Plutôt que de craindre la fin du livre en support papier, Hubert Guillaud affirme qu’il faut penser aux nouvelles formes de l’ouvrage littéraire et aux nouvelles interactions permises par l’apport du numérique.
À l’occasion du forum Bibliothèques de Montréal 2.0 du Réseau des bibliothèques publiques de la Ville de Montréal, Hubert Guillaud, le rédacteur en chef du portail français InternetActu.net spécialisé en veille sur l’innovation en TIC, a livré une conférence dont le thème était Demain le livre: comment le livre et la lecture vont être transformés par le numérique.
L’auditoire, composé de personnes oeuvrant dans les bibliothèques de la métropole québécoise, a dû être soulagé d’entendre que M. Guillaud ne venait pas traiter de la disparition du livre, mais plutôt de la façon dont il serait secondé par l’électronique.
En posant une grande question, à savoir ce qu’est un livre lorsqu’il n’a plus de support physique, M. Guillaud a indiqué que l’univers numérique, en remettant en cause le support, forçait aussi la redéfinition du livre en soi.
Ses propos ont démontré que cette redéfinition est loin de se traduire par une nouvelle approche unique. Il a remarqué qu’on ne lit pas le même type d’ouvrage « dans un couvre-livre, sur un ordinateur portable ou sur un téléphone mobile », mais aussi qu’on ne voulait pas payer le même prix pour un livre électronique jetable que pour un livre électronique de référence.
« Rien n’est moins sûr que l’e-book. Les supports sont appelés à être aussi multiples que nos usages, a indiqué le conférencier. Il faut s’attendre à la présence de multiples formats de fichiers, tout comme il y aura diverses plates-formes de lecture ».
M, Guillaud a précisé qu’il ne faut pas mettre de côté la piste du papier, en donnant l’exemple des livres cartonnés pour enfants où le toucher déclenche des sons ou des applications depuis quelque temps.
D’autre part, un exemple donné plus tard dans son exposé sur les possibilités d’interaction offertes par le numérique, soit la lecture du petit chaperon rouge qui ferait tourner au rouge l’éclairage d’une pièce, a suscité un enthousiasme bien ressenti dans l’auditoire!
Accès relatif
Selon M. Guillaud, la promesse première de l’électronique est d’avoir de nouveaux modes d’accès au livre. Or, la question de l’accès au livre semble plutôt se brouiller à l’ère du numérique.
« Comment rend-on le livre accessible? Pourquoi est-ce difficile de trouver des livres numérisés sur la Toile lorsqu’ils sont disponibles? D’autre part, si un livre n’est pas disponible en format numérique, il l’est en format numérisé sur PirateBay. Aurons-nous des accès différents aux livres en fonction de droits d’accès, de niveaux de revenus? », a-t-il questionné.
M. Guillaud a souligné que si avec le support papier, la publication est rare, avec le numérique, c’est le lecteur qui se fait rare. Il a fait état d’une complexification de l’accès au livre à l’ère du numérique, dans les moteurs de recherche, mais aussi par la compétition des autres contenus.
Au niveau des modèles économiques applicables au livre dans l’univers numérique. M. Guillaud a fait état de l’accès gratuit à du contenu qui stimule les ventes de produits, tout comme il a souligné que le concept de l’abonnement à des bases de livres à forfait mensuel gardait le lecteur captif.
« Le livre numérique est fondé sur l’économie de l’attention », a-t-il affirmé.
Le livre de demain, l’action d’aujourd’hui
L’expert français a traité de plusieurs autres concepts intéressants qui font état de l’effervescence qu’entraîne le numérique dans l’univers du livre. Il a relaté les changements de formats – comme les recueils de blogues et de microblogues – la création de livres par les individus et les possibilités de mises à jour automatiques des livres électroniques.
Il aussi évoqué, l’impact de la Toile et de l’apport des interactions et des internautes dans l’évolution du livre. Il a relaté la création d’applications et de nouvelles formes d’analyse documentaire du livre, pour recommander des choix de lecture ou cataloguer des livres selon des critères. Il a aussi fait état du Web implicite, où les lectures faites seraient mémorisées tout comme des librairies en ligne mémorisent les achats. L’historique sur le Web changera l’accès à l’information et au livre.
« Le livre de demain ne sera plus un produit individuel, mais un produit groupe qui s’intégrera à un écosystème. Le livre numérique liera le Web documentaire et le Web social en allouant le partage, la critique et l’argumentation. Le livre numérique deviendra un concentrateur dans l’écosystème des livres, en donnant accès à des ressources, des commentaires et des références », a-t-il expliqué.
Aux bibliothécaires qui s’interrogeaient sur les impacts de ces changements sur leur travail et sur la bibliothèque en soi, M. Guillaud a affirmé que la situation forçait un questionnement sur les façons de travailler, et ce, dès maintenant.
« Il y a plein à imaginer autour au contenu. Il faudra aider le lecteur. L’important est le service individualisé pour le lecteur, tout en lui donnant du pouvoir d’interaction. Il faut arrêter de se poser des questions. Il faut expérimenter et essayer des choses avec les usagers », a-t-il conclu.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.