En technophiles convaincus que nous sommes, nous désirons embrasser le mode de vie numérique et consommer notre télé via Internet. Exercice de patience.
Depuis plus de dix ans, on me fait écrire que le multimédia converge et que « bientôt », Web, télé, radio, messagerie et tout le saint-frusquin seront accessibles à partir d’un même « dispositif intelligent ». Pourtant, d’année en année, le « bientôt » est repoussé plus loin et la définition du « dispositif » varie dans les discours visionnaires. Si le mouvement du Digital Way of Life est enclenché, il progresse cahin-caha. À tout le moins du côté télé.
Ainsi, chez moi, PC et Mac n’arrivent toujours pas à m’offrir les émissions que je souhaiterais regarder à la façon simple et fiable d’un téléviseur bas de gamme avec antenne intérieure (alias « oreilles de lapin »), un « dispositif » simple et sans intérêt qui pourtant se met à fonctionner dès qu’on l’allume.
Mes besoins sont pourtant très modestes, moi le radiophile qui a choisi de vivre sans être câblé ni ensoucoupé. J’aimerais tout simplement, de temps à autre, pouvoir visionner une émission dont on dit grand bien. Par exemple, j’aurais aimé, l’autre soir, regarder l’entrevue de TVA avec Julie Couillard ou, en avril dernier, pouvoir crier « Go Habs Go » directement de mon salon, ou, en mars 2007, pouvoir témoigner de la grande liturgie radio-canadienne des élections québécoises. Je parle donc de besoins ponctuels et de pouvoir m’asseoir, prendre une télécommande, choisir mon émission et la regarder. Hélas! ça n’a pas fonctionné, même si mon équipement semble adéquat.
De mon ordi, il y a un long câble VGA qui va rejoindre un projecteur placé sur une tablette et il y a un fil coaxial stéréo qui va se connecter à la chaîne stéréo de la maison. Je veux regarder un film? Je sélectionne « film » sur mon ampli audio, j’insère un DVD dans l’ordi, je descends un écran de projection, je m’assois dans un fauteuil et, télécommande en main, je démarre le film. Je jouis alors de l’effet dit « cinéma maison ».
En direct et en boîte
Pour simplifier, disons que la télévision par Internet se subdivise en deux catégories, selon qu’elle se consomme en direct ou en conserve. Dans le premier cas, imaginons, une fois mon DVD-film terminé, qu’il est 22 h et que je veuille regarder les nouvelles de la SRC. De ma télécommande (un objet dont la manipulation requiert déjà beaucoup d’abnégation), il me faut alors quitter le logiciel de diffusion vidéo, accéder au Bureau de l’ordi, ouvrir un fureteur Internet où j’ai placé bien en évidence le signet de Radio-Canada/Audio-Vidéo et cliquer sur le bon lien pour pouvoir suivre Bernard (Derome) ou Céline (Galipeau).
Jusqu’à tout récemment, si j’arrivais à regarder une telle émission, c’est que j’en avais choisi une accessible en ligne. Chez les télédiffuseurs qui se prêtent à ce nouveau mode, toutes ne le sont pas. De plus, si j’y arrivais, j’utilisais comme ordinateur soit mon ThinkPad sous Windows XP, soit mon MacBook Pro sous Mac OS X Leopard. L’eussé-je fait à partir de ma machine Vista ou de ma boîte Linux, je n’y serais pas arrivé. C’est qu’ayant mis ses œufs dans le panier Microsoft, la SRC obligeait les internautes téléphiles à disposer de Silverlight, une techno concurrentielle à Flash/Flex d’Adobe. Dès lors, selon le système d’exploitation utilisé, il était possible que tout baigne dans l’huile. Ou non.
Des hauts et des bas
Personnellement, je faisais partie de ceux qui n’arrivaient pas à faire reconnaître Silverlight par Vista. « C’est quelque chose qui arrive », m’avait-on dit; il paraîtrait qu’en réinstallant Vista, le problème arriverait parfois à se corriger… Or, coucou, très récemment, tout s’est mis à fonctionner sans Silverlight et sans que j’aie touché à quoi que ce soit. Un vrai miracle!
