Direction informatique invite, à chaque parution, un chroniqueur qui traite d’un thème lié aux technologies de l’information en entreprise. Pour cette édition, Sol Tanguay et Sandrine Prom-Tep, doctorants à HEC Montréal, traitent de la refonte de sites Internet.
« Nous devons absolument refaire notre site Web. Cela fait 5 ans que nous ne l’avons pas refait et il est vieux. Les contenus ne sont plus à jour et le look est désuet. Vite, un nouveau site Web ! »
Vous avez probablement déjà été confronté à un scénario similaire. Et c’est avec regret que le constat de plusieurs gestionnaires se limite à de telles réflexions, sans tenir compte des mesures de performance ou de la perspective client. Seule la certitude d’avoir raison, de connaitre son entreprise, son industrie et ses clients, prévaut. La refonte de nombreux sites Web découle du fait que les administrateurs ont considéré qu’il était temps de les changer. Les raisons peuvent être diverses, mais rares sont les analyses poussées qui soulignent ce qui doit être conservé, modifié, repensé ou intégré. En général, une nouvelle maquette visuelle est créée et représente seulement un rafraîchissement du look and feel. Nous prétendons qu’au contraire, un site Web doit évoluer, et ce en fonction des attentes et besoins réels des clients-utilisateurs.
L’importance d’être centré client
Nous désirons tous maximiser la valeur de notre entreprise pour ses propriétaires. Or, l’actif le plus important d’une entreprise est sa clientèle. Tous vos revenus sont générés par vos clients, et si vous ne les traitez pas comme vous aimeriez être traité, ils seront peu fidèles. Dans ce sens, il est fondamental de ne pas présumer savoir ce que les clients veulent, mais bien de leur demander et de mesurer avec précision les attentes et perceptions qu’ils développent au fil de votre relation d’affaires. Étant donné le rôle clé du site Web comme canal de communication, il doit conséquemment bien refléter votre image et répondre aux attentes actuelles de vos clients. La façon la plus appropriée de s’assurer que ces attentes soient satisfaites est de mesurer les perceptions réelles des clients-utilisateurs à travers des tests utilisateurs.
Qu’est-ce qu’un test utilisateur?
Selon Utilisabilité Québec, « les tests utilisateurs consistent à évaluer la convivialité d’une interface en observant une interaction réelle. Ces tests sont des sessions individuelles ou les utilisateurs réels interagissent avec le système ou le produit. Les experts en convivialité font donc une observation de cette interaction entre l’humain et la machine afin d’enregistrer et d’analyser leur comportement avec l’application. » Le test utilisateur d’un site Web consiste donc en l’observation et l’analyse des comportements de réels utilisateurs d’un site Web afin de comprendre les attentes et les perceptions de ces derniers lors de la réalisation de tâches centrales à l’utilité du site en question. Pour ce faire, une démarche en sept étapes est réalisée :
1 – Élaboration des objectifs des tests Il peut d’agir de l’identification de problèmes ergonomiques, de l’optimisation de l’expérience client, de l’explication d’un faible taux de conversion, de l’analyse des perceptions concurrentielles, etc. ;
2 – Développement d’hypothèses Par exemple, un taux de rebond élevé sur une page d’atterrissage peut être dû à une densité trop élevée de contenus sur la page. Cette hypothèse peut provenir d’une analyse experte, de l’application de principes heuristiques ou même de comparaisons avec des pages concurrentes du même type ;
3 – Élaboration des tâches à réaliser et du guide de discussion Le guide de discussion est l’outil que le modérateur utilisera lors de la réalisation du test. Il précise la simulation de scénarios d’utilisation avec des tâches à réaliser. La qualité de cet outil est fondamentale pour la réalisation de tests rigoureux. En effet, il ne doit pas être trop directif pour ne pas biaiser les résultats obtenus, mais doit être assez précis pour permettre de répondre aux objectifs préalablement établis ;
4 – Recrutement des participants habituellement le nombre de participants varie entre cinq et dix, mais il peut être plus élevé lorsque l’on tente de comparer plusieurs sites Web concurrents. Bien entendu, l’échantillonnage est fonction de la population étudiée (grand public, clients précis, etc.). Compte tenu de sa taille restreinte, il s’agit le plus souvent de viser des segments clés spécifiques ;
5 – Réalisation des entrevues et élicitation verbale des perceptions Les entrevues sont réalisées dans une salle comportant une vitre miroir, spécialement adaptée aux tests, et inclut un poste de travail standard avec caméras. Des analystes observent le déroulement de l’entrevue à travers la vitre miroir et des postes d’observation captant la saisie moniteur de l’activité de l’usager réalisant les tâches du test ;
6 – Analyse des résultats L’analyse des résultats est réalisée par des professionnels de recherche, idéalement experts en ergonomie et en design d’interfaces, qui auront identifié les attentes, les perceptions et les comportements lors des entrevues à l’aide de marqueurs catégorisant l’activité par type (codification de l’observation). Ces analystes vont extraire ces marqueurs et classer les différents points de données de façon à faire ressortir les éléments saillants. Des verbatims, des extraits vidéo, des statistiques de navigation et des données provenant de questionnaires seront aussi analysés ;
7 – Rédaction et présentation du rapport À la différence de l’analyse experte, le test utilisateur se base sur la perception des clients ou utilisateurs. Dans ce sens, il permet de souligner les forces et faiblesses du site, telles que perçues par ces derniers, ce qui répond à l’exigence fondamentale d’une perspective centrée-client.
L’utilité des tests utilisateurs
Les tests utilisateurs servent plusieurs objectifs : 1 – Comprendre les attentes et perceptions des utilisateurs ;
2 – Valider des croyances internes ou des observations objectives, par exemple à la suite à l’analyse des fichiers journaux, (server logs en anglais) ;
3 – Explorer et identifier des problématiques diverses, notamment celles reliées à la convivialité de l’interface ou de la navigation ;
4 – Justifier des budgets de refonte plus importants pour un site, avec la preuve d’une offre de service en ligne actuelle partiellement adéquate.
Des tests rigoureux et des recommandations managériales utiles
Nous soutenons que ces tests utilisateurs doivent absolument être encadrés dans une approche rigoureuse. En effet, l’objectif étant de tirer des conclusions quant à des améliorations possibles au site Web, il importe que les recommandations soient utiles, mais surtout appuyées par des hypothèses testables et une donnée non biaisée. Dans ce sens, les méthodologies de tests utilisateurs varient énormément, d’une approche descriptive à une approche plus analytique. Selon nous, la triangulation méthodologique, c’est-à-dire le croisement de plusieurs sources de données afin d’identifier des points de convergence, permet de rendre plus objectives les analyses et les recommandations.
Évidemment, ces recommandations doivent permettre aux concepteurs du site Web d’identifier des éléments à ajouter, modifier ou éliminer, mais aussi de présenter des pistes quant à ces modifications. Ainsi, le croisement du test utilisateur à une approche comparative de sites, ou benchmarking, permet de présenter des pistes d’amélioration en illustrant ce que des sites Web comparables font.
Des impacts mesurables
Comme nous l’avons vu, les résultats de tests utilisateurs permettent aux concepteurs de sites Web d’optimiser le site en fonction des objectifs des utilisateurs ciblés. Dans ce sens, il importe de coupler les modifications à des tests objectifs. Nous recommandons l’intégration de mesures comportementales post-tests, à l’aide de l’analyse des fichiers journaux et de tests A/B (ou multivariés). Cette approche permet aux gestionnaires du site Web de documenter l’impact de telles modifications et conséquemment le retour sur investissement du projet d’optimisation.