Dans un monde où un fabricant d’ordis dispose d’une capitalisation de marché de 350 milliards de dollars américains parce qu’il manufacture des iPhone et des iPad, personne ne peut concevoir qu’il soit encore possible de faire du fric à vendre des «mainframes». C’est pourtant ce qu’IBM fait, cela en bonne partie en raison du Nuage! Qui l’eut cru!
Ceux qui ont déjà voyagé en ville dans un autobus bondé ont peut-être entendu le chauffeur demander aux passagers « d’avancer vers l’arrière » pour permettre aux malheureux en train de se les geler, les deux pieds dans la gadoue, de grimper à bord. C’est précisément cette image que j’avais en tête quand j’ai commencé à questionner les experts de CA Technologies sur les ordinateurs centraux. Cela se passait la semaine dernière au salon CA World 2011, un événement presque annuel tenu à Las Vegas.
Autrement formulé, ça donne ceci : « en ces temps infonuagiques, le fait d’investir dans un ordinateur central (alias un mainframe) ne représente-t-il pas un beau cas d’avancement vers l’arrière, une sorte de refus du présent? » Or, à l’unisson, tous mes interviewés ont répondu par la négative. Bien au contraire, ont-ils soutenu, l’ordinateur central est le meilleur allié du Nuage, réalité informatique désormais omniprésente.
Il faut préciser que CA Technologies est un important protagoniste de l’approche infonuagique. Au CA World de l’an dernier, le P.D.G Bill McCracken, avait dit qu’il ne « savait pas » si le Nuage prévaudrait; il avait plutôt soutenu « en avoir la conviction ». Mais voilà que cette année, il a affirmé qu’on était en plein dedans. C’est arrivé, ça se passe, tous les ingrédients nécessaires sont en place. D’où le fait que son entreprise dispose d’une offre de produits adaptés très importante. Bien beau, mais elle dispose quasiment d’autant de solutions en giron mainframe. N’est-ce pas là une contradiction? Si tout s’en va sur le Nuage, pourquoi continue-t-elle à développer pour les grosses Bertha? La réponse est simple : les ordis centraux vivent présentement une renaissance et le Nuage y est pour quelque chose. Des études démontreraient leur supériorité sur les serveurs de type Sun, Dell ou HP quand vient le temps de comparer les coûts et la fiabilité en mode infonuagique. À puissance égale, le mastodonte est plus avantageux.
Dire qu’il n’y a pas si longtemps, personne ne se vantait d’en être encore tributaire. Le faire équivalait à classer son entreprise dans la catégorie « technosaure ». Au tournant des années 80-90, la planète cybernétique était passée en effet à la décentralisation départementale, puis au mode client/serveur, ce qui lui avait permis de sauter à deux pieds dans les félicités du Web, des services Web et du Nuage. Tout cela en à peine quinze ans.
Vit-on un retour du pendule vers la descendance de l’ENIAC? Non. La bête n’est plus essentiellement la vilaine centralisatrice des années 70-80. Elle peut se prêter à bien d’autres choses. Ainsi, grâce à ses capacités fabuleuses de virtualisation, elle peut parler les langues de l’heure, y compris Linux et Windows. De plus, grâce à sa puissance remarquable, elle peut servir de coeur à un « nuage privé » (par opposition à un « nuage public »). Des spécialistes lui ont même accolé le qualificatif Cloud in a Box.
L’Australien Andi Mann est vice-président – Solutions stratégiques chez CA. Pour lui, la cause est entendue. « Rien ne peut remplacer un mainframe », insiste-t-il. Peut-être parce que « les informaticiens ne jettent jamais rien et qu’il y a encore d’excellents bouts de code pouvant servir dans un mainframe », une machine désormais bien à l’aise dans des environnements hybrides. Mais probablement « parce que ces gros ordinateurs sont moins énergivores, prennent moins d’espace et sont plus fiables, en terme de capacité évaluée en MIPS, que leurs équivalents du côté serveurs distribués ».
Il faut lire l’étude de Rubin Worldwide à ce sujet, me recommande le vice-président. On y a comparé les coûts des ordinateurs centraux et des serveurs. En se servant de calculs disponibles chez Gartner, une firme de recherche, et en extrapolant en mode virtuel, Rubin arrive à un tableau pas piqué des vers où l’avantage du mainframe saute aux yeux.
Par exemple, en industrie automobile, l’informatique coûte 275 dollars du véhicule en mode mainframe, contre 370 dollars en mode serveur. Idem pour l’industrie-conseil où la différence est de 13 dollars du conseiller en faveur de l’approche ordi central, pour l’industrie pétrolière où on parle de 0,50 dollar du baril à l’avantage du mainframe, et ainsi de suite. Reprise et complétée avec un autre tableau, l’étude démontre qu’en giron bancaire, il en coûte toujours moins cher quand l’informatique est tributaire d’un ordi central au lieu d’une techno basée sur des serveurs ordinaires.
Même enthousiasme chez David Luft et Sid Kumar, un enthousiasme non feint à la sauce marketing (du genre I’m really excited about our new product…). Tous deux sont des vice-présidents de CA pour qui la « ronronnante baleine » est devenue une véritable passion. Sid Kumar a bien voulu attirer mon attention sur une étude récente faisant du mainframe l’élément clé du Nuage. Il s’agit d’une enquête menée auprès de grandes organisations où ont participé 200 patrons des TI.
Deux constats importants s’en dégagent. Primo, le mainframe ferait partie trois fois sur quatre (73 %) de la stratégie d’entreprise en ce qui a trait au Nuage et, secundo, 80 % des entreprises entendraient continuer à investir dans la formation nécessaire à l’utilisation de ces grands ordinateurs. Tant et ai bien que CA a lancé un programme de formation appelé Mainframe Academy.
Par ailleurs, qui dit ordinateur central en 2011 dit IBM, symbole new-yorkais de la pérennité qui contrôle entre 90 et 95 % du marché. Les autres joueurs sont marginaux, p. ex. Unisys (ClearPath) et HP (NonStop), ou absents des Amériques, p. ex. Bull, Hitachi et NEC. Et qui dit IBM, dit System Z (Z pour « zéro temps mort »), la famille de jumbos développée depuis 2000, soit les eServer zSeries, System z9, System z10 et zEnterprise dont les modèles peuvent coûter n’importe quoi entre soixante-quinze milles et quelques millions de $US.
De ce marché massivement marqué par les trois fameuses lettres bleues, on peut déduire qu’il est prospère, sinon « Big Blue » n’y serait plus et CA Tech ne perdrait plus son temps à lui bidouiller ses grands logiciels, et, pour utiliser les termes du vice-président Andi Mann, qu’il est « en effervescence ». Tout cela parce que de grandes entreprises entendent être à la pointe du progrès.
Que celui qui n’a jamais dit que « le marché des mainframes était mort et enterré » me jette la première pierre!
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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.