Côté Linux, il arrive des moutures, des saveurs, des versions, où il est possible de syntoniser son émission. Puis, crac, ça cesse. Soit qu’une mise à niveau vienne tout bousiller, soit que le diffuseur ait apporté des modifications. Présentement, dans le cas de ma machine Ubuntu 8.04 où je dispose pourtant du plugiciel « MPlayer » (sorte de panacée multimédia), je n’arrive plus à rien visionner chez TVA/LCN ou Radio-Canada. Mais ça va revenir. J’en suis… persuadé. Je suis un optimiste.
Les maillons de la chaîne
Supposons maintenant que je réussisse à bien me connecter. Il se peut quand même que je ne puisse pas capter mon émission. Il y aura trop de monde en train de la solliciter, ma connexion Internet sera défaillante (je suis en DSL), le diffuseur éprouvera des problèmes logiciels ou matériels, l’heure du jour ne sera pas la bonne, tout se figera soudain m’obligeant à redémarrer l’opération et j’en passe. Il arrivera aussi de sérieux problèmes de tampons. C’est ce qui fait que je n’ai pu voir l’entrevue de Mme Couillard sur TVA. Elle parlait six ou sept secondes et son image se gelait encore plus longtemps, pendant que redémarrait la mise en tampon d’un nouveau flux. Insupportable!
Ça, c’est pour la télé en direct. Pour des émissions en banque, c’est généralement plus simple, sans pour autant être exempt de problème. Il arrive que ça gèle et qu’il faille repartir à zéro, que la connexion Internet soit mauvaise, que la qualité du document soit juste assez bonne pour le faire jouer sur un cellulaire, etc. Mais, dans l’ensemble, ça marche et c’est satisfaisant.
À cette enseigne, j’ai mis à l’essai des logiciels spécialisés tel Internet Satellite TV Player. Avec ce genre de produits, on se fait offrir des émissions télé en provenance de tous les pays du monde (dont 41 au Canada, la moitié étant des chapitres locaux de la CBC, dans le cas de mon exemple). Encore ici, selon la qualité de la connexion, celle des documents mis en ligne, l’heure du jour ou la situation particulière au diffuseur (le service peut même tomber en panne), l’expérience peut être plus ou moins satisfaisante. Croyez-moi.
Ici attention! Si certains diffuseurs sont en Flash, un format plus universel qui oblige néanmoins l’installation de FlashPlayer, d’autres ne le sont pas. Ils utiliseront la techno Microsoft, nécessitant Windows Media Player, celle d’Apple, qui requiert l’usage de QuickTime, ou celle de RealOne, où le logiciel requis est RealPlayer. Par exemple, si vous voulez vous amuser dans les archives de Radio-Canada, un reposoir essentiel à notre culture, il vous faudra utiliser Windows Media Player et, sur Mac, y ajouter le plugiciel Flip4Mac.
Loin de la télé HD…
Côté qualité vidéo, on est très loin de la télé HD. Mon projecteur qui n’est que VGA est campé à 18 pieds de l’écran. Ainsi, ce qui, dans le cas de la SRC s’affiche en 5 X 3 pouces sur un moniteur d’ordi, est projeté, grosso modo, en 26 X 15. Dans le cas de TVA/LCN, on part de 4 X 3 pouces et, dans le cas de l’Internet Satellite TV Player, l’image de départ est en format 3,5 X 2 pouces. Imaginez le résultat. Si vous êtes proche, c’est laid; si vous êtes au fond de la pièce, c’est acceptable. Ajoutons, en ce qui a trait à l’audio, que le son est excellent grâce, bien sûr, à mon amplificateur, une relique increvable des années 1980.
Il y a aussi les clips vidéo, ceux dont regorgent les YouTube et autres MySpace. Bien qu’il s’agisse du produit de type télévisuel de loin le plus consommé, ce n’est pas de la « télé par Internet » proprement dite. Citons quand même une étude récente de http://www.comscore.com la firme de recherche , qui soutient que 75 % des internautes états-uniens auraient visionné, en mars dernier, 11,5 milliards de clips, une progression de 64 % sur la même période de 2007. On parle d’une moyenne de 83 vidéos par visiteur. Et sur YouTube seulement, 85 millions de personnes auraient regardé 4,3 milliards de clips durant le même mois.
