Le silence numérique des partis dérange

Plusieurs organisations et individus déplorent l’absence de mesure d’aide au développement de l’économie numérique et de l’industrie des contenus culturels en ligne dans les programmes électoraux des partis provinciaux.

En cette période électorale provinciale, le peu d’attention accordée par les partis politiques – dont le parti au pouvoir – à l’établissement d’une stratégie québécoise de développement de l’économie numérique et des contenus culturels numériques et interactifs dérange. Nombreux sont ceux qui clament haut et fort leur désarroi face au mutisme des partis à ce chapitre. Parmi ceux-ci, il y a des organisations comme le Regroupement des producteurs multimédia (RPM), mais aussi des citoyens ordinaires et des blogueurs.

On reproche, en fait, aux trois principaux partis – le Parti Québécois, le Parti libéral du Québec et l’Action démocratique du Québec – d’avoir inclus aucune mesure dans leur programme électoral qui est susceptible de favoriser le développement de l’industrie des contenus culturels numériques et interactifs et de l’économie numérique dans son ensemble.

À l’origine de cette levée de boucliers, on trouve une lettre ouverte publiée sur le blogue de Yulbiz Montréal le 28 octobre dernier. Se réunissant le dernier mardi de chaque mois dans un café montréalais, Yulbiz est une communauté de blogueurs dont l’objectif est d’échanger des idées sur tout ce qui touche Internet et les technologies numériques.

Adressée au Premier ministre du Québec, cette lettre, rédigée par la consultante en stratégie de marketing Internet Patricia Tessier, souligne le retard du Québec par rapport aux autres provinces canadiennes au chapitre de l’utilisation d’Internet et du développement de l’économie numérique. Elle somme le gouvernement d’adopter une stratégie numérique nationale – un « Plan numérique » – qui permettra de rattraper ce retard. Un tel plan s’accompagnerait évidemment de mesures financières d’aide au développement de l’industrie numérique québécoise. Un wiki a ensuite été mis sur pied au début de novembre à l’initiative de Martin Comeau, chargé de projet chez Opossum, une division de iXmédia solutions interactives, qui reprend les principaux arguments soulevés par Mme. Tessier.

Se référant à des données établies par diverses organisations, dont l’Indice du commerce électronique au Québec et Recherche Internet Canada (RIC), Mme.Tessier soutient qu’avec 64 % d’internautes à l’été 2007, le Québec est 19 points de pourcentage derrière l’Alberta qui occupe la première place, avec un taux de pénétration de 83 %, et que le tiers des achats en ligne effectués par les Québécois, qui totalisaient 3,5 milliards $ de septembre 2007 à août 2008, est effectué à l’étranger. Elle attribue cet état de choses à l’insuffisance de l’offre québécoise, alors que 52 % des PME n’ont pas de site Web, et croit que le gouvernement devrait faire en sorte d’accroître l’adoption et diversifier les usages d’Internet dans les PME. Elle croit aussi que le gouvernement devrait faciliter l’accès à l’Internet haute vitesse à l’extérieur des grands centres urbains, garantir la formation aux usages des TI dès le plus jeune âge et mettre en oeuvre une gouvernance numérique unifiée au niveau de l’appareil étatique québécois, qui serait chapeautée par un seul ministre.

Le RPM se prononce

Puis c’est au tour du RPM de prendre position, cette semaine, en faveur du Plan numérique. Reprenant l’argumentation de cette dernière, le RPM estime que l’adoption d’un tel plan permettrait non seulement au Québec de rattraper son retard, mais aussi de favoriser l’épanouissement de la culture francophone sur Internet, dans un contexte marqué par une forte domination anglophone.

« On parle aujourd’hui de l’importance de protéger la langue française, mais il n’y a presque pas de contenu en français sur Internet, déplore Marc Beaudet, président du RPM et de la firme montréalaise Turbulent, qui se spécialise en production de contenu interactif Internet. […] Quand c’est rendu que les gens ne visitent que des sites étrangers, c’est un peu comme si on avait abdiqué face à notre appartenance culturelle. »

Le RPM déplore le fait que les partis confondent souvent les contenus numériques avec les jeux vidéos, ce qui explique qu’ils n’aient prévu aucune mesure spécifique pour aider au développement des contenus culturels numériques francophones disponibles sur Internet. Le RPM croit que si rien n’est fait, les contenus francophones seront éclipsés par les contenus anglophones et les Québécois dépenseront leur argent sur des sites étrangers anglophones, d’où le manque à gagner souligné par Patricia Tessier.

« Il y a des crédits d’impôt pour les contenus interactifs, reconnaît Marc Beaudet, mais ça sert essentiellement au domaine du jeu. Les gens qui veulent développer du contenu pour l’Internet ne peuvent pas en profiter, parce qu’ils ne sont pas capables de trouver l’autre partie du financement. […] L’industrie québécoise du contenu Internet est relativement fragile, on est des petites boîtes. […] Il n’y a que les États-Unis et l’Inde qui peuvent se permettre de ne pas subventionner leur industrie culturelle, parce qu’ils ont un marché intérieur très fort. »

Ignorance politique

Marc Beaudet croit que l’absence de mesure d’aide au développement de l’économie numérique s’explique par une certaine ignorance de la part de la classe politique – et de la société québécoise dans son ensemble – en ce qui a trait aux mécanismes de l’économie numérique. Le président du RPM croit que l’Internet devrait être considéré comme un service d’utilité publique, une commodité au même titre que l’électricité et le téléphone, et que le gouvernement devrait faire en sorte d’en faciliter l’accès pour tous les citoyens du Québec, peu importe leur lieu de résidence.

« Souvent, les gens à la campagne n’ont pas l’accès haute vitesse, ou c’est compliqué ou c’est très cher, affirme-t-il. Aujourd’hui, alors que le divertissement est de plus en plus sur Internet, c’est comme s’il n’y avait que des télés noir et blanc en campagne et qu’en ville ils avaient des télés couleur. Aujourd’hui, c’est presque impossible de vivre sans Internet. […] Le gouvernement du Québec se doit d’agir de façon proactive en matière de contenus numériques et interactifs, comme il le fait depuis des lustres dans les autres secteurs. […] Il n’y a rien [dans les programmes politiques] par rapport à Internet et aux plateformes numériques. […] Il semble y avoir une grande incompréhension de ce que c’est que le numérique. L’industrie des contenus numériques est vaste et ne se restreint pas qu’aux jeux vidéo. »

C’est que les mesures d’aide au développement des contenus culturels du gouvernement du Québec se limitent la plupart du temps aux contenus télévisuels traditionnels, croit Marc Beaudet : « On annonce beaucoup d’argent pour le cinéma et la télévision, mais il n’y a rien qui est annoncé pour développer du contenu francophone en ligne ».

En fait, c’est surtout le gouvernement fédéral, par l’entremise de son Fonds des nouveaux médias du Canada, qui appuie le développement des contenus culturels numériques francophones. « C’est un peu étrange : on dit qu’on veut aider à développer du contenu au Québec, mais le seul qui le fait, c’est le gouvernement fédéral! », s’étonne Marc Beaudet.

La capacité de l’industrie québécoise à relever les défis de l’économie numérique, lorsqu’épaulée adéquatement par le gouvernement, ne fait pas de doute dans l’esprit de Martin Comeau. « Certes le Québec présente un retard quant à sa stratégie globale, mais au niveau du savoir et de l’expertise de ses gens, il demeure un chef de file en initiatives numériques », conclut-il.

Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.


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