Nombre d’intervenants du secteur nord-américain de la santé déplorent que les technologies de l’information n’y ait pas pris solidement racine comme dans la plupart des industries. Plus que n’importe où ailleurs, sans doute, le recours aux TI dans ce domaine est pourtant considéré comme vital.
Un système pour lequel les dépenses sont estimées à 1,8 billion de dollars, mais qui repose en grande partie sur des processus archaïques, où dominent les documents papier. Cette formule pour le moins étonnante a servi à décrire le secteur de la santé des États-Unis.
Certes, on y utilise des technologies parmi les plus évoluées, tels l’imagerie par résonance magnétique, le laser-bistouri, la caméra microscopique introduite dans le corps du patient et le tomodensitomètre. Cependant, on demande généralement au patient de remplir une fiche manuscrite lorsqu’il se présente pour la première fois dans un établissement de santé. Le secteur médical américain « demeure caractérisé par des îlots de haute technologie au sein d’une mer de papier ».
Ces constations ont beau provenir du Computer Systems Policy Project (voir cet article signé du directeur de ce groupe, Bruce Mehlman), groupe de pression représentant les hauts dirigeants des fournisseurs du secteur des TI, elles n’en sont pas moins appuyées par des statistiques révélatrices : malgré une croissance marquée de l’utilisation que font les médecins de technologies comme le bloc-notes et les dispositifs sans fil, plus de la moitié d’entre eux n’ont toujours pas accès à des données de santé numérisées, ni à un système de prescription électronique – selon une étude récente dont fait état le site Medline Plus.
On peut brosser un tableau semblable pour le Canada. Dans son rapport annuel de 2006, le Conseil canadien de la Santé souligne qu’il est possible de « consulter en ligne (ses) données financières personnelles partout au pays, mais (les) données sur la santé restent largement sur papier dans toutes sortes de bureaux et d’organismes sans liens. » Selon le Conseil, 77 % des médecins ont accès à Internet dans leur pratique en milieu hospitalier, mais 45 % seulement en cabinet. Une faible proportion de 38 % d’entre eux a recours aux technologies de l’information relativement aux dossiers de santé.
Pour le gouvernement canadien, les TI représentent l’un des quatre piliers d’un système de santé efficace et viable, comme l’a souligné le ministre de la Santé Tony Clement dans une allocution récente. Le faible coefficient technologique, a-t-il alors dit, contribue à provoquer les quelque 185 000 événements médicaux et chirurgicaux indésirables survenant chaque année au pays. Entre 10 000 et 24 000 Canadiens meurent annuellement en raison d’erreurs médicales – jusqu’à 98 000 aux États-Unis – ce qui représente plus de victimes que n’en font ensemble le VIH, le cancer du sein et les accidents de la route.
Sans savoir à quel degré une utilisation accrue des TI permettrait de réduire ces pertes de vie, le ministre reconnaît qu’il y aurait un effet bénéfique. Le Conseil canadien de la Santé abonde dans le même sens : « On ne saurait considérer comme un luxe les outils électroniques de gestion de l’information sur les patients et d’aide aux décisions de traitement ; ils sont un facteur essentiel qui garantit la prestation de soins appropriés et sans danger. » En négligeant de mettre des informations vitales à la disposition des médecins, nous limitions leur capacité à prendre les meilleures décisions, renchérit Bruce Melhman, directeur exécutif du Computer Systems Policy Project.
Une masse d’information
On ne saurait mieux apprécier la nécessité pour les professionnels de la santé de disposer d’informations sûres et précises qu’à la lumière de certaines statistiques fournies par le Conseil : 322 millions de consultations au pays l’année dernière, 382 millions d’ordonnances et, à l’échelle mondiale, 300 000 essais cliniques et 1,8 million de nouveaux documents de recherche, disséminés dans 20 000 revues spécialisées.
De telles considérations ont conduit le gouvernement canadien, par l’entremise de l’organisation Inforoute Santé du Canada, à adopter un plan visant à mettre en oeuvre un dossier de santé électronique pour la moitié des Canadiens d’ici la fin de 2009. Initiative à laquelle le Québec a emboîté le pas, en annonçant, en mai dernier, son plan d’informatisation du réseau québécois de la santé et des services sociaux, qui prévoit des investissements de 547 millions de dollars au cours des cinq prochaines années, dont 303 millions par Inforoute Santé du Canada.
En comparaison, le président Bush a dévoilé dernièrement l’intention des États-Unis de mettre sur pied, d’ici 2014, un système de dossiers électroniques englobant l’ensemble des citoyens des États-Unis. Le Conseil canadien de la santé estime que les efforts du Canada doivent s’intensifier, pressant les autorités de changer ses plans, de façon à ce que tous les Canadiens aient un dossier de santé électronique en 2010, et non pas seulement la moitié d’entre eux. En guise de points de comparaison, le Conseil se réfère à des pays comme la Nouvelle-Zélande, où 95 % des médecins de famille travaillent à partir de dossiers informatisés, et le Danemark, où 90 % des cabinets médicaux échangent l’information clinique par réseau.
Néanmoins, le travail d’Inforoute Santé du Canada, dans lequel le gouvernement a investi pas moins de 1,2 milliard de dollars, porte fruit. Une évaluation indépendante conduite par la firme d’Ottawa BMB Consulting Services conclut que les résultats du pays à ce jour en matière de dossier de santé électronique interopérable « n’auraient pas été atteints sans le travail d’Inforoute. »
Malgré tout, le Conseil canadien de la Santé estime que sans la contribution des TI en vue d’accélérer la modernisation des processus de gestion des renseignements sur le patient, tous les efforts de renouvellement du système de soins de santé sont condamnés à la stagnation.