À cause de l’Internet, le secteur de la vente de la musique a subi de grands changements. Les commerçants virtuels et traditionnels vivent des situations opposées et l’industrie s’adapte difficilement. C’est l’internaute qui a le dernier mot (ou la dernière note).
« Le monde et les temps changent », chante Richard Séguin (et Bob Dylan dans la chanson originale).
Jamais cette phrase n’aura été aussi appropriée pour l’industrie de la vente de la musique. L’émergence du réseau Internet, le format de fichier MP3 et les autres variantes et les lecteurs de musique numérique ont complètement changé la donne.
Le portrait de la vente de la musique est plus simple pour l’univers virtuel que pour les moyens traditionnels. Sur Internet, des marchands virtuels qui offrent des albums sur support physique à un prix moindre que dans les commerces en brique et mortier. Si on commande quelques albums, on obtient la livraison gratuite par la poste. D’autres marchands Web vendent de la musique en fichiers numériques, dotés ou non de mécanismes de protection, à l’unité ou bien à l’album. Ces fichiers sont téléchargés dans un ordinateur ou un baladeur numérique, ou gravés sur un CD qui est lisible dans les lecteurs récents des chaînes audio et des véhicules automobiles.
Évidemment, on retrouve encore sur Internet des sites illicites de téléchargement ou des logiciels de transfert poste-à-poste qui donnent accès à des fichiers dont la qualité sonore est variable. Ironiquement, le célèbre Club Columbia, qui distribuait des dépliants dans les journaux pour mousser son offre « gratuite » de disques ou de cassettes, existe encore, mais avec un éventail de titres limité à des « valeurs sûres. » On peut d’ailleurs consulter son catalogue et commander sur le Web.
Bémol chez les disquaires
Chez les détaillants qui ont pignon sur rue, la situation n’est pas rose. Des chaînes comme Sam the Record Man et Music World ont cessé leurs activités en tout ou en partie. D’autre part, les expériences en ligne des détaillants traditionnels restants ne semblent pas être fructueuses. HMV Canada a mis un terme à la vente en ligne d’albums, pour privilégier la disponibilité des produits en magasin et les commentaires des internautes. D’ailleurs, cette entreprise a annoncé qu’elle vendra bientôt des téléphones mobiles et des livres et ajoutera des consoles de jeux et des ordinateurs branchés aux réseaux sociaux pour attirer la clientèle. Ce concept rendra le détaillant similaire à d’autres surfaces d’électronique et d’informatique grand public.
Il est difficile d’évaluer l’état de santé des ventes en ligne des détaillants québécois. Les carences d’évolution des sites Web des grands joueurs laissent présager que le commerce électronique doit occuper une place bien marginale dans l’assiette de leurs revenus.
Toutefois, il est surprenant que les détaillants traditionnels offrent encore leurs produits à des prix beaucoup plus élevés qu’en ligne. Des chaînes avaient pourtant annoncé qu’elles réduiraient le prix de certains albums de 20 %. Ce doit être la faute à la hausse du prix de l’essence…
Si les grandes chaînes tentent de se garder à flot face à la vague Internet, la situation est variable chez les petits joueurs. Plusieurs boutiques indépendantes ont fermé leurs portes, mais quelques-unes persistent par le biais de la spécialisation et du service de qualité. D’autre ont trouvé leur salut sur Internet, comme Les Anges Vagabonds qui offre son catalogue dans un seul tableau et qui a recours à la livraison postale.
Fausses notes d’une industrie
L’industrie de la musique, pour sa part, est encore en mode réactif. Après s’être opposée à l’application de nouveaux modèles de vente en ligne, en préférant miser sur la lutte au piratage, elle a fini par céder aux pressions et permis la vente légale de musique sur Internet. Signe des temps, l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement (CRIA) a réduit de 20 % le nombre d’albums qu’un artiste doit vendre pour obtenir un disque d’or (40 000 unités au lieu de 50 000), platine (80 000 unités au lieu de 100 000) et diamant (800 000 unités au lieu d’un million). Plus encore, elle a ajouté deux nouvelles catégories, « téléchargement numérique » et « sonnerie mobile », dont les barèmes sont la moitié moins élevés que pour les supports physiques!
Au milieu de ce brouhaha commercial, l’artiste est confronté aux mêmes réalités qu’auparavant, soit l’obtention de maigres royautés pour chaque album ou chaque simple qui sont vendus. Les revenus de la vente de billets de spectacle ou d’articles promotionnels sont souvent meilleurs. Certains artistes ont choisi de court-circuiter les canaux de vente traditionnels pour l’offre de leurs nouveaux albums, soit par le recours à au modèle « payez ce que vous voulez », soit par l’offre de contenus à valeur ajoutée qui sont acheminés par la poste. Dans ces deux cas, les revenus peuvent être meilleurs que les ristournes des maisons de disques.
Toutefois, si des artistes comme Radiohead ou Trent Reznor (Nine Inch Nails) peuvent se permettre de tenter de telles aventures, peu d’artistes québécois ont une marge de manoeuvre suffisante pour le faire. Heureusement, certains tirent profit du Web, notamment des réseaux sociaux comme MySpace, pour faire connaître leur musique.
D’autres artistes donnent carrément leur musique et misent sur les revenus des concerts. Chris Anderson, le rédacteur en chef du magazine Wired, évoque dans un article le cas d’un groupe brésilien qui donne les bandes originales de ses disques à des revendeurs de rue pour qu’ils en fassent des copies, les vendent et en gardent les profits, ce qui attire les foules à leurs spectacles. L’artiste Prince a effectué un stratagème semblable en faisant encarter à perte un disque dans une édition du journal Daily Mail de Londres, ce qui a contribué à vendre les billets pour 21 spectacles et à obtenir 18,8 millions $ US en revenus nets.
Chante-là, la chanson
Celui qui bat la mesure est l’internaute qui influence le cours des choses. À chaque fois qu’il télécharge illégalement des albums ou qu’il achète des chansons à la pièce, il change la donne d’une industrie centenaire. Heureusement, beaucoup d’internautes qui achètent en ligne des albums sur des supports comme le CD ou même le vinyle! Le nombre d’achats légitimes de musique est également à la hausse, ce qui est bon signe. Soulignons qu’Internet a permis la découverte de groupes qu’il aurait été difficile d’entendre par les moyens conventionnels.
Il ne reste qu’à espérer que la qualité des fichiers de musique numériques, par téléchargement ou sur les divers supports augmentera à court terme. Bien des gens déplorent la perte de qualité sonore des formats de fichiers comme le MP3 ou même du CD, en comparaison celle des bandes maîtresses originales. Ceux qui écoutent un vinyle constatent la différence. Imaginez si The Dark Side of the Moon de Pink Floyd avait été écouté pour la première fois à 96 Kbps…
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.
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