DROIT ET TI – Quel équilibre peut-on établir entre le droit à l’information, d’une part, et d’autre part le droit d’une personne de faire oublier certains chapitres de sa vie qu’elle juge moins pertinents ?
Dr. Untel, en début de carrière, a été blâmé d’avoir fait certains attouchements auprès d’une patiente. Il s’est retrouvé à la fois devant les tribunaux et devant le comité de discipline de son association professionnelle. Les journaux ont traité abondamment, à l’époque, des gestes qui lui étaient reprochés. Après enquête et audition de la cause, tant le juge ayant traité l’affaire au pénal que le comité de discipline de l’association professionnelle blanchissent complètement le médecin. Les journaux publient alors un article plus petit et moins visible quant à son acquittement. Le médecin n’a eu aucun autre tel démêlé pendant le reste de sa carrière.
En 2011, lorsqu’on effectue une recherche sur Internet avec le nom du médecin, on trouve comme résultat de tête l’article sur les accusations d’attouchements; l’article sur l’acquittement se retrouve au 35e rang des résultats de recherche.
Que peut-on faire pour protéger sa réputation ?
Le dirigeant principal d’une entreprise de fabrication de ferronnerie, pour sa part, en a assez qu’une photo, prise il y a trente ans, de lui portant des vêtements couverts de croix gammées, apparaisse lorsqu’on cherche des images avec son nom.
Le ministre d’un gouvernement de droite, pour sa part, aimerait bien faire oublier sa période marxiste-léniniste alors qu’il étudiait en sciences politiques à l’Université. Ces personnes peuvent-elles cacher, ou rendre moins visibles, certaines étapes de leurs vies respectives ?
Conférence à l’Université de Montréal
Une récente conférence sur le sujet a été donnée par le professeur de droit français Nathalie Poujol, à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il s’agissait d’une conférence présentée par la Chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l’information et du commerce électronique.
Pourquoi le droit français nous serait-il intéressant ? Un aspect particulier du droit des technologies de l’information est que de nouveaux défis, et de nouvelles situations à encadrer juridiquement surgissent continuellement.
Or, si le droit d’autres juridictions ne s’applique pas à nous, il demeure très intéressant de : a) identifier les questions qui se posent dans l’encadrement juridique d’une nouvelle situation entraînée par une nouvelle technologie : ces questions dépendent très peu de la juridiction, et sont donc similaires, peu importe l’endroit ; et b) savoir comment une autre juridiction a pu répondre à ces questions.
Diffamation à retardement
Diffamer, c’est affecter négativement la réputation de quelqu’un avec une fausse information. Une personne accusée de diffamation peut se défendre, entre autres, en prouvant qu’elle a dit la vérité. Or qu’arrive-t-il si, au moment où l’information a d’abord été diffusée, elle était vraie, alors qu’elle a été démentie ou corrigée par la suite ?
Le professeur Poujol a soulevé la possibilité qu’une information ancienne, toujours disponible sur Internet, entraîne un problème de diffamation « à retardement », puisqu’elle est toujours disponible, mais maintenant fausse. La solution choisie en France avait été de permettre à une personne de forcer l’entreprise responsable du site à créer un hyperlien entre la nouvelle « maintenant démentie » et la nouvelle « l’ayant démentie ».
Dans l’exemple de notre médecin cité précédemment, celui-ci pourrait demander qu’un hyperlien soit établi entre l’article traitant des accusations et celui traitant de l’acquittement; en cas de refus de la part de l’opérateur du site, le médecin pourrait s’adresser à un tribunal.
Le professeur Poujol a aussi traité d’un droit « de repentir » existant en droit français en rapport avec l’individu désirant faire oublier certains chapitres de son passé. Deux possibilités sont disponibles pour favoriser l’oubli : 1) l’effacement certes, mais aussi 2) la désindexation des contenus problématiques. La désindexation a l’avantage de rendre l’information moins accessible sans la supprimer.
L’expert effectuant une recherche approfondie pourra peut-être la trouver, mais pas le curieux utilisant Google Images. En France, ce droit est à équilibrer au cas par cas avec le droit du public à être informé. Plus l’individu désirant occulter l’information est en vue et mène une vie publique, plus il devrait lui être difficile de cacher des choses. Plus cet individu mène une vie « privée », plus il aurait de chances que ce droit lui soit accordé. Ces nouveaux droits, qui répondent à de nouveaux défis, traverseront-ils l’Atlantique ?