Vous vous levez un matin, vous contemplez pour une dernière fois la belle nature entourant votre demeure, vous embrassez votre muchacha pour la « ultima vez », vous vous rendez pour une dernière fois à votre bureau, vous vous assurez que tous vous papiers sont en règle, vous mettez en ligne votre article critiquant certains aspects du iPad d’Apple, puis, résigné, vous attendez la foule aveugle qui, menée par la haine, s’en vient vous lyncher avec un vieux câble RJ45.
Rassurez-vous, je ne vous parlerai pas du désastre en cours dans le Golfe du Mexique, ni de celui qui fait rage chez Bibi Netanyahu, ni de celui du dérèglement météorologique de plus en plus manifeste, ni de celui que subit la confiance en nos institutions politiques, financières, religieuses et j’en passe. C’est encore pire. Je vais vous confesser mes angoisses en ce qui a trait au papier que je suis en train de préparer sur le iPad d’Apple. Si j’en dis du mal, comme cela semble devoir être le cas, les fidèles de la Sainte Pomme m’éviscéreront symboliquement sur la cyberplace publique. Et s’ils me « cybercrucifient », ils choisiront les clous les plus rouillés. Sans compter qu’ils émettront vraisemblablement une fatwa contre les Dumais en général et les Nelson en particulier. Bref, je suis foutu.
C’est que je suis en train de m’attaquer à un mythe. Le iPad est devenu une légende. Plus de deux millions d’appareils vendus en moins de 60 jours; du jamais vu! Tous les quotidiens, tous les réseaux télé ou radio, tous les sites d’info grand public en ont parlé. Parlé dans le sens « pas dire de mal ». D’ailleurs, comment serait-il possible d’en dire du mal? Rien qu’à voir le bidule, on en tombe amoureux. Une merveille pour naviguer sur le « triple W », pour s’adonner au plaisir du courriel, pour lire des livres en anglais, pour collectionner des apps gratuites parfois très divertissantes, pour regarder des vidéos…
Euh… Entre le moment où j’ai tapé les quatre derniers mots du paragraphe précédent et maintenant, il s’est écoulé une heure et demie; j’ai en effet tenté de regarder des vidéos… sur YouTube. Apple fournit une app (petit applicatif) pour y arriver, mais dans mon cas, ça ne marche pas. Au mieux, je peux voir le premier cadre du clip et entendre ce qui s’y passe. Y a sûrement un truc que je ne fais pas comme je le devrais. J’ai fouiné sur le Net et j’ai trouvé des procédures pour y arriver. Par exemple, il y a celle-ci où on demande de télécharger le clip avec Safari, le fureteur inclus dans le iPad, et de le convertir dans le bon format. Je vais bien sûr essayer cette méthode, mais, bof!
Vous voyez ce que je veux dire? Mon article ne consistera pas à traiter de la longue queue d’enthousiastes qui, vendredi dernier, attendait l’ouverture du Apple Store, rue Sainte-Catherine Ouest, ni de parler des merveilles du fonctionnement en mode tactile, ni de l’extrême convivialité particulière à cet appareil, ni du fait que le iPad représente le début d’une ère nouvelle dans la consommation de l’information. Mon article témoignera plutôt du fait que j’ai vraiment utilisé le nouveau rex bidulensis. En fait, sachant que samedi (après-demain), je dois m’envoler pour le WWDC, la conférence annuelle des développeurs Apple qui se tiendra à San Francisco, je dois répondre à cette question : « Vais-je amener avec moi un MacBook Pro, ordinateur portatif qui ne m’a jamais déçu, on vais-je lui préférer mon iPad? » Sur place, je dois écrire et mettre en ligne au moins deux articles. Puis-je m’en remettre au iPad?
