DROIT ET TI – Le français au Québec c’est un peu comme le droit d’auteur en général : il est bien certain qu’on ne saurait être contre. Mais…
Qu’arrive-t-il, dans le domaine législatif, lorsque se heurtent un élément « de cœur » comme la langue et un élément « de tête » comme le commerce?
Il arrive fréquemment que deux objectifs de société très louables s’opposent d’une manière imprévue. Prenons par exemple les deux objectifs de société suivants : préserver le caractère français du Québec (on sait que Direction informatique, que vous lisez, prend cet objectif très au sérieux, ayant lui-même gagné des prix pour l’utilisation du français dans le domaine des technologies de l’information; permettre à la société et aux entreprises québécoises de bénéficier des outils techniques nécessaires afin qu’elles soient productives, compétitives et capables, notamment, de préserver leurs emplois.
On critique souvent nos politiciens quand ils votent des lois, mais leur travail est complexe. Ce n’est pas facile de gouverner et légiférer. À première vue, ces objectifs ne s’opposent pas. Mais qu’en est-il lorsque le droit des employés de travailler en français est affecté par une absence de disponibilité de logiciels en français sur le marché? On ne pense pas ici à des logiciels de bureautique, mais à des logiciels hyperspécialisés, par exemple des logiciels de contrôle industriel complexes et dispendieux, qui peuvent jouer un rôle majeur quant à la productivité d’une entreprise ou la disponibilité d’un produit ou d’un service.
Logiciels très spécialisés
Concernant ces logiciels hyperspécialisés, il est possible que le Québec ou encore le Canada français ne puisse contenir que deux, trois ou quatre clients potentiels – ou même un seul ! On peut aisément imaginer que ce(s) clients, par rapport au marché mondial pour cette technologie, constituent un faible pourcentage des ventes potentielles. Il est aussi concevable qu’il ne soit pas rentable pour le fabricant de traduire son logiciel pour sa clientèle d’Amérique francophone, surtout si sa clientèle de France ne l’a pas exigé!
Si on exige du fabricant qu’il traduise son logiciel pour qu’il puisse en vendre des licences au Québec, il est possible qu’il s’abstienne tout simplement de vendre des licences au Québec. Or les logiciels de ce fabricant sont utilisés par les compétiteurs des entreprises québécoises qui sont situés dans les autres provinces canadiennes, aux États-Unis et… en France! Vous sourcillez, mais c’est une histoire vécue.
Le législateur doit-il alors privilégier la disponibilité du français ou la disponibilité d’outils technologiques de pointe?
Le choix du législateur
Les élus voudront déceler la tendance la plus forte chez l’électorat pour parvenir plaire à ce dernier. Doit-on considérer scandaleux que des politiciens prennent de telles décisions purement en fonction de la popularité de celles-ci?
Dick Howard, politologue et professeur de philosophie politique à la Stony Brook University de New York, en entrevue sur les ondes de Radio-Canada, a dit que c’est bien normal : les politiciens représentent ceux qui les ont élus! Une décision impopulaire diminue les chances de réélection, mais va aussi contre la volonté de la majorité de la population qu’ils représentent.
Il y a un effet pervers à ce principe. Lorsque les politiciens pourraient toucher un thème très chaud par une législation, et ce, d’une manière qui risquerait d’être interprétée autrement que positive, ils préfèrent parfois s’abstenir. On peut alors lire dans les lois des dispositions imprécises qui attendent qu’un juge leur donne un sens pour pouvoir s’appliquer correctement.
En matière de langue française, on sait que le terrain politique est glissant. Il est possible que ce soit pour cette raison que l’article 141 (9) de Charte de la langue française se soit limité à mentionner, en parlant de la francisation des entreprises et des logiciels :
141. Les programmes de francisation ont pour but la généralisation de l’utilisation du français à tous les niveaux de l’entreprise, par : (…) 9. l’utilisation du français dans les technologies de l’information.
Que peut-on interpréter de cet article? Jusqu’où doit aller l’utilisation du français dans les technologies de l’information ? Le droit important des employés de travailler en français doit-il l’emporter sur tout le reste?
Le 19 juin 2000, le juge Pierre Dalphond de la Cour Supérieure du Québec (depuis nommé à la Cour d’appel) dut répondre à la question suivante : La Charte de la langue française autorise-t-elle l’Office de la langue française à exiger d’un employeur qu’il ne fournisse que des logiciels en français à ses employés?
La décision du juge
À la suite d’un procès où se sont côtoyées les vedettes médiatiques que sont l’Office de la langue française et l’avocat Julius Grey, le juge Dalphond a signé un jugement dont curieusement, alors que tout le texte est en français, les conclusions sont en anglais.
Ces conclusions sont, entre autres, que l’Office de langue française ne possède, en vertu de la Charte de langue française, ni le pouvoir, ni la juridiction ni la discrétion nécessaires pour exiger l’usage exclusif de logiciels en français dans une entreprise.
Il est possible que le juge ait trouvé qu’en l’absence d’un article de loi parfaitement limpide, il ne convenait pas d’aller aussi loin que l’Office le demandait.
En général, quant aux questions linguistiques, il y a une multitude de façons de prendre position, tant au niveau politique qu’au niveau social ou juridique.
À vous de vous faire une idée!
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis 20 ans.
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