Ce serait exagéré de dire que le CES est en déconfiture et que ses jours sont comptés. Pourtant, Microsoft, un participant considérable, vient de lui faire faux bond. Qu’est-ce que cette décision signifie pour le plus important salon techno grand public au monde?
Peu avant les fêtes, Microsoft servait une douche froide aux organisateurs du Consumer Electronic Show (CES) en annonçant que janvier 2012, date de sa quinzième participation en tant que conférencière et exposante, serait son chant du cygne. Fini les conférences d’ouverture (keynotes) au contenu de plus en plus réchauffé, prononcées par Steve Ballmer! L’empire rejoignait ainsi Google et Apple dans la fraternité des abstentionnistes. 45 minutes plus tard, le méga espace de son stand était loué pour l’an prochain à deux sociétés, dont la Chinoise Hisense.
Une des questions soulevées dans le communiqué de Microsoft était la suivante : « faisons-nous quelque chose parce que c’est vraiment la bonne chose à faire ou parce que c’est toujours ainsi que ce fut fait? » Pour utiliser l’expression consacrée, poser la question, c’est y répondre.
C’est un fait criant que les impératifs marketing de 2012 sont différents de ceux d’il y a quinze ou vingt ans alors que le phénomène du salon informatique faisait rage. Au tournant du siècle, il y avait même un Comdex à Montréal ou à Toronto et un Macworld à New York ou à Boston. Aucune entreprise n’était prise au sérieux si elle ne consacrait pas des fortunes à distribuer des t-shirts, des yoyo ou des canards jaunes dans toute sorte de salons. Certaines avaient même des équipes à temps plein dont le métier était de rouler d’un salon à l’autre.
Le problème avec ce genre d’événements coulés dans le ciment, c’est que les exposants ont toujours dû s’ajuster dans l’étroite plage de temps offerte à prix d’or. Les salons constituaient une occasion idéale pour lancer un produit.
Mais avec la prolifération du mobile, le dépérissement du marché de l’ordinateur modulaire, le pullulement des sites ou blogues technos, le raccourcissement de la durée des générations de produits, la mouvance débridée des consommateurs et la concurrence de plus en plus dure, il est devenu essentiel de pouvoir lancer de nouveaux produits en des moments propices aux fabricants et non pas à l’industrie du salon. Pourquoi les discours de Ballmer ont-ils un goût de réchauffé au CES? Parce que les produits dont il parle ont déjà été lancés ou présentés en des occasions planifiées uniquement par Microsoft. Si c’est le cas, pourquoi devrait-il continuer à passer, dans ses « keynotes » annuels, comme étant un sous-produit de Bill Gates? Il en a simplement marre et il s’en va.
Autre désagrément majeur, le CES est énorme. Ce janvier-ci, on a pu compter 2 700 exposants (1,6 M de pieds carrés) et quelque 150 000 visiteurs; on se serait cru aux gros Comdex des années 1995-97. En faire le tour au complet est devenu un sport extrême. Cela signifie que les annonces de produits s’y font en rafale et que le journaliste le mieux organisé en rate les trois quarts. Pour les participants, attirer l’attention prend l’aspect d’une prouesse héroïque. D’où leur intérêt croissant envers les événements thématiques de plus petite taille où il est possible de bien paraître.
Dans son communiqué, Microsoft laisse entendre que d’autres moyens seront mis à contribution, par exemple les réseaux sociaux et ses boutiques spécialisées. À cette enseigne, le manuel le plus complet, un manuel constamment revu et corrigé, a été écrit par Apple, la leader mondiale en marketing-choc.
Ce qui est certain, c’est que la décision d’une entreprise importante de mettre un terme à sa participation annuelle à un grand salon est loin de nuire à ses ventes. Aussi bien IBM qui l’a fait en 1997 avec le défunt Comdex, qu’Apple qui a imité le geste en 2008 avec le Macworld, n’ont souffert. Bien au contraire.
Quant aux salons en question, le coup peut leur être fatal, sans l’être nécessairement. Le CES est devenu très rentable sans la participation de Google et le Macworld semble encore sur rail même si Apple n’y va plus. Par contre, le Comdex a décliné à petit feu après le retrait d’IBM et est mort en 2003. Il y avait bien sûr d’autres raisons, mais la décision d’IBM n’a vraiment pas aidé.
Le CES est-il encore pertinent d’un point de vue occidental? À l’heure actuelle, y a-t-il un endroit autre que le quartier de la Strip, le plus surréaliste de Las Vegas, pour l’accueillir? L’économie chancelante des États-Unis et la situation « grisounette » des consommateurs américains vont-ils faire en sorte que les exposants, d’abord et avant tout des Asiatiques dont l’industrialisation progresse à un train d’enfer, vont commencer à lorgner vers une citée hôte quelque part en Extrême–Orient? On verra bien d’ici deux ou trois ans.
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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.