L’association FACIL, qui souhaite que les octrois de contrats sans appel d’offres du gouvernement soient déclarés inappropriés, explique ses motivations. L’organisme déplore l’indifférence exprimée par Québec envers le logiciel libre. La démarche est soutenue par Cyrille Béraud de Savoir-Faire Linux, qui poursuit la Régie des rentes dans une cause semblable.
L’organisme à but non lucratif FACIL, voué à la promotion de l’informatique libre, a déposé une requête devant la Cour supérieure du Québec afin que le tribunal déclare comme étant inappropriées certaines pratiques du gouvernement du Québec en matière d’achat de logiciels. FACIL estime que ces pratiques contreviennent à plusieurs règlements et cadres de référence, dont le Règlement sur les contrats d’approvisionnement, de construction et de services des ministères et des organismes publics.
L’organisme dénonce l’attribution récente, par la Direction générale des acquisitions du Centre des services partagés du Québec, qui est responsable des appels d’offres et des contrats d’approvisionnement pour les entités gouvernementales, d’une série de contrats sans appel d’offres, par le biais d’avis d’attribution, à Microsoft Canada pour l’obtention de licences pour l’utilisation du système d’exploitation Vista et de la suite de logiciels de bureautique Office 2007 sur les postes de travail au gouvernement.
FACIL déplore que le gouvernement du Québec ait émis, entre février et juin 2008, sept avis d’attribution d’une valeur de plus de 10,7 millions de dollars sans procéder à un appel d’offres. Plus précisément, FACIL déplore que les licences de logiciels aient été accordées à Microsoft par le biais d’un avis d’attribution, tel que permis par un article règlement provincial. Le gouvernement aurait justifié son omission des appels d’offres par l’alinéa 7 d’un article du Règlement, qui permet cette pratique lorsqu’« un contrat est attribué à un fournisseur qui est le seul possible en tenant compte du respect d’un droit exclusif […] »
La requête vise le Centre des services partagés du Québec et met en cause le Procureur général du Québec, l’éditeur Microsoft Canada, l’entité américaine Microsoft Licensed General Partnership qui gère des programmes de licence de logiciels ainsi que le revendeur local Compugen.
Contestations
Dans sa requête soumise au tribunal, FACIL affirme que le processus d’attribution du Centre des services partagés est illégal et non conforme. L’organisme estime que les logiciels acquis ont peu en commun avec les versions déjà exploitées, et que l’utilisation d’un ensemble de logiciels d’un fournisseur spécifique ne peut justifier un refus de comparaison avec des solutions alternatives.
FACIL affirme aussi que l’attribution de contrats sans appel d’offres viole des dispositions de la Politique sur les marchés publics qui ont trait à la faveur des acquisitions au meilleur coût global, à la mise en compétition d’un bassin élargi de produits et de fournisseurs, à l’accès à l’information sur les occasions de marché, à la connaissance des critères d’évaluation, à l’obtention des résultats d’évaluations, à la contribution au développement économique québécois et à l’utilisation des technologies locales.
L’association, qui comptait une vingtaine de membres avant le dévoilement de la procédure, clame que les avis d’attribution identifiant un seul fournisseur sont contraires aux lignes directrices du guide de référence « Les logiciels libres et ouverts et le gouvernement du Québec », qui a été publié en 2007 par la Direction de l’architecture du ministère des Services gouvernementaux. L’organisme en souligne des suggestions que les besoins opérationnels et des cadres d’opération soient définis de façon très inclusive, que la capacité de réponse d’une solution technologique aux besoins soit mise en relation avec son coût, que les contrats soient accordés de la façon la plus neutre et objective possible et que des références à des systèmes d’exploitation, à un modèle d’environnement ou à une licence particulière soient omises.
L’organisme a publié sur son site Web son document de requête et les documents qui seront soumis en preuve aux tribunaux.
Un mur
Quelques jours avant la soumission de la requête aux tribunaux, FACIL a tenu une conférence de presse qui a réuni quelques journalistes et une dizaine de partisans de la philosophie du logiciel libre. Aux côtés du président de FACIL Mathieu Lufty et d’autres représentants, le président de la firme de services-conseils Savoir-faire Linux, Cyrille Béraud, a exprimé à titre de vice-président de l’association les motivations de la démarche judiciaire.
M. Béraud a fait état de l’atteinte d’un « moment charnière », soit le renouvellement au gouvernement de logiciels dont le soutien du fournisseur cessera sous peu. Il a indiqué qu’une non-intervention se serait soldée par un nouveau cycle d’exploitation de licences pour trois à cinq années. M. Béraud, au terme de démarches auprès des instances gouvernementales, a dit s’être buté à un mur.
« L’État est une machine qui se met à fonctionner. Elle constate qu’il y a un monopole et elle s’est moulée dans ce monopole, sans même penser à [faire] mal. Elle est dans une logique où il ne suffit pas de convaincre [ou] d’arriver avec de meilleures solutions, des propositions ou des outils. La machine continuait à fonctionner… Et il fallait réagir », a-t-il affirmé en précisant que la réaction juridique était « probablement la seule manière de changer les choses. »
Des rencontres avec des départements technologiques, selon ses dires, auraient laissé transparaître une vision à court terme et un manque d’intérêt envers la pérennité des investissements matériel, logiciels et humains de la philosophie du logiciel libre.
