Google est partout. Recherche, publicité, courriel, photos, bureautique en ligne, géographie, groupes, blogues, mesures de performance de sites Web, etc. Et bientôt, possiblement, votre fournisseur de capacité informatique sur demande.
Un jour qui n’est peut-être pas si loin, l’accès au logiciel dans une entreprise, sur la route ou à la maison, aura cessé d’être le fait de systèmes locaux multipliés à l’infini, pour être devenu celui d’un dispensateur de service public tel ceux qui vous livrent l’électricité, le téléphone, l’eau ou le câble.
En fait, la transition entre ces deux pôles est même commencée et un des joueurs clé, sinon LE joueur clé, est Google. Ce n’est pas moi, mais Nicholas Carr, autrefois du Harvard Business Review, qui le dit dans son récent bouquin, The Big Switch. D’ici 10 à 15 ans, prévoit l’auteur, les entreprises auront migré à ce modèle dit de l’utility computing ou informatique à la demande.
Et pourquoi Google et non pas Microsoft qui fonce pourtant à coups de milliards en cette nébuleuse direction? Parce que l’une n’a présentement que le Web comme source de revenus et comme soucis, tandis que l’autre, en plus d’avoir à se bulldozer un espace en ligne, dépend encore de ses ventes de logiciels, des produits destinés à des serveurs locaux ou à des ordinateurs personnels.
Autrement dit, l’une, expression ultime du Dot.Com, consacre 100 % de ses budgets de R&D au Web et aux applications Web, l’autre qui se dit Dot.Net, doit mettre l’essentiel de ses efforts à faire évoluer Windows, SQL Server, Exchange, Office et tutti quanti, en conformité avec une mission fignolée dans les années 1980. On dirait une course entre deux olympiens superbement entraînés, dont l’un, malheureusement, aurait un poids énorme harnaché au dos.
Tant et si bien que Google fait feu de tout bois, roule à tombeau ouvert, lance des produits à la douzaine, alimente la machine à potins, fait dans la philanthropie, collabore avec les gouvernements dans des causes humanitaires et… engrange du fric comme ce n’est pas permis. Neuf ans après avoir été lancée dans un… garage de Menlo Park (région de San Francisco) par deux carabins de Standford, Larry Page et Sergey Brin, l’entreprise a atteint une valeur de 210 G$US (142 G$US par les temps qui courent), un chiffre d’affaires de 16,4 G$, des résultats nets de 5,95 G$, un parc de 500 000 serveurs sur 32 sites et des effectifs dépassant les 16 000, dont au moins trois milliardaires et de nombreux millionnaires. Ouf! (À titre de comparaison, avec des revenus de près de 100 milliards, IBM qui compte 386 000 employés, possède une capitalisation de 170 milliards.)
Championne du gratuit
Google est la championne du gratuit, poursuivant ainsi la bonne vieille tradition du Net; sauf exception, tous ses produits sont donnés. Ses revenus proviennent essentiellement de la publicité qu’elle associe intelligemment aux résultats que fournissent ses différents moteurs de recherche. Car il y en a plusieurs. Et il y a aussi d’autres applications, des Google ceci, Google cela, des produits souvent éphémères que l’on dit amusants, inutiles, essentiels, débiles, novateurs, spectaculaires, mal fichus, etc. En fait, s’il est difficile d’en connaître le nombre exact, betas compris, on en découvre encore de nouveaux (p. ex. un simulateur de vol dans la version 4.2 de Google Earth) quand on pensait avoir fini de les additionner.
Étant donnée la certitude établie par toutes les firmes de recherche – une tendance dite lourde, confirmée d’année en année – sur le fait que la publicité migre lentement, mais sûrement, des médias imprimés, radiodiffusés et télévisés, vers le triple W, Google y enfouit judicieusement sa semence à fric. Pour elle, plus il y aura de gens pour cliquer sur les publicités qu’elle leur suggère au fil de leurs recherches, plus elle encaisse. Il faut donc tout mettre en œuvre pour inciter les gens à utiliser le Web davantage. D’où son impressionnant coffret de gratuiciels.
Le plan de match est simple. Si elle peut fournir aux Internautes tout ce qu’ils ont besoin pour écrire, calculer, dessiner, communiquer, échanger, partager, classer, collectionner, admirer, acheter, vendre, lire, écouter, « crouser », socialiser ou apprendre, en fait pour réaliser quelque chose dont la pertinence est apparue, au cours des neuf dernières années, dans les requêtes soumises aux moteurs de recherche, elle le fera avec toute la pompe nécessaire. Les gens recherchent cela? Donnons-le-leur!
