Plus de 1 500 personnes ont assisté hier à la 30e édition de la Journée informatique du Québec qui se tenait au Centre des Congrès de la Capitale. Sous le thème Rencontre du 30e TIC, plusieurs conférences ont tenté de faire le pont entre les générations.
Thème fort à la mode actuellement, la notion d’immigrants et de natifs du numérique a été abordée d’entrée de jeu au cours d’un table ronde animée par Guy Morneau, professeur invité à l’École nationale d’administration publique et notamment ex-PDG de la Régie des rentes du Québec.
Participaient à cette table ronde Carl-Frédéric De Celles, président d’Ixmédia; Ian Delisle, cofondateur et VP R&D chez Wanted Technologies, Samuel Bouchard, directeur des technologies chez DuProprio.com et Clément Thériault, cofondateur et directeur de la production et du développement chez Communications TerDor.
Les natifs et les immigrants
Avec comme point de départ une question sur la possibilité de faire sa place dans le monde numérique, particulièrement au Québec, la discussion a rapidement glissé vers l’apport de la génération montante – ceux dont on dit qu’ils sont des natifs du numérique parce qu’ils sont nés avec le PC, qu’ils ont grandi avec des jeux vidéo et n’ont pas connu l’époque où l’on travaillé sans Internet. Cette génération vient bousculer les habitudes et les façons de faire de la génération précédente qui a pourtant adopté les technologies, mais qui est considérée comme un peuple d’immigrants du numérique.
La perception de plusieurs natifs, a souligné Carl-Frédéric De Celles, est que « les gens des TI ont mis en place plusieurs barrières qui empêchent les natifs d’utiliser leurs outils de collaboration ». Dans un contexte où « les réseaux nous amènent une intelligence collective », a ajouté Samuel Bouchard, cela handicape la manière de travailler des natifs.
Selon Ian Delisle, on observe une diminution relative de l’importance des technologies et une augmentation du poids de l’information dans l’expression « technologies de l’information ». Et on a tendance, a-t-il ajouté, à oublier « que l’informatique aujourd’hui, c’est de la création! »
« Que nous réserve l’avenir afin de relever le défi de la productivité? », a voulu savoir l’animateur, M. Morneau. Pour M. De Celles, l’accès au données, l’ouverture et le partage sont certainement des pistes. « Plus de communications, un retour vers la communauté, une conscience de la collectivité » seront des axes importants, a souligné de son côté Clément Thériault de Terdor.
Samuel Bouchard, parlant du contexte de la rareté des ressources spécialisées qui crée des mouvements de personnel entre les organisations, y voit quand même des avantages en termes de partage et de circulation de l’expertise entre les organisations, créant ainsi une forme de « nivellement » par le haut du niveau de connaissance.
Carl-Frédéric De Celles n’a pas manqué d’amener sur le tapis le sujet d’une vision de l’économie numérique pour le Québec, un sujet dont on discute fort dans le milieu du Web 2.0 ces dernières semaines et encore plus depuis que les élections ont été déclenchées au Québec. Il a souligné qu’il ne s’agit pas d’une « requête pour créer un programme de subvention, mais pour avoir une vision qui rassemble, qui est transversale, par exemple entre ministères ».
Ian Délisle croit que la libre circulation de l’information unifiera la planète, prenant pour exemple l’utilisation des technos par le président élu Barack Obama lors de la dernière campagne présidentielle aux États-Unis. Il croit que le Web collaboratif changera complètement la politique, et ce, sur une base globale puisque nous sommes désormais des citoyens du monde.
Samuel Bouchard trouve de grands avantages à cette circulation de l’information qui réduit la frime depuis que tout le monde peut rendre accessibles divers contenus sur Internet.
Transition de générations
Est-ce que la rencontre des natifs et des immigrants du numérique se fait de chaque côté d’un fossé des générations? Carl-Frédéric De Celles soutient que ce n’est pas cette façon que les choses se passent, puisque la génération précédente ne partira pas du jour au lendemain à la retraite pour laisser la place aux natifs. Le processus se fait dans un contexte progressif de transition.
Clément Thériault considère de son côté que la notion de retraite est un paradoxe qui devrait être réexaminé. Comment peut-on du jour au lendemain se passer d’une masse d’expertise en la mettant en marge de la société, au rencart?
Les technologies du Web collaboratif offriraient-elles une avenue de solution à cette pérennité et à la transmission de la connaissance?
Esprit critique
Dans l’un des ateliers de cette journée, le directeur général de la firme Opossum, Mario Asselin, un ex-directeur d’école qui est bien connu pour avoir mis en place un projet de « cyberportfolios » à l’Institut St-Joseph de Québec, a pris son bâton de pèlerin pour évangéliser l’auditoire aux principes du Web 2.0, qu’il préfère appeler Web collaboratif.
Il a toutefois insisté sur le développement d’un sens critique, tant pour ceux qui l’écoutaient qu’à l’égard de nos enfants qui, s’ils sont des natifs des technos, sont aussi des « naïfs » des technos.
« Il ne faut pas dire des choses sur les réseaux sociaux que l’on ne serait pas prêt à révéler si on était au centre de la glace du Colisée de Québec », a-t-il employé comme image du rayonnement et de la distribution de l’information sur ces réseaux.
« On est aussi fort que le plus faible des maillons de notre réseau », a-t-il affirmé en suggérant que la collaboration en utilisant des réseaux n’est pratiquement plus une option, que c’est devenu une obligation que les organisations devront considérer pour assurer leur croissance.
Évidemment, l’utilisation des réseaux de collaboration doit répondre à un principe simple: il faut y gagner quelque chose, plus que ce qu’on consent à y investir, ce qui répond à « loi » d’Homans.
M. Asselin a conclu sa présentation en nommant quelques exemples de fonctionnement collaboratif dans certaines organisations, comme celui des services secrets américains dont les agents partagent de l’information via un wiki (privé, il va sans dire) ou encore le projet de loi sur les services policiers en Nouvelle-Zélande qui fut élaboré à l’aide d’un wiki.
L’information aux temps des colonies
Si la circulation de l’information est acquise aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas.
Conférencier du midi lors de cet événement, l’historien et vice-président de la revue Cap-aux-Diamants Jean-Marie Lebel nous a ramenés quelques centaines d’années en arrière. À l’ère pré-Google de 1708, l’information dans la plus grande ville de la Nouvelle-France, Québec forte de 2 000 habitants, arrivait surtout au printemps avec les premiers bateaux en provenance de la mère patrie. C’est ainsi qu’il a pu constater dans ses recherches qu’autour de cette époque les religieuses du couvent des Ursulines ont pleuré la mort du roi Louis XIV près de 7 mois après le décès de celui-ci, en raison du délai de transmission de la « nouvelle ».
Plus tard, en 1808, dans une ville de Québec conquise sur les plaines d’Abraham, devenue à moitié britannique et à moitié française, on a commencé à profiter des avantages de cette conquête par la mise en place du parlementarisme et d’une imprimerie, cette dernière ayant été établie en 1764, au lendemain de la défaite des Français. S’ensuivit d’ailleurs la création d’un journal, La Gazette de Québec. Il faut dire que Louis XIV avait toujours été réticent à ce que la colonie puisse jouir d’une imprimerie, ce qui aurait empêché le Roi-Soleil de garder un strict contrôle sur la circulation de l’information.
D’autres inventions ont également révolutionné la transmission de l’information, comme l’a souligné M. Lebel, notamment l’arrivée du télégraphe, du dactylographe et du téléphone. Ces technologies ont d’ailleurs causé une première incompréhension auprès de la population. Cette manière de faire circuler l’information sur un fil dépassait l’entendement et la compréhension pour le commun des mortels.
Par ailleurs, c’est à un citoyen de Québec, Cyril Duquette, que l’on doit l’invention du « combiné » téléphonique, invention pour laquelle il fut poursuivi par la compagnie Bell et dû payer une amende de 40 dollars, nous a rappelé M. Lebel.
Amie ou ennemie?
Est-ce que les technologies qui nous permettent d’échanger de l’information et de mieux faire notre travail sont en train de prendre trop d’espace dans nos vies? De réduire notre qualité de vie en permettant au travail d’envahir nos vies privées? Voilà des questions qui étaient au menu de la conférence de la psychologue du travail et des organisations Estelle Morin, professeur titulaire à HEC Montréal.
Mme Morin, qui affirme qu’il faut s’assurer que le travail a un sens, suggère aux organisations de respecter un certain nombre de principes clés en sens, notamment au niveau de l’utilité du travail, de l’autonomie ou de qualité des relations.
Elle croit également que toute l’organisation du travail, essentiellement fondée sur le principe du PDOC (planifier, diriger, organiser et contrôler) qui remonte à 1911, mérite peut-être d’être revue à la lumière des nouvelles façons de travailler et des changements de culture organisationnelle qui ont été amenés notamment par les technologies.
Comme chaque année, le programme de la JIQ était assez chargé et a soulevé bon nombre de discussions et de réflexions sur l’usage des technologies au sein des organisations. On trouvera tous les détails des conférences et, sous peu, le contenu de la plupart des présentations en visitant le site de l’événement qui était organisé par la section de Québec du Réseau Action TI (ex-Fédération de l’informatique du Québec).
Patrice-Guy Martin est rédacteur en chef du magazine Direction informatique.
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