« La politique gouvernementale au Québec est un peu comme un canard sans tête, a-t-il déclaré. Il n’y a pas quelqu’un qui a une vision stratégique à long terme des technologies de l’information. On allait au plus vite, on essayait de faire marcher cette machine le mieux possible. Dans certaines directions informatiques, on me disait : ‘on est intéressé, mais si on passe par le logiciel libre, au moindre problème on va me tomber dessus’. La direction (sic) gouvernementale habituelle, c’est de consulter le catalogue de Microsoft, de tourner les pages et de choisir, et ça se fait tout seul. »
M. Béraud a déploré que les solutions de logiciels libres ne fassent pas l’objet d’évaluations. « Tous les marchés en TI sont attribués de gré à gré. On s’enferme dans un bureau et on se met d’accord. J’ai eu des témoignages directs : c’est très concret, le monopole de Microsoft. Le représentant d’une compagnie arrive dans une salle et dicte les choix technologiques, les prix et les conditions […] et le représentant [du client] n’a qu’à dire ‘Amen’ et à signer le chèque. C’est comme ça se ça se passe », a-t-il dit.
M. Béraud, qui estime que la situation nuit « gravement » à l’économie du logiciel québécois qui mise sur la proximité de service, a indiqué qu’il n’y a eu aucune tentative de dialogue ou de concertation entre le gouvernement et l’industrie du logiciel libre. « On nous a démontré une véritable hostilité, voire de la haine. C’est incompréhensible parce que c’est dans l’intérêt du Québec. »
Ressemblances et nuances
Cyrille Béraud dirige Savoir-Faire Linux, qui intente présentement une poursuite contre la Régie des rentes du Québec. Le litige a trait au recours à un avis d’intention où l’entité gouvernementale avisait l’industrie de son désir de mettre à jour ses postes de travail, au non-respect de la Politique sur les marchés publics et à l’interprétation de la démarche en cours où s’opposent les concepts de mise à jour et de mise à niveau.
Me Marc-Aurèle Racicot, qui représente à la fois les causes de Savoir-faire Linux et de FACIL, souligne que la requête diffère du litige avec la Régie des rentes au niveau du recours du gouvernement à un avis d’attribution, et ce, par le biais d’une différente mesure d’exception.
« On passe l’appel d’offres et on passe l’avis d’intention. On dit : ‘on a décidé qu’il y a un fournisseur unique pour les besoins qu’on a, c’est Microsoft, vous en êtes avisés, voici le montant du contrat’. […] Le jeu qu’on utilise pour identifier comme fournisseur unique Microsoft est qu’on met dans l’avis d’attribution qu’il s’agit d’une mise à jour des logiciels existants. Il y a une bonne différence entre remplacer et mettre à jour des logiciels », souligne Me Racicot.
Déclaration sans ordonnance
Me Michel Solis, avocat au cabinet Solis Juritech, est spécialisé en droit des technologies de l’information et collaborateur à Direction informatique. Il nous a expliqué, en résumé, qu’une requête en jugement déclaratoire est un recours où le juge n’ordonne rien, mais déclare que telle partie a raison dans une cause, en fonction d’arguments expliqués.
« S’il gagne, FACIL ne peut pas prendre le jugement déclaratoire pour l’exercer contre le gouvernement afin de le forcer à lui permettre de déposer une déclaration. Si un juge émet un jugement déclaratoire, on peut prévoir que le gouvernement va agir en conséquence sans qu’on ait en plus la nécessité de lui tordre le bras.[…] C’est certain que le gouvernement va aller se défendre fortement et expliquer sa position, parce qu’il ne veut pas avoir un jugement déclaratoire contre lui sur une telle question », commente Me Solis.
La première audience de cette cause était prévue pour le 3 septembre. Le lendemain, en vertu des informations publiées dans le plumitif au Palais de justice de Montréal, tout portait à croire que l’audience n’avait pas eu lieu comme prévu.
Mise à jour – 05/09/2008 – Selon des explications de Me Marc-Aurèle Racicot, qui représente FACIL, un avocat montréalais mandaté par Microsoft Canada s’est présenté à l’audience du 3 septembre pour contester la signification de la requête à Microsoft Licenced General Partnership au Nevada. La remise de la signification avait été tentée auprès de l’entité de Microsoft, en vertu des procédures normales, mais cette dernière avait refusé le document en raison du fait qu’il était rédigé en français.
Selon Me Racicot, le juge a statué que la signification serait transmise par télécopieur, ce que l’avocat a fait le 4 septembre en y adjoignant un avis de présentation rédigé en anglais, et décrété que l’audience visant à définir un échéancier serait entendue deux semaines plus tard que prévu.
À suivre.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.
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