Suite complète
Un bel exemple est le Google Pack. On y retrouve quelques logiciels maison, soit Google Earth, Google Desktop, Picasa et la barre d’outils pour IE, mais aussi StarOffice, Skype, Firefox, Norton Security Scan, Spyware Doctor, Adobe Reader et RealPlayer. Avec cette panoplie de produits, nul n’est besoin d’acheter (ou de pirater) de produits Microsoft autres que le système d’exploitation. Mais il y a également de nombreux produits à la carte. Si on en consulte la liste simplifiée, on retrouve une dizaine de produits de recherche ou d’aide à la recherche, et autant de gratuiciels permettant de communiquer, publier et partager. Mentionnons Gmail, un solide concurrent à Hotmail de Microsoft, Google Documents, un coffret bureautique en ligne (dont, incidemment, je me sers pour produire cette chronique) ou encore Blogger, un logiciel de blogue pour le moins très populaire.
D’autres produits apparaissent également chez Google Research, dont Google Page Creator, un éditeur HTML simple, Google Mars, l’équivalent martien de Google Earth, petits bonhommes verts en sus, Google Reader, un moteur qui arrive à dénicher des références livresques ahurissantes, et, mon préféré, Google Transit, où on retrouve, notamment, les trains de banlieue de l’AMT (Montréal). Et que dire de tous ces outils de gestion des données de trafic Web comme Google Analytics, de ces produits publicitaires comme Google AdWords et Google AdSense? Grâce à eux, c’est Google, et non pas Microsoft, qui devient l’incontournable norme sur le Web.
Révision du modèle d’affaires
Bref, tout est mis en œuvre pour attirer le maximum possible de « visiteurs uniques », soit des résultats de recherche de haut calibre et de plus en plus précis, ainsi que des applications satisfaisantes rendant moins essentiel l’achat de logiciels commerciaux. Plus il y aura d’internautes, plus Google disposera de données comportementales, de références humaines, de modèles de besoins, etc. Alors, plus elle leur adaptera de nouveaux outils et plus sa publicité sera efficace. Auquel cas, plus elle fera d’argent et plus ses gratuiciels verront leur qualité et leur diversité augmenter. Au grand dam de l’industrie, Microsoft en tête, Google aura revu et corrigé le modèle d’affaires traditionnel : le logiciel sera désormais devenu une commodité que l’on fournira gracieusement.
On parle ici de Forage de Données (data mining), grand F et grand D, basé sur l’immense, incalculable, inimaginable, effroyable, ahurissante base de données (suivi de la navigation, stockage des mots-clés, du courriel Gmail, de l’information livrée dans les formulaires, etc.) que Google garde frileusement, tâchant de ne jamais en perdre un iota, tout en essayant de la peaufiner. Ainsi, la semaine dernière, elle annonçait que ses robots chercheurs étaient désormais capables, les snoreaux, de cueillir de l’info qui, jusqu’ici, était passée inaperçue, ce qui va inciter les entreprises à vraiment s’assurer de n’avoir laissé aucun document… à la traîne.
Quant au modèle d’informatique à la demande, Google a d’ailleurs conclu un partenariat avec IBM l’automne dernier qui vise à développer l’approche de traitement en grappes, souvent appelée cloud computing. Ce partenariat, comme l’explique ici Steve Mills, vice-président principal responsable du secteur logiciel chez IBM, qui aurait pu sembler improbable, révèle un potentiel intéressant.
Menace à la vie privée
Certains détracteurs ne se gênent pas pour parler de menace à la vie privée, corpo ou autre. Et, pour tout dire, des organismes aussi crédibles que la Electronic Frontier Foundation ou Privacy International, accusent Google de « big-brotherisme ». D’autres soulèvent le fait qu’elle a déjà collaboré avec le FBI (remise de 50 000 adresses), qu’elle est soumise aux dispositions du Patriot Act et qu’elle a collaboré avec les autorités chinoises dans des histoires de censure. Il est effectivement édifiant de comparer les résultats obtenus dans « Google.ch » avec ceux dans « Google.com », après avoir tapé le mot « Tiananmen » et avoir demandé des images.
Il ne faut pas oublier l’Américain Daniel Leslie Brandt, un informaticien à l’origine du site ouvertement anti-Google, Google Watch, qui a mis au point un serveur mandataire (proxy) polyglotte appelé Scroogle (screw Google). En se servant de Google comme moteur de recherche, Scroogle arrive à le priver des données de traçage nécessaires au jeu publicitaire. Comme résultat, aucune pub ne se retrouve affichée.
