Le projet d’implantation d’un dossier de santé électronique au Québec comporte des défis technologiques, mais aussi des défis cliniques. L’outil nécessitera une informatisation des données, mais surtout une adhésion de la part des praticiens de première ligne.
Le Québec a entrepris tard sa « technothérapie » d’implantation d’un dossier de santé électronique, mais il progresserait d’un pas alerte. Toutefois, le dossier de santé électronique, aussi appelé Dossier santé Québec (DSQ), n’est pas dénué de contraintes ni d’enjeux. Une récente édition de la rencontre mensuelle La Tribune des CIO, de la Fédération de l’informatique du Québec (FIQ), réunissait des acteurs de premier plan dans cette initiative, ce qui nous a permis de connaître l’état de santé du projet de dossier de santé électronique.
Le DSQ, dont l’entrée en fonction est prévue pour l’exercice 2009-2010, est un outil électronique qui permettra aux médecins, aux pharmaciens et aux infirmières autorisés d’accéder à certaines informations cliniques nécessaires au suivi et à la prise en charge des patients.
Maurice Boisvert, le sous-ministre associé à l’Inforoute Santé au gouvernement du Québec, affirme que le dossier de santé électronique, bien qu’il constitue un défi technologique, s’avère être davantage un défi au niveau clinique. Il fait état de l’importance de la complicité et du dialogue sur une base quasi quotidienne entre les parties impliquées afin que l’évolution des projets soit profitable. « Un projet de la sorte fonctionne pourvu qu’on ait une équipe compétente », affirme-t-il.
Le sous-ministre souligne que la formule choisie par le Québec en matière de gestion de projets procure un maximum de marge de manoeuvre et une souplesse aux équipes, et que l’approche préconisée pour l’implantation du dossier de santé électronique est unique au niveau mondial, ce qui laisse présager un potentiel d’exportation du concept.
Soigner les médecins
Si les projets associés au dossier de santé électronique misent sur l’architecture d’arrière-boutique pour l’informatisation des laboratoires et l’intercommunication de l’information entre les cliniciens, les praticiens et les établissements, le sous-ministre constate qu’il reste beaucoup à faire pour l’informatisation des professionnels qui interagissent directement avec les patients. Précisons que l’informatisation du dossier de santé exclut l’informatisation des dossiers de santé clinique dans les centres médicaux.
« Très peu de médecins utilisent le dossier médical électronique, soit 23 % au Canada, contre 98 % aux Pays-Bas. Seulement 8 % des bureaux de médecins au Canada sont dotés d’outils de TI de fine pointe, et seulement 12 % des médecins au Québec ont des ordinateurs de bureau. Il y a une marche considérable à franchir. La technologie existe, mais le défi est d’amener les gens à l’utiliser. »
M. Boisvert précise que l’informatisation du dossier de santé entraîne des défis indirects d’importance. Au niveau légal, il faut assurer la protection maximale des renseignements de la santé, le respect de la vie privée et des informations et garantir la sécurité juridique des communications entre les intervenants. Le projet de loi 70, qui a été approuvé par l’Assemblée nationale, permet de recourir au consentement implicite du patient afin de simplifier la poursuite du projet. Il faudra aussi établir un bureau de soutien technique pour assurer le fonctionnement de l’infrastructure en tout temps. Surtout, le gouvernement du Québec devra investir dans l’informatisation des utilisateurs finaux.
« Il faut s’assurer que les gens aient la capacité au niveau local de recevoir ou de gérer les informations, rehausser les réseaux de télécommunications, offrir de la formation et réaliser des aménagements physiques. Le ministère devra prioriser des investissements au cours des prochaines années. Il faut que ça devienne une priorité pour tout le monde. »
M. Boisvert souligne que la mise en oeuvre des éléments nécessaires au dossier de santé électronique varie d’une région à l’autre. « Pourquoi est-ce de la sorte? Des gestionnaires ont trouvé qu’il était important d’investir dans les TI, et d’autres ont mis leurs priorités ailleurs », commente-t-il.
Chirurgie majeure
Dr Claude Poirier, le président de Gestion-Conseil Poirier et le conseiller médical principal à Inforoute Santé Canada, abonde dans le même sens. Il souligne l’importance d’accorder de l’attention aux utilisateurs finaux du dossier de santé électronique, alors que beaucoup de discussions ont trait à l’accès et à la circulation de l’information ainsi qu’à l’architecture informatique sous-jacente.
« Combien de beaux projets, en termes technologiques, ont échoué parce qu’on n’a pas géré la question du changement et de l’appropriation? Ce serait catastrophique que des milliards soient dépensés au Québec et que les professionnels ne l’utilisent pas », estime-t-il.
M. Poirier évoque un consensus de la nécessité de transformer les soins de santé vers une approche populationnelle et de procéder à une réorganisation des services, tout comme de trouver une structure qui prend en charge la responsabilité de la population. Il donne l’exemple du diabète, où le dossier de santé électronique permettrait de savoir combien de personnes sur un territoire donné ont la maladie, combien sont suivies, comment il serait possible d’agir en amont pour prévenir d’autres cas et quelle stratégie serait appropriée dans une région ou un quartier. « Il est évident qu’on ne peut réussir si on n’a pas de système d’information minimal qui nous donne un minimum d’information sur la population. »
M. Poirier souligne aussi les apports en matière de productivité que procurera le dossier de santé électronique, par l’optimisation de l’accès à l’information et la réduction du fardeau explicatif du côté des patients. « Lors de leurs déplacements entre les centres hospitaliers, les cliniques privées, les pharmacies et les CHSLD, on leur répète à chaque fois les mêmes questions. On ne peut pas concevoir d’aller dans une banque et d’avoir encore un petit guichet manuel. Malheureusement, le système de santé est encore à l’ère [précédente] des banques. »
« L’architecture de la transformation du réseau de santé fait unanimité et fait en sorte qu’il est essentiel d’avoir de l’information. Alors que le réseau de support et de validation par les pairs est interdisciplinaire, cela apportera des transformations majeures des façons de travailler », ajoute-t-il. Il précise que 48 professionnels, soit 21 médecins, 20 infirmières et sept pharmaciens, contribuent au projet en validant les bénéfices possibles en matière de sécurité, d’accessibilité, de continuité, de productivité et de réduction des coûts.
Le spécialiste affirme que le dossier de santé électronique, en permettant l’accès aux données contenues dans des dépôts à partir de tout point de service, éliminera les problèmes associés à la perte du dossier en papier, réduira le temps de gestion et réduira les erreurs, tout en contribuant à la continuité, à la qualité et à l’accessibilité des services de santé.
À petits pas
La réussite du dossier de santé électronique, selon M. Poirier, sera possible par la délimitation de sa portée initiale. Les médecins, les infirmières et les pharmaciens, dans un premier temps, auront accès à une vingtaine de données d’urgence, aux données immunologiques, aux résultats d’examens en imagerie et en laboratoire ainsi qu’à la médication du patient.
« On veut s’assurer, au début, que les professionnels de la santé auront une attitude plus passive, qu’ils recevront de l’information, mais n’en fourniront pas. À partir de cette expérience d’accès à une quantité d’information minimale et essentielle, les gens vont développer le désir d’aller plus loin. Les fournisseurs s’accrocheront au Dossier Santé Québec et fourniront des outils plus complets, comme des dossiers cliniques informatisés de première ligne, et les professionnels entreront des données à l’aide de ces logiciels, pour faire en sorte qu’on finira par informatiser au complet le [réseau de la santé au] Québec. »
En affirmant que les autres provinces canadiennes, dont les points de services sont davantage informatisés, ont des défis au niveau de l’intégration, M. Poirier croit que l’approche préconisée au Québec, qui est peu informatisé, obtiendra l’adhésion des fournisseurs de soins de santé. Les professionnels, à l’aide d’une infrastructure à clé publique, confirmeront la pose des actes qu’ils auront réalisés, alors que les données cliniques qui sont contenues dans des dépôts, après une étape d’authentification, seront utilisées pour recréer virtuellement le dossier santé à chaque consultation d’un patient.
« On pense que les professionnels auront confiance et arrêteront d’imprimer au fur et à mesure. C’est comme au guichet automatique, où on imprimait sur des calepins pour s’assurer que toutes les données étaient présentes. On a ensuite imprimé des reçus, et aujourd’hui bien des gens n’impriment rien, car ils ont confiance que les données sont toujours accessibles », donne-t-il en exemple.
Amorcer un changement
C’est dans la région de Québec, dès l’automne 2008, qu’un premier projet pilote sera entamé pour le dossier de santé électronique. 120 professionnels de la santé, qui travaillent dans onze sites pour la prestation de soins à quelque 60 000 personnes, prendront part à l’essai. Depuis la mi-mai, les personnes inscrites au Groupe de médecine familiale St-Vallier participent au projet.
« Le succès de ce type de projet réside dans l’adhésion des gens, croit M. Boisvert. Avec le retard considérable à rattraper, il y a une stratégie de changement qu’il faut amorcer. Il faut faire en sorte que ce soit le projet des professionnels et non [celui du gouvernement.] »
Le sous-ministre a souligné l’apport du réseau de soutien et de validation par les pairs, qui ont participé à des essais, suggéré des éléments nouveaux et bonifié les projets. « Ce ne sont pas des fonctionnaires qui sont impliqués en fin de compte. Il ne faut pas que ça devienne une lubie de technocrate. Il faut que ça serve sur le terrain », affirme-t-il.
« Il y avait beaucoup de sceptiques il y a deux ans, mais moins l’année dernière, ajoute le fonctionnaire. Maintenant que les gens sentent que ça devient vrai, la volonté politique et administrative fait en sorte que ça va se réaliser. »
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.