utiliser plusieurs leviers, comme la rémunération, l’évaluation, le développement de l’organisation, la formation, la dotation et la planification de la main-d’œuvre. Il recommande surtout de faire un bilan de la main-d’œuvre à risque sur deux axes, d’une part pour établir si la présence d’un employé est critique pour l’entreprise, et d’autre part pour voir dans quelle mesure il existe un problème de rétention de l’employé.
« Il faut développer des employés afin qu’ils aient les compétences requises pour remplacer les gens à risque. Mais il faut aussi être proactif avec les employés à risque – ne pas attendre d’avoir leur lettre de démission pour se dire qu’il fallait y penser – et s’assurer de répondre à leurs besoins tout en respectant les politiques de l’entreprise », commente-t-il.
Cocktail rémunérateur
Pour ce dernier point, M. Chartrand suggère à l’entreprise de recourir à un mélange de quatre formes de rémunération, soit la rémunération directe (salaire de base, bonification, etc.), les avantages sociaux (assurances collectives, régime de retraite, etc.), le développement (gestion de performance, formation, projets spéciaux, etc.) et l’environnement de travail (culture, climat, conditions de travail).
« Comment mise-t-on sur ces composantes? En regardant les quatre générations, on voit que la Génération Y privilégie l’argent dans ses poches, parce que cela permet d’acheter une maison ou de changer de voiture, ainsi que les opportunités de développement. Pour la Génération X, qui a atteint un certain niveau de carrière, les finances sont encore importantes, mais aussi l’environnement de travail, soit la flexibilité et le contrôle de la vie. Les baby-boomers, plus près de la retraite, recherchent la sécurité et le bien-être. C’est la même chose pour la Génération silencieuse, mais sous un angle différent, soit la flexibilité de se retirer progressivement du travail », explique-t-il.
Enfin, M. Chartrand répond à deux questions que se posent fréquemment les entreprises face aux taux de roulement.
« Doit-on répondre à une surenchère? Si la rémunération est bien structurée, je dirais que non, à moins qu’il ne s’agisse d’un employé à risque qui est dans le quadrant “élevé-élevé” [du bilan de la main-d’oeuvre] », déclare-t-il.
« Si on croit qu’on aura de la difficulté à développer une deuxième génération de produit ou à offrir des nouveaux services si on perd l’employé, il faut y penser à deux fois… Mais si c’est un employé qu’on peut remplacer et qu’on se met à faire de la surenchère, quand peut-on s’arrêter et quels en sont les impacts sur les autres employés dans l’organisation? Si la rémunération n’est pas structurée, il faut le faire au plus vite, parce que la situation ne s’améliorera pas… »
« Doit-on répondre aux demandes particulières de futurs employés? Je suis convaincu que le one size fits all des années cinquante à aujourd’hui n’est plus applicable ni pertinent. Mais si on segmente [l’offre à la main-d’œuvre], il faut le faire avec des balises, autrement on ne sera plus capable de gérer cela de façon équitable par la suite », conclut M. Chartrand.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.
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