Il y a télé et télé
C’est énorme. Mais ce n’est pas de la télé que l’on consomme, télécommande en main, dans son salon. C’est une activité Web qui, sauf exception, se pratique sur un ordinateur. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un transfert d’auditoire effectué au détriment des autres sources de divertissement et d’information, dont la télé traditionnelle.
Par exemple, l’hiver dernier, 30 % des internautes disposant de la haute vitesse dans les dix plus importants pays européens auraient, selon la European Interactive Advertising Association (EIAA), regardé des films, des clips et des émissions de télé par ordinateur. Bien sûr, ces chiffres ne signifient pas que 30 % des internautes européens avaient abandonné la télé. Mais ils témoignent d’une tendance à prendre en très sérieuse considération.
On sait que le modèle publicitaire particulier aux chaînes de télévision ne peut fonctionner sur Internet. Pour les diffuseurs, c’est un sérieux casse-tête. Ils savent qu’ils doivent y aller et qu’ils n’en ont pas le choix. Mais ne savent pas trop comment en tirer des revenus comparables à ceux auxquels ils ont été habitués. D’où leur manque d’enthousiasme pour migrer du hertzien vers le Web. Si les sous ne suivent pas, comment pourront-ils maintenir la qualité de leurs services, incluant celle de leur salle de nouvelles?
C’est un peu ce qui explique les retards. L’informatique grand public s’est lourdement impliquée dans la musique, les films et les émissions télé mises en coffret, des produits que l’on achète (ou que l’on copie). Les marchands en ligne de musique et de films (incluant, tout dernièrement Apple au Canada) se sont structurés confortablement et leur plan d’affaires fonctionne bien. Seule la télé traîne de la patte!
Les promesses de l’Oncle Bill
Je me souviens des WinHEC (« Windows Hardware Engineering Conference ») des débuts de la décennie où Bill Gates nous expliquait, de conférence en conférence, que le PC était devenu le cœur d’un « écosystème complexe ». Il était devenu assez brillant pour gérer Internet, la télé, la stéréo, la téléphonie, la sécurité, le confort, etc., aussi bien à la maison que dans l’auto ou au chalet. Pour tout dire, il était en train d’apprendre à se connecter à n’importe quoi, ce qui était rendu possible grâce à sa musculature qui ne cessait de se renforcer.
Effectivement, le processeur doublait de puissance à tous les 18 mois et, pendant ce temps, la bande passante mise à sa disposition se voyait multipliée par 3. Idem pour la capacité de stockage sur disque qui, elle, avait centuplé en 10 ans. De ce constat, il en découlait une vision où le consommateur avait accès à tout ce qui était raccordé au PC domestique, en tout temps et en tous lieux, ce qui incluait divers moyens audiovisuels pour être joint par ses clients ou son patron. Seigneur!
Avec force démos, l’Oncle Bill parlait avec… émotion de « Windows Media Corona » une techno prometteuse permettant de visionner de la vidéo haute résolution avec son 24 bits (6 canaux Surround Sound et Dolby), sur des moniteurs WiFi, portatifs ou fixes, obéissant à des commandes tactiles. Il parlait aussi de Mira, une techno Microsoft devant être intégrée à Windows XP, qui rendrait « bientôt » possible, d’où qu’on soit dans la maison, de consulter Internet, regarder la télé ou s’adonner aux joies indicibles de la bureautique à partir d’un tel moniteur. Les gens pourraient les accrocher au mur, se les glisser sous le bras, les placer sur des bases de recharge électrique ou les laisser traîner sur la balançoire du jardin. À l’époque, j’avais même pu m’amuser avec des prototypes. Oh que j’avais été impressionné, oh que j’avais écrit des papiers sentis!
Mais en 2008, la bande passante, la stabilité et la constance du réseau Internet, sa fiabilité, la disponibilité des émissions, la qualité des documents offerts, la volonté de télédiffuseurs suffisamment convaincus et l’interface conviviale ultime (zappette songée?) ne sont pas au rendez-vous. Est-ce qu’encore une fois, les boules de cristal de la Côte Ouest se sont illuminées de très beaux rêves en couleur? Je ne le crois pas. Je crois plutôt qu’on va y arriver, mais avec de très sérieux retards sur la vision initiale. Comme d’habitude.
Tiens, RDI vient de geler! Zut!
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.