Quelques difficultés
On a compris que Goggle avait ses détracteurs. Des articles peu flatteurs sont publiés de plus en plus, des blogues et des webzines hostiles sont à l’œuvre (p. ex. Fuckedgoogle.com ou valleywag.com. Tout y passe.
On parle des difficultés qu’éprouve le PDG Eric Schmidt à remplacer le grand argentier (CFO) George Reyes qui a annoncé son intention de quitter à l’été 2007, de la démission du CIO (Chief Information Officer) Douglass Merrill qui devient PDG chez EMI, du départ récent de cadres supérieurs (notamment pour Facebook) et du fait que les trois milliardaires à la tête de l’entreprise, Larry Page, Sergey Brin et Eric Schmidt ont réduit leurs salaires annuels à… 1 $. En outre, on placote autour du gel récent dans l’embauche, une première chez Google, et on pointe du doigt sur les 300 mises à pied survenues après l’acquisition de DoubleClick.
Évidemment, on adore écrire que Larry Page et Sergey Brin, les cofondateurs, viennent de perdre 18 milliards de dollars américains à eux deux, puisqu’ils possèdent chacun plus ou moins 29 millions d’actions dans l’entreprise (nous ne verserons tout de même pas une larme : l’action se transige à 450 $ pièce…). Depuis novembre dernier, Google a en effet vu son titre au NASDAQ (GOOG) chuter de 40 %. On colporte également toutes sortes d’histoires sur la mégalomanie de certains dirigeants (la VP responsable des produits de recherche et des services aux utilisateurs, Marissa Mayer, étant une cible de choix), on publie des démentis (fuites internes, ex-employés, etc.) relativement aux conditions de travail telles que véhiculées par l’entreprise (massages, nourriture gratuite, temps personnel, émulation, etc.). Bref, la grogne est bien alimentée.
Pour continuer dans le « pas jojo », des scribes de la Silicon Valley soutiennent qu’au moins la moitié des revenus publicitaires de Google, ces dernières années, provenaient du monde hypothécaire américain, une industrie à haut risque dont la bulle vient de crever. De plus, ajoute le très sérieux et britannique Economist.com, les clics publicitaires payants (paid-clicks – la source de revenus essentielle à Google) auraient décliné de 7 % depuis le début de l’année, contrairement aux requêtes de recherche (un service gratuit) qui, elles auraient augmenté. Comme résultat, le ratio clics-pub/requête aurait chuté de 16 %. Cette tendance est notée également par la firme eMarketer.com qui, le mois dernier, démontrait que l’augmentation des revenus publicitaires de Google poursuivait la pente décroissante de ces dernières années, avec 32,1 %, comparativement à 46,4 % en 2007, 69,9 % en 2006 et 90,7 % en 2005.
Mais en même temps, une autre firme de mesure, comScore Media Metrix, lui accordait 58,5 % de marché des moteurs de recherche en janvier dernier et de 59,2 % en février. En comparaison, Yahoo plafonnait à 22,2 % et à 21,6 %. Qui plus est, avec l’acquisition récente de la régie publicitaire DoubleClick, Google contrôle désormais 70 % du marché publicitaire spécifique aux visiteurs uniques. En janvier dernier, une étude à cet égard démontrait, en effet, que Google détenait une part de marché de 35,3 %, principalement dans les sites de moins de 100 000 visiteurs uniques, et DoubleClick de 34,4 %, surtout dans les sites d’un million de visiteurs uniques et plus.
Un trimestre qui dépasse les prévisions
Les plus récents résultats financiers de l’entreprise, publiés hier après la fermeture des marchés boursiers, semblent donner raison à la stratégie de Google. Avec des revenus, des profits et des clics payant tous en hausse, dépassant de surcroît les prévisions des analystes, l’entreprise montre qu’elle a encore un bon potentiel de croissance.
L’entreprise continue à en mener large. Et les difficultés actuelles de Microsoft ne peuvent que l’amuser, que l’exciter. Surtout quand elle regarde se dérouler la désopilante saga impliquant l’acquisition de Yahoo. Quand à Vista, n’est-ce pas la preuve que des systèmes de cette taille sont désormais chose du passé?
Quoi qu’il en soit, l’économie américaine va sans doute changer la donne d’ici quelques mois. À coup sûr, la rentrée de septembre pourra nous en dire beaucoup plus sur l’avenir plus ou moins rapproché de l’informatique à la demande.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.
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