DROIT ET TI La Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information («LCCJTI»), une loi du Québec, a dix ans.
À l’occasion de cet anniversaire, l’aboutissement d’un projet bien spécial a vu le jour à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Le professeur Vincent Gautrais et le Centre de recherche en droit public de l’Université ont mis sur pied une équipe qui a créé un site Web portant sur l’analyse des dispositions de la Loi. Jeudi le 31 mai dernier avait lieu à l’Université de Montréal une conférence soulignant le lancement du site.
Technologie oblige, ce site d’analyse est un site Web 2.0, invitant notamment les participants à commenter l’interprétation de la Loi et à y inscrire des références à des décisions ou des textes en traitant. Bref, à la rendre beaucoup plus vivante. Le Ministère de la Justice du Québec a financé l’infrastructure informatique soutenant ce site 2.0, et la Fondation du Barreau du Québec s’est engagée à soutenir financièrement sa mise à jour pendant cinq ans.
L’équivalence des documents
Cette loi, à son entrée en vigueur, il y a 10 ans, était passablement révolutionnaire. On a rappelé lors de la conférence que cette loi est celle qui, entre autres, a décrété qu’un document est… un document, peu importe qu’il soit sur support papier, sur une clé USB, sur un disque dur, etc.
Donc, la page Web peut être équivalente au livre, le fichier peut être équivalent au texte; mais attention, pas toujours (les « toujours » et les « jamais » sont très rares en droit)… La LCCJTI contient aussi la notion d’intégrité du document.
L’intégrité des documents
On a rappelé à la conférence que, dans les faits, la modification d’un document électronique peut être faite de façon, à toutes fins pratiques, invisible ou alors très peu retraçable. Par ailleurs, la modification sans trace d’un document papier, elle, demande une technique irréprochable (!). Il fallait donc établir des règles pour éviter que des documents modifiés puissent être utilisés impunément.
La LCCJTI établit qu’un document, peu importe son format papier ou électronique, est fiable si l’on est en mesure de compter sur son intégrité. La loi définit l’intégrité comme suit :
L’intégrité d’un document est assurée, lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’en est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.
La LCCJTI établit une présomption quant à cette intégrité, c’est-à-dire qu’un document présenté devant un tribunal est présumé intègre et fiable, sauf en cas de contestation. Il appartient à une partie adverse, à celle ayant produit le document, de contester cette intégrité. C’est au cas où cette contestation surviendrait que les entreprises, ministères et organisations ont passé et passent encore beaucoup de temps à gérer et documenter la manière dont leurs dossiers papiers deviennent électroniques.
Ils pourront ainsi démontrer que, par exemple, chaque dossier papier a été numérisé complètement et fidèlement, et que personne n’a pu le modifier.
On a rappelé à la conférence que la LCCJTI contient une foule d’autres concepts, notions et règles. Parmi ces nombreuses règles, on a rappelé que c’est la LCCJTI qui établit le régime de responsabilité de l’hébergeur de contenu en ligne. On sait que l’hébergeur n’est pas responsable du contenu qu’il héberge pour son client, mais pourrait le devenir, dans certains cas, si un tiers subissant un dommage avise cet hébergeur de la présence du contenu dommageable et si l’hébergeur n’agit pas.
Des dents depuis très peu de temps
Le titre du présent article est justifié par le délai de quelques années qui s’est produit entre l’entrée en vigueur de la Loi et son utilisation par le monde juridique, en particulier par les tribunaux.
Les quatre ou cinq premières années qui ont suivi cette entrée en vigueur ont vu peu de réceptivité de la part des tribunaux vis-à-vis tout ce qui pouvait provenir d’Internet. Je me souviens du récit d’une avocate qui, voulant contre-interroger une partie adverse sur la valeur d’une maison, avait tenté d’utiliser des pages d’un site Web de l’Association canadienne de l’immeuble.
Elle se fit répondre par le juge « Aaah, Maître, vos affaires d’Internet, là… Non. » Pourtant une loi en vigueur, la LCCJTI, affirmait que le site Web valait un document papier, en autant que l’intégrité du document situé sur le site Web avait été protégée.
Depuis environ cinq ans, les tribunaux québécois ont beaucoup mieux accueilli l’Internet et les données électroniques. Le moment est maintenant venu de connaître cette Loi davantage en profondeur, et les travaux du professeur Gautrais et de son équipe arrivent à point nommé.
Vous êtes invités à visiter le site www. lccjti.ca pour mieux connaître cette loi vous aussi.