Vous comprenez la minutie des vérifications auxquelles je me livre présentement. Commençons par l’écriture. Le iPad dispose d’un très beau clavier virtuel qui, disent les anglophones, permet de remplacer un vrai clavier. Le problème, c’est que le français, ma langue de travail, comprend bon nombre de caractères accentués. J’ai beau localiser le système en « Canada français », je demeure tributaire de la procédure particulière au iPhone OS pour générer les accents. Par exemple, un « é » se génère en appuyant avec insistance sur le « e » et, au travers le choix qui s’affiche alors dans une bulle (« e », «è », « ê », ë », « é » et d’autres parfaitement inutiles), de choisir le « é ». Disons que si cette procédure est tout à fait acceptable dans le contexte d’un courriel ou d’un message que l’on écrit avec un iPhone, c’est nettement improductif dans le contexte d’un document de trois pages de nature professionnelle et… urgent. Voilà pourquoi je me suis fait venir un clavier sans fil de marque Apple. Ainsi, je pourrai générer mes accents de la même façon qu’avec un MacBook Pro. J’ai bien hâte de l’essayer.
Quant au logiciel de traitement de texte, je ne peux utiliser mes produits de prédilection (Bean, Word ou OpenOffice). Par contre, je peux acheter Pages, un logiciel Apple assez intéressant et particulièrement convivial que, personnellement, je n’aime pas trop, ou je peux me contenter de petits éditeurs de texte gratuits. Quant au « Nuage », j’ai constaté qu’Office Live et les Google Docs ne fonctionnaient pas. Je cherche, je cherche.
Autre dimension du travail journalistique, il me faut pouvoir traiter des photos afin de pouvoir les placer en ligne dans un format et une taille acceptable. Au départ, le iPad est un admirable appareil pour s’amuser à ramasser et regarder des photos. Une petite merveille! Sauf que je dois pouvoir réduire une prise normale de, disons, 2304 X 1729 à 250 X 188, ce que Photoshop fait très bien. J’ai essayé avec le service Web Photoshop.com, mais je n’ai pas droit aux contrôles mesurés de la taille (p. ex. 250 pixels par 188). Je cherche, je cherche.
Puisque dans la boîte que m’a fait parvenir Apple vendredi dernier, il y avait, en outre, un connecteur iPad/VGA, j’ai souri de ravissement. Imaginez pouvoir travailler devant un vrai moniteur de 20 pouces. J’en ai vivement branché un, mais, hélas!, rien n’a fonctionné. En fouillant, j’ai appris que seulement les apps où les développeurs avaient prévu l’utilisation d’un moniteur externe (ou d’un projecteur) pouvaient se prévaloir d’un tel avantage. Pour tester, j’ai dû acheter un produit appelé SketchBook Pro qui, lui, le permet. Ce qui signifie que si je veux taper un article, je devrai me contenter de la surface d’affichage du iPad. Remarquez, c’est déjà mieux que le iPhone ou le iPod shuffle! À moins que je puisse me connecter sur un gros machin HD? Y a peut-être un truc! Si oui, pourquoi m’ont-ils fourni un connecteur VGA? Je cherche, je cherche.
Vous me voyez venir? Je commence à accumuler pas mal de négatif (je ne fais pourtant que commencer mes recherches…), du négatif qui me fera paraître à contre-courant quand je le publierai la semaine prochaine, si j’en ai le courage, bien entendu. N’est-il pas établi que le iPad est une merveille? Tous les médias l’ont dit, écrit, illustré et répété. Jusqu’à chez Christiane Charrette! Ce qui signifie que la légion Mac, celle que j’ai vue, à maintes reprises, défiler en formation 12 de front, les bottes au stechschritt (pas de l’oie), me tombera sûrement sur la tronche et me fera ma fête.
Il en est ainsi quand les sociétés n’ont plus de héros charismatique sachant les mobiliser vers un projet envoûtant. On s’embrigade derrière des bannières commerciales ou sportives. Publiez un texte expliquant le cul-de-sac qui caractériserait Linux ou dites du mal de la plate-forme Dot-Net, vous m’en donnerez des nouvelles. C’est aussi pire que d’oser des propos négatifs à l’endroit de Jaroslav Halak. Les insultes pleuvent assez vite.
D’où la crainte annoncée dans mon titre.
Souhaitez-moi